6.5.20

les troubles de l'impulsivité - les mécanismes cognitifs de la prise de décision.

Aussi fréquents que méconnus
aussi importants que négligés
c'est pourtant la base de la pensée



  • Pour certaines personnes la médecine se résume à un schéma à trois étapes : le patient est malade -> le médecin fait des trucs -> le patient est guéri. Heureusement, à part à l'institut hospitalo-universitaire de Marseille ou dans les cabinets d'homéopathie, ils sont peu nombreux.
  • Pour la plupart des personnes la médecine consiste à trouver la bonne molécule ou combinaison de molécules et la bonne dose pour soigner. C'est proche du concept de Paracelse qui disait que c'est la dose qui fait le poison.
  • Pour beaucoup de médecins on peut rajouter que la bonne médecine nécessite de tenir également compte d'une part des notions de marges thérapeutiques, d'interactions médicamenteuses, de tolérance physiologique, de bénéfice et de risque individuels et collectifs, et d'autre part du contexte psychologique ou environnemental social du patient.
  • Pour les neurologues tout cela est distrayant, mais est trop simple pour avoir un quelconque intérêt dans les traitements des pathologies réellement neurologiques, c’est-à-dire celles où le dysfonctionnement du cerveau en lui-même est la cause de la pathologie, par opposition aux pathologies où le cerveau est victime d'une agression extérieure (comme par exemple dans les accidents vasculaires cérébraux où le cerveau est la victime du dysfonctionnement du système cardio-vasculaire).
  • Ce décalage entre la vision des plus primitifs d'entre nous et la réalité des bribes que l'on comprend du fonctionnement du système nerveux, explique en grande partie pourquoi par rapport à d'autres spécialités médicales, l'éventail des thérapeutiques neurologiques est faible pour ne pas dire anecdotique.
  • Et quoi de mieux pour vous illustrer ce gouffre que de vous parler des troubles de l'impulsivité, en prenant comme modèle la maladie de Parkinson, et plus précisément les effets indésirables de certains traitements de la maladie de Parkinson. 
  • Mais pour cela on va avoir besoin de plusieurs packs de connaissance distincts que l'on ne va réunir qu'à la fin de ce texte.



Premier pack dont nous aurons besoin : la notion d'impulsivité. 
On va énormément simplifier. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le principal rôle du système nerveux est de nous inhiber. Cela va de l'inhibition de nos reflexes à l'inhibition de nos comportement instinctifs. C'est parce que nous avons un système nerveux basé sur l'inhibition que lorsque nous posons notre pied par terre, nous ne le retirons pas immédiatement en faisant un bond en arrière, comme le voudrait l'arc reflexe principal du membre inférieur (c'est ce que testent les pédiatres quand ils gratouillent la plante des pieds de nouveau-né et observent le retrait du pied). C'est également parce que nous avons un système nerveux basé sur l'inhibition que nous sommes capables de décongeler puis de cuire un plat surgelé, plutôt que de nous jeter dessus pour le manger froid, et ce même si nous avons très faim. Cette inhibition permanente nous permet également de vivre en société puisqu'elle nous empêche de tuer ceux qui nous contrarient, de voler ce qui ne nous appartient pas, ou d'agresser sexuellement autrui. Et si j'ai choisi ces trois exemples précis c'est pour une raison tout aussi précise que nous verrons plus tard.
On peut donc dans une première approximation définir l'impulsivité comme une difficulté ou une impossibilité à inhiber nos instincts les plus primaires.

Levez-vous, faites quelques pas, étirez-vous le dos, et continuons avec la suite.

