14.9.21

#UnLapinUnThread | C'est quoi un cerveau ?

Si j'arrive à synthétiser mes idées,
vous allez totalement revoir votre façon de comprendre le cerveau
et on va même utiliser des mots compliqués, Imhotep et les matheux


Préambule. 

Pour comprendre en quoi on est en train de revoir la notion même de cerveau et de neuroanatomie, il faut déjà comprendre ce que l'on pensait comprendre (!).

Et pour cela il faut comprendre d'où l'on vient.

Alors on va faire un peu d'histoire.

Il est mince, il fait beau (oui parce qu'on ne sait sait pas si le héros en lui-même l'était), il sent bon le sable chaud... Et notre héros est une sorte de légionnaire. Nous sommes quelque part au XXVII (27e) siècle avant notre ère en Égypte. 

On va l'appeler Bob.

Pour une raison inconnue 48 siècles et quelques semaines plus tard, Bob a été blessé à la tête. Salement blessé même parce que son crâne bouge et qu'on peut sentir un truc mou en dessous.

On va pas se le cacher, Bob va mourir. Mais pas tout de suite. Avant de mourir, Bob va être vu par un architecte, médecin, sculpteur sur bois et fan de curling, bref par un savant universel de l'époque : Imhotep.

Je vous laisse découvrir sa vie sur wikipédia parce que même si elle est fascinante, ce n'est pas le sujet du jour. Imhotep examine Bob, qui râle parce qu'il a mal. Il délire même.  Et là Imhotep fait une très étrange découverte.

Quand Imhotep appuie sur le crâne de Bob à droite, Bob a très très mal et le dit : "...grrrrmmmpphhh vire ta main où je te bute..."

Mais quand Imhotep appuie sur le crâne de Bob à gauche, Bob a mal mais ne dit rien. Il fait "... grrrrmmmpphhh..." et puis c'est tout.

Imhotep étant un scientifique, il recommence l'expérience plusieurs fois :

- droite : "je vais te buter sal"

- gauche :"hmm"

- droite : "...e pervers, recomm"

- gauche :"hmm"

- droite : "...ence est je t'allu"

- gauche :"hmm"

Puis Bob meurt. Et Imhotep va boire un coup. Puis après sa pause déjeuner, Imhotep note ses observations sur un parchemin qui lui-même sera recopié a de multiples reprises. 

Une des ces copies datée du XVe siècle avant notre ère sera retrouvée en 1862 et baptisée Papyrus Ebers (là encore wikipédia est votre amie). Sans le savoir Imhotep a découvert que la zone du langage se situe à gauche et que si on l'écrabouille elle fonctionne moins bien. Le problème est que pour comprendre ce qu'il a vu, il aurait fallu qu'il ait acquis le concept d'aires corticales qui sera inventé 3000 ans plus tard. Faisons un bon dans le temps en enjambant les empires perses, la Grèce Antique, Cléopâtre, Rome, les dynasties Liao, Jin, Yuan et Ming, ainsi que la chute de Byzance et la découverte des Amériques pour nous retrouver chez un autre savant universel vivant en Hollande : Descartes.

Du temps de Descartes la compréhension du fonctionnement du cerveau a fait de gros progrès. Descartes sait qu'il existe une chose molle et grise qui reçoit des informations de l'extérieur et commande les muscles.

C'est encore léger mais y'a du mieux. Les choses deviennent intéressantes avec deux pré neurologues : Gall et Broca. Les personnages sont détestables et le premier cinglé mais ils ont fait franchir à la connaissance du cerveau un bon majeur :

Ils ont fait comprendre que le cerveau n'est pas une grosse masse gélatineuse indifférenciée dont chaque partie en vaut une autre comme un foie, un poumon ou un rein...

Mais...

Une juxtaposition de zones qui sont spécialisées dans une fonction. C'est le début de la neuroanatomie. Cela signifie que votre bras gauche est commandé par une zone très précise de votre cortex cérébral droit, ou que votre vision de ce qui se passe en haut à droite et perçue par une région en bas à gauche de la région postérieure du Cortex. Et l'apogée de cette compréhension est atteint dans la deuxième partie du XIXe siècle avec les 52 aires corticales de Brodmann. Du coup l'aire 4 ça fait bouger le bras, l'aire 43 permet la perception du goût et 44+45 permettent de parler.

En 2021, cette segmentation est toujours valable.

