16.8.17

Marchands de peurs


Pas mal de gens me l'ayant demandé (merci) voilà la retranscription d'une série de tweets sur les marchands de peurs publiés le 4/8.

Tiens comme ça parce qu'une patiente m'en parle : "est-ce que c'est vrai tout ce qu'on dit ?".

C'est une patiente qui va avoir une ponction lombaire. Elle a peur et c'est normal car l'examen a une sale réputation. Elle est aussi allée voir sur internet et elle est presque tombée dans les pommes en lisant les témoignages de Doctissimo and co. Elle m'a même donné des exemples concrets de gens qui connaissent des gens chez qui ça a été une boucherie sans nom.





En consultation je lui demande comment s'étaient passées ses quatre accouchements sous péridurale (rachianesthésie plutôt). Elle me dit :"sans problèmes, on a la petite piqûre dans le dos et puis on n'a plus mal". Mais elle ne voyait pas le lien avec la ponction lombaire. Je lui ai expliqué que c'était pareil, mais avec des aiguilles plus fines et qu'on n'injectait rien.

Elle s'est mise ne colère. Pas contre moi, mais contre les gens qui se croyant bien intentionnés, lui ont raconté les pires horreurs. Elle est en colère parce que pour elle cette peur des ponctions lombaires ce n'était pas un jeu. Pour elle, ce n'est pas comme lire un policer ou regarder un film d'horreur pour avoir des frissons. Elle a vraiment eu très peur, a eu des insomnies, a pleuré seule la nuit et s'est même demandée si elle n'allait pas finir en fauteuil roulant.

Bref, elle a été réellement très effrayée et en veut à ceux qui par bienveillance mal placée, par jeu, par dilettantisme ou par sadisme, lui on fait ça.

Si je vous ne parle, c'est parce que comme les épidémies de peste, il y a des vagues sur les réseaux sociaux où des gens en manque de la drogue que représente la notoriété, ont une pulsion qui les force à raviver les peurs (au nom de l'information sur la brutalité du monde médical bien évidemment). Et en ce moment ils ont plein de techniques pour attiser ces peurs et satisfaire leur ego.

La première, c'est de gonfler artificiellement le nombre de cas où quelque chose se passe mal. Vous trouverez un grand compte qui pour une histoire qui s'est bien passée, va chercher aussi loin que possible un témoignage contraire. Du un pour un. On a ainsi l'impression que lorsqu'on va à l'hôpital, on a une chance sur deux de souffrir milles morts infligées par les brutes en blanc. C'est simple, c'est efficace, et ça permet d'avoir un article à son nom dans l'Express pour accroître sa notoriété et vendre quelques livres de plus.

Vous avez une deuxième technique plus ancienne. Plus éprouvée. Ouvrir un blog ouvert exclusivement et anonymement à tous les mécontents de la terre qui râlent parce qu'ils n'ont pas eu d'anesthésie avant de se faire enlever un urgo, alors que les infirmières étaient occupées à aider quelqu'un qui en avait réellement besoin. Avec ce blog vous pouvez prendre le meilleur du pire et du non vérifiable et faire un livre qui explique de façon autoritaire et paternaliste que les hôpitaux sont peuplés de sadiques psychotiques en liberté, immunisés contre toute critique par leur blouse blanche (spoil : les neuros sont les pires). Et quand vos livres se vendent moins bien malgré une promotion intensive sur toutes les radios et dans tous les principaux journaux, vous jouez sur la corde sensible en rappelant à vos fans qu'il vaut mieux acheter les livres des auteurs vivants que ceux des auteurs morts (oublions la culture et l'histoire, ce que des morts qui en parlent).

Troisième façon de faire peur, cibler une population hyper fragile. Les femmes enceintes de leur premier enfant par exemple. Elles ont peur d'avoir mal, de mal faire, de pas savoir-faire etc… Vous pourriez les rassurer en leur expliquant que contrairement aux cents derniers siècles, accoucher ne se traduit plus par la mort de la mère dans 10% à 20% des cas, et que la technologie permet de ne pas souffrir. Mais ça c'est nul. Ça ne fait rien vendre. Alors du coup vous faites le contraire, vous les culpabilisez et les effrayez en leur disant que demander une anesthésie pendant l'accouchement c'est une forme de lâcheté, qu'il faut savoir en passer par là, et qu'en respirant bien ça va être super rigolo. Et comme bien évidemment ça ne se passe pas vraiment comme ça, mais que vous être trop lâche pour assumer, vous expliquez à celles qui vous demandent un peu abasourdies pour quoi elles ont souffert, que là encore c'est la faute à la pire race de médecins qui soit : ce qui se lèvent la nuit exprès pour torturer leur victime, j'ai nommé ces horribles gynécologues.

Bon bref la peur est un marché. Un marché qui fait (très bien) vivre les marchands de peur, et en ce moment, ils font des promos.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
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