Deuxième pack dont nous aurons besoin avec des notions un peu plus complexes : les systèmes qui nous permettent de faire des choix, ceux qui nous permettent d'inhiber les plus impulsif et la façon dont ces systèmes communiquent entre eux. 
Là encore on va simplifier. L'ensemble de nos sens nous sert à connaître à tout moment l'état de nos besoins internes (faim, soif, douleur, etc.) et le contexte (ou environnent) qui nous entoure (danger, sécurité, proximité de la nourriture). Ces deux informations (besoins et contexte) sont analysées en permanence à l'aide de plusieurs filtres qui sont stockés dans nos (parce que nous en avons plusieurs) mémoires. C'est ainsi qu'à tout moment nous savons ce dont nous avons besoin, par quoi nous sommes entourés, ce que cela signifie en fonction de ce que nous avons vécu et donc quelles sont les règles physiques ou sociales qui s'appliquent à cette situation, et enfin quel comportement nous devons adopter. 
Pour faire simple, si nous avons faim, et que nous voyons un gâteau en train de cuire au four, nous savons que nous pouvons le manger pour avoir moins faim, notre mémoire nous rappelle qu'il est probablement chaud et que les lois de la physiques disent que nous allons nous brûler si on le prend directement dans nos mains, et enfin, notre mémoire nous rappelle qu'il existe des règles sociales qui disent qu'il n'est pas dans notre intérêt de mordre directement dedans plutôt que d'en couper une part, si nous sommes en public. 
A l'aune de toutes ces informations nous allons prendre une décision puis mettre en place une action. 
Bref nous allons adapter notre comportement. 
En pratique cela signifie que nous allons prendre des gants pour ne pas nous brûler, sortir le gâteau du four, le laisser refroidir, puis mordre dedans comme des gros sales si nous sommes seuls, ou en découper une jolie tranche si nous sommes à plusieurs.
Cet ensemble d'action fait donc appel, si vous avez bien compté, à trois types d'actions : collecter les informations, les analyser pour prendre une décision, et exécuter le plan décidé.
On va détailler un peu la partie analyse et prise de décision, tout en restant dans les grands principes. Quand nous avons compris nos besoins, et les moyens à notre disposition pour y subvenir, nous devons décider de la façon dont on doit s'y prendre et de la temporalité. Si on reprend l'exemple du gâteau, pour décider si on le mange là maintenant tout de suite alors qu'il est encore dans le four, ou si on attend de le sortir, de la faire refroidir et de le découper proprement, on va se servir de la partie antérieure du cortex, quelque part dans le lobe frontal. Cette région qui va prendre la décision, va d'abord en quelque sorte consulter l'état de l'organisme via une structure appelée insula. Puis faire le point sur nos émotions via les amygdales (rien à voir avec la gorge). Ensuite consulter la mémoire via l'hippocampe et enfin, faire une évaluation complexe du risque de ne pas agir, via une structure mal comprise qui se nomme l'habenula. 
Tous ces noms compliqués n'ont pas une énorme importance. La seule chose à retenir c'est qu'à un moment précis, dans la partie antérieure du cerveau, une région (le cortex insulaire) va vouloir que l'on agisse tout de suite, et une autre (le cortex préfrontal) va vouloir qu'on attende. Et qu'à un moment donné, entre ces deux volontés opposées, et après avoir consulté les autres structures que j'ai cité, quelque chose va faire basculer la décision entre l'une de ces deux volontés. Et en l'état actuel des connaissances, ce quelque chose qui fait basculer l'équilibre entre agir tout de suite, ou temporiser, se nomme le noyau accumbens.

Levez-vous à nouveau, prenez une boisson fraiche, relâchez votre cou et vos épaules, dites-vous qu'on a vu les mots les plus compliqués et que le reste sera beaucoup plus concret, et reprenons notre lecture.

