26.8.21

#UnLapinUnThread | L'absence d'unicité du soi.

Un truc classique qu'on apprend en neuro mais qu'on ne voit presque plus.
un truc qui illustre à quel point l'unicité du soi (de la conscience) est une illusion 
à laquelle vous ne devriez pas vous accrocher.

Nous sommes en 1939. Période riante et insouciante où les petits chemins sentent la noisette et où Willam Van Wagenen fait de la neurochirurgie. Enfin quand on dit "fait de la neurochirurgie", il faut le comprendre dans le contexte de l'époque : William est un gros bourrin qui pense que le cerveau c'est pas très différent d'un fémur ou d'une moissonneuse batteuse, et que si ça cassé, faut en couper un morceau. Et William a une spécialité, l'épilepsie. Et il est fin observateur William. Un jour de 1930 on lui présente un cas particulier. Une personne qui fait des crises d'épilepsies généralisées depuis des années, n'en fait plus que sur la moitié de son corps. Et meurt. C'est embêtant. Alors William lui ouvre le crâne et découvre que cette personne a une grosse tumeur au milieu du cerveau, à travers un truc qui s'appelle le corps calleux, et qui est une structure faite de fibres reliant les deux hémisphères. 

NB1 : vous avez donc vous aussi un corps calleux. 

Alors William réfléchi très fort, et se dit que si la personne ne faisait plus que des moitié de crises d'épilepsie, c'est parce que la tumeur avait coupé le corps calleux. Et que par conséquent, les anomalies électriques de la crise ne pouvaient plus passer de l'autre côté. Ça lui prend quand même neuf ans cette réflexion.

William il est pas vif vif non plus.

Du coup en 1939 il a une idée : et si on coupait en deux le cerveau de tous les épileptiques qui font des crises généralisées ? Hein ? Dites ? La question est purement rhétorique parce qu'en pratique il le fait pendant 4 mois sur 10 patients.

Et il est très content du résultat. Mais vraiment. Content content content parce que :

  • effectivement les patients ne font plus que des moitié de crises d'épilepsies.
  • ils ont l'air parfaitement normaux. Un peu (mais vraiment à peine) plus débiles certes mais sans plus.

Sauf que le temps passe, les gens sont occupés à faire la guéguerre un peu partout sur la planète et la priorité n'est plus vraiment à l'étude des conséquences de ce traitement chirurgical radical. Et puis les patients meurent de mort quasi naturelle et on les oublie tout court. Les études reprennent vers 1962 et là on découvre que ces patients "normaux" ne le sont pas tant que ça. En fait quand on leur demande par exemple d'identifier à l'aveugle des objets avec leur main droite, ils y arrivent sans problème. Mais avec la main gauche, il en sont non seulement incapables mais en plus ils le nient (on appelle ça une agnosie).

En pratique ça donne :

- Simone, mettez votre main droite dans ce sac et dites moi ce que vous trouvez !

- Une pince à linge Guy.

- Parfait, maintenant mettez la main gauche. Que trouvez-vous ?

- Rien.

- Ah bah si Simone, y'a forcément une pince à linge

- Non je vous assure.

- Ok regardez dans le sac et dites-moi ce que vous voyez.

- Oh, une pince à linge... Mais vous êtes un magicien Guy !

En pratique, non Simone n'est ni mythomane ni débile, mais elle ne peut ni identifier les objets avec sa main gauche, ni se rendre compte qu'elle ne peut pas. Des expériences comme ça il y'en a beaucoup, je vais pas toutes vous les décrire, sauf une autre.

Ici le patient s'appelle Maurice et Maurice est devant un écran ou chaque moitié de champs visuel voit un écran différent. Sur le champ visuel droit on lui montre 6 ronds verts et on lui demande ce qu'il voit. Et Maurice répond qu'il voit des ronds verts. Mais comme on est exigeant, on lui demande combien il en voit.

Et Maurice s'étonne : comment ça "combien" ? Y'a des ronds verts, c'est tout.

On fait pareil de l'autre côté (on parle bien de champs visuels et pas d'oeil. C'est à dire que chaque œil ne voit deux images, une à gauche et une à droite).

On lui pose la même question, et Maurice ne répond pas.

Puis on lui montre l'image en une seule fois. Maurice commence par dire qu'il ne peut pas compter les ronds verts. Puis sa main gauche se met à taper la table. Maurice est surpris parce qu'il ne le fait pas exprès. Et elle tape 6 fois. Alors Maurice hésitant, dit...6 ronds ?