Troisième pack. 
Au XIXe siècle, entre deux tentatives de tuer le souverain du Royaume-Uni avec une arbalète, James Parkinson décrit la maladie qui porte son nom. La description qu'il en fait est essentiellement motrice avec des patients qui tremblent, son lents (akinétiques) et raides. Et ils en meurent rapidement. Plus tard, dans la deuxième moitié du XXe siècle, on comprend que la cause de leur maladie est la dégénérescence de neurones qui produisent de la dopamine, et surtout qu'il est possible de partiellement corriger les troubles des patients parkinsoniens, en leur donnant de la L-Dopa (un peu comme l'insuline chez les diabétiques). Cette une grande avancée puisque les patients parkinsoniens ne meurent plus. Cependant après dix ans de traitement en moyenne, ils ont des effets secondaires curieux associant des mouvement anormaux (dyskinésies) et des fluctuations du comportement er de l'humeur. Dans la mesure où on pense que ces effets secondaires sont des effets indésirables de la L-Dopa, on invente dans le dernier quart de XXe siècle une autre classe médicamenteuse, dont on pense qu'elle sera aussi efficace que le L-Dopa mais sans ses effets secondaires. Cette classe va être nommée agonistes dopaminergiques et c'est…un échec retentissant qui va cependant énormément fait progresser la science. C'est un échec curieux parce que dans un premier temps ces médicaments semblent tenir leur promesse (on n'est pas du tout dans le n'importe quoi absolu des anticholinestérasiques utilisés un temps dans la maladie d'Alzheimer). En effet ils semblent aussi efficaces que la L-Dopa sur le signes moteurs (on s'apercevra plus tard que ce n'est pas tout à fait vrai) et surtout ils semblent diminuer certains troubles de l'humeur qui miment la dépression et que l'on nomme apathie (c'est comme une dépression mais sans tristesse de l'humeur). En fait certains patients vont tellement bien, qu'ils commencent à changer radicalement de personnalité et faire n'importe quoi. Par n'importe quoi on entend :
  • Une appétence pour les jeux, en particulier les jeux de hasard et les jeux d'argent, au point parfois de se ruiner.
  • Une hypersexualité avec une appétence pour les sites classés X et un recours à la prostitution.
  • Des achats compulsifs, en particulier d'objets inutiles.
  • Une forme de boulimie mais sans affect.
  • Du hobbyisme (un anglicisme sans équivalent strict en français) qui est l'addiction à des activités répétitives sans but comme la lecture pour la lecture ou l'errance sur internet.
  • Le collectionnisme, ou pour être précis l'accumulation d'objets inutiles au point de finir avec un syndrome de Diogène en rendant l'habitat insalubre.
  • Le punding (là encore un anglicisme sans équivalent strict) qui est une sorte de tic complexe où les individus ne peuvent s'empêcher de toucher ou manipuler les objets dans tous les sens.
  • Et enfin des troubles du comportement avec une tendance à l'agressivité ou au vol.
Bref si vous n'avez pas oublié le début de ce texte, on a quelque chose qui ressemble très exactement à ce que j'ai décrit comme une perte d'inhibition.

Maintenant on va essayer de mettre tous ces packs en ensemble.
On a donc des médicaments de la maladie de Parkinson qui en améliorent le signes moteurs tout en provoquant des effets secondaires indésirables qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à ce qui se passe chez une personne qui perd sa capacité à contrôler son impulsivité. On a vu que dans le cerveau, il existe à tout moment un conflit entre des zones qui veulent nous faire agir immédiatement sans tenir compte des conséquences, et d'autres qui veulent nous faire temporiser nos actions en tenant compte de notre expérience, de nos mémoires, du bénéfice que nous pouvons obtenir et des risques que nous prenons, et nous avons vu que ce conflit semble tranché par une structure qui se nomme le noyau accumbens.

Bon.

C'est déjà pas mal.

On peut donc comme ça, sans aller beaucoup plus loin, échafauder l'hypothèse que les agonistes dopaminergiques, d'une façon ou d'une autre, modifient le fonctionnement du noyau accumbens pour lui faire préférentiellement choisir le comportement les plus immédiat au mépris des conséquences.

C'est une jolie hypothèse mais encore faut-il la démontrer. Et ça tombe bien parce que c'est très exactement ce que font les expériences avec un agoniste particulier (le PRAMIPEXOLE) quand on observe ce qui se passe avec dans le noyau accumbens avec une IRM fonctionnelle. 

Et c'est là que ça devient intéressant et que vous allez, je vous le souhaite, comprendre pourquoi dans les pathologies neurologiques, le manque d'efficacité des traitements n'a pas grand-chose à voir avec des notions de bonne ou de mauvaise dose.

Je vais vous donner les références nécessaires à la fin de ce texte mais en attendant voilà ce qu'il faut comprendre :
Le noyau accumbens est sensible à la Dopamine. Sans Dopamine il ne fonctionne pas. S’il ne fonctionne pas, il ne fait pas de choix, les patients ne sont pas capables de prendre une décision et son apathiques. Ils ne font rien (ou pas grand-chose) mais sans que cette inaction n'entraine chez eux une quelconque réaction émotionnelle. C'est la raison pour laquelle on dit que l'apathie est une dépression sans tristesse.