C'est rigolo, ça fait séance de spiritisme.

NB2 non c'est pas tatie Jeanne qui a pris le contrôle de la main de Maurice depuis l'au-delà.

Mais du coup que se passe-t-il chez Simone & Maurice ? 

Et bien ils ont (attention terminologie super compliquée) : des signes d'AKEILAITIS (Andrew pour les curieux) traduisant une dysconnexion calleuse. Là. Comme ça demain devant la machine à café vous serez couverts de gloire.

Mais en pratique ça veut dire quoi ?

En pratique, certaines fonctions cognitives n'existent que dans un seul hémisphère. Et si on coupe la communication entre les deux (c'est ce à quoi sert le corps calleux), les hémisphères ne peuvent plus communiquer normalement entre eux. Parler ça se fait à gauche, reconnaître les objets ou compter ça se fait à droite. Quand on demande à Simone ce qu'elle perçoit avec sa main gauche (donc avec son cerveau droit) elle en est incapable. Parce que quand on cause à Simone, elle répond avec son cerveau gauche. Donc l'hémisphère qui peut répondre parce qu'il a accès à la parole, ne peut pas donner la bonne réponse, cette dernière n'étant connue que de l'hémisphère droit.

Et chez Maurice ?

Chez Maurice c'est presque pareil sauf que, l'audition étant répartie sur les deux hémisphères, l'hémisphère droit de Maurice, même s'il ne comprends pas le langage (qui a gauche) a déduit la question. L'hémisphère droit de Maurice ne peut pas communiquer avec l'hémisphère gauche de Maurice, mais il doit commander sa main gauche. Et c'est ce qu'il a fait en tapant la table. Six fois. L'hémisphère gauche de Maurice ne sait pas compter. Mais il connaît la suite 1,2,3,4,5,6. Ça c'est pas du calcul c'est de la récitation. En récitant les mots de cette suite autant de fois que la main a tapé, l'hémisphère gauche de Maurice a pu dire "6" sans comprendre le concept.

Bon donc c'est très rigolo mais quel rapport avec la conscience ?

Reprenons le cas de Maurice. Avez-vous bien réfléchi à sa situation. Quand Maurice parle, c'est uniquement son hémisphère gauche qui le fait. Pourtant, l'hémisphère droit de Maurice, celui qui ne peut pas parler, comprend des trucs et essaye lui aussi de communiquer. Ce qui veut dire....qu'il y a... deux Maurice•s dans la tête de Maurice. Deux Maurice identiques au début, qui deviennent deux Maurice distincts, chacun étant conscient de son environnement, avec l'un capable de parler, de s'exprimer, de donner son avis, et un autre Maurice, tout aussi conscient, spectateur muet de son autre moi.

C'est bizarre ? Ça vous met mal à l'aise ? Ça vous fait flipper à l'idée que cela pourrait vous arriver que que vous avez une chance sur deux d'être le mauvais Maurice ?

Mais peut-être ai-je tort. Peut-être que seul le Maurice de gauche est pleinement conscient. Hmmm ?

Alors laissez moi vous parler du signe (au singulier) d'AKELAITIS (toujours le même). Son autre nom est dyspraxie diagonistique ou comportement conflictuel intermanuel. Dans diagonistique on reconnaît "Di (comme deux)" et "agoniste (comme contraire ou en conflit)".

Cliniquement ça donne ceci : Yolande, qui a une section du corps calleux, se coiffe avec une brosse dans sa main droite devant son miroir. Soudain, sans qu'elle ne puisse s'y opposer, sa main gauche vient saisir la brosse, l'arrache de la main droite, et la jette. Un peu affolée, Yolande reprend la brosse avec sa main droite, et tente de se coiffer. À nouveau sa main gauche vient saisir de force la brosse dans sa main droite, et lui coiffe les cheveux d'une façon totalement différente de ce que Yolande souhaite. Si vous avez bien suivi, le problème de Yolande, c'est qu'elle n'est pas Yolande. Elle est Yolande de l'hémisphère gauche. Et dans son hémisphère droit, il y a Yolande de l'hémisphère droit. Qui est également consciente, et qui ne veut plus subir les goûts de Yolande de gauche.

Et ça, ça se voit encore lors de certaines tumeurs du corps calleux, puisque de nos jours, on ne le fend plus exprès pour le fun comme le faisait Van Wagenen.