Maintenant si on donne de la Dopamine au noyau accumbens il va pouvoir fonctionner. Mais selon la façon dont il reçoit la Dopamine, il va réagir très différemment. S’il reçoit de la Dopamine de façon continue (ou pour être exact si le noyau est stimulé par des neurones dopaminergiques de façon continue), il va plutôt arbitrer en faveur de la temporisation lors d'un choix. A l'inverse, si le noyau accumbens est stimulé de façon discontinue (par phases), il va arbitrer en faveur de l'action immédiate et ce quelles que soient les conséquences.

Bref on n'est pas ici dans une notion de dose, mais de fréquence d'un signal. A dose identique, selon que la Dopamine est distribuée de façon continue ou pulsatile, les conséquences seront totalement opposées. 

Chez une personne normale, le Dopamine est secrété à la goutte prés (c'est une image) selon les besoins. Le noyau accumbens est stimulé de façon continue et il favorise les décisions qui prennent en compte les conséquences de nos actes et inhibe notre impulsivité. Chez les sujets malades, l'absence de Dopamine ne permet plus au noyau accumbens de fonctionner et les patients ne sont plus capables de prendre des décisions. Ils deviennent apathiques. Si on traite les patients avec de la L-Dopa, et surtout si on leur donne des toutes petites doses et très fréquemment, on fait fonctionner le noyau accumbens à nouveau, et on le fait fonctionner d'une façon assez proche de la normale. En revanche si on traite les patients avec des agonistes dopaminergiques, en raison de leur cinétique dans le sang puis dans le cerveau, on provoque des fluctuations de stimulation du noyau accumbens qui le fera agir de façon anormale en favorisant les réactions les plus impulsives.

Du coup on se retrouve dans une situation thérapeutique paradoxale.
On a une maladie qu'il faut traiter.

On peut la traiter avec une molécule, la L-Dopa, qui se rapproche beaucoup des effets de la Dopamine naturelle mais qui, pour justement se rapprocher le plus de ces effets naturels, doit être administrée en prises très fragmentées. Très fragmentées ça signifie au minimum toutes les quatre heures, mais dans l'idéal toutes les trois, voire toutes les deux heures. Et tout ça pour rester dans la norme. 

On peut aussi traiter avec des agonistes dopaminergiques, dont le mécanisme d'action implique, pour éviter les effets secondaires cognitifs, de ne pas être pris de deux ou trois fois par jour, ce qui n'est pas une garantie contre l'apparition des troubles de l'impulsivité. Or, pour un individu (vous, moi), en termes de qualité de vie, il est préférable d'avoir des traitements à la fréquence de prise faible. Et pour compliquer les choses, pour ce même individu (toujours vous ou toujours moi) il est bien plus satisfaisant d'avoir un comportement impulsif. Pour le dire autrement, si vous êtes un patient vous vous retrouvez un peu comme dans Matrix : d'un côté vous avez une pilule bleue qui va fortement contraindre votre existence, tout ça pour conserver un comportement raisonnable (et encore), et de l'autre côté une pilule rouge, qui ne va presque pas vous contraindre, et vous offrir une existence ou vous n'avez plus à réfléchir aux conséquences de vos actes. Si vous hésitez sachez que vous n'êtes pas les seuls, et que les agonistes ont donné lieu à de multiples procès, soit intentés contre leur neurologues par des patients qui se sont ruinés, commis des vols ou des agressions sexuelles en raison de leur traitement, soit intentés par des familles, contre le neurologue de leur proche, parce que le proche en question, en raison de son traitement, était heureux d'être impulsif et refusait de changer de traitement. 

Si ce sujet vous intéresse, en plus de autres articles consacrés à la L-Dopa, à la maladie de Parkinson et aux troubles apparentés, que vous trouverez sur ce blog, je vous conseille la lecture de cet article de revue en accès libre : Neurobiology and clinical features of impulse control failure in Parkinson’sdisease - https://doi.org/10.1186/s42466-019-0013-5