Mais....

À partir de là les choses se compliquent. 

Beaucoup.

Je vais donc essayer d'être encore plus simple.

Dans le model de Brodmann, tout se passe comme si un cerveau était une collection de petits organes, chacun spécialisé dans une seule tâche, et qui sont vaguement coordonnés entre eux.

Une aire corticale pour entendre et une aire corticale pour comprendre.

Une aire pour voir et une aire pour lire.

Une aire pour compter et une aire pour parler.

Une aire pour caresser et une aire pour attraper ce que l'on a caressé.

Etc...

Malheureusement, ce modèle est plein de failles. Où se trouve l'aire la conscience ? Où se trouve l'aire de la motivation, de la joie ou de la tristesse ? Où se trouve l'aire du plaisir du jeu et de la récompense ? Où se trouve l'aire de la mémoire ? 

Brodmann ne le dit pas.

Alors on a essayé de chercher. 

De trouver des aires plus petites, plus cachées. Et ça a été un fiasco. Parce que certaines fonctions ne sont pas sur des aires mais sur un ensemble de régions qui forment un réseau. Et a force de chercher on a commencé par trouver des tonnes de réseaux. Ça par exemple c'est une version ultra simplifiée des super grands réseaux. Et quand je dis simplifié c'est pas une boutade. Chaque petit rectangle est lui-même une sommes de plusieurs réseaux locaux.



Résumons nous :
  • Imhotep : le truc gris coupe la parole quand on appuie dessus.
  • Descartes : le truc gris reçoit des informations et émet des ordres.
  • Gall : le cerveau est la somme de petits cerveaux dont on ignore la fonction.
  • Brodmann : le cerveau est la juxtaposition d'aires spécifiques vaguement coordonnées.
  • Années 1980 - 2000 : le cerveau est un ensemble de réseaux et de sous réseaux qui fonctionne de façon intriquées. 
Sauf que...

Ça marche toujours pas pour expliquer tout ce qu'on constate. Dans l'histoire on sait toujours pas où est LA conscience. Mais même sans aller aussi loin, il y a des des choses plus triviales qui sont difficilement compréhensible.

Par exemple :

  • Bob1 a une lésion et une aptitude cognitive ne fonctionne plus.
  • Bob2 a une autre lésion que Bob1 et pourtant il a exactement le même trouble que Bob1
  • Bob3 a une lésion mais il ne se passe rien.
  • Bob4 a lésion différente de Bob 3 mais il ne sa passe rien non plus.
  • Mais Bob5 a à la fois les lésion de Bob3 et Bob4 est il est super handicapé.

Et si vous êtres perdus, il y'a pire.

Bob1 qui n'a pas de bol, est victime d'une deuxième lésion, et du coup, au lieu d'aller encore plus mal, il va mieux. Bref... C'EST LE BORDEL

Du coup quand c'est le bordel, on fait un pas en arrière, on se pose, on boit un café lait caramel double dose de sucre sans café, et on réfléchit. Et comme on ne comprend toujours pas, on va demander de l'aide à un ami. Le problème c'est que les neurologues n'ont pas d'amis. Du coup il faut demander de l'aide à un autre groupe de personnes qui n'ont pas d'amis, que personne ne comprend, et qui en sont très heureux : les mathéux.

Et les mathématiciens, les aires corticales, la cognition, les neurotransmetteurs, ça ne leur parle pas. 

Par contre les réseaux, ça leur parle énormément. Ils ont même une sous discipline qui leur est en partie dédié : la théorie des graphes. Et les mathématiciens ont plein de modèles de graphes différents. Des tonnes. Ils sont très créatifs ces gens là (même si cela semble difficile à croire).

Et quand on leur explique ce qu'on sait sur le fonctionnement du cerveau, et ce que l'on ne comprend pas... Les mathématiciens répondent : ah mais oui mais c'est bien sûr, on a un truc pour vous aider à modéliser votre bordel biologique : c'est le Rich-Club coefficient. Alors de la même façon qu'un matheux fait peine quand il tente d'expliquer le lobe frontal, je ne vais pas me ridiculiser en tentant d'expliquer ce que ce truc signifie mathématiquement. 

Je vais par contre vous expliquer ce que cela représente neurologiquement. Et c'est pas si compliqué. 

On a donc un cerveau qui est un ensemble de réseaux, eux-mêmes groupés en réseaux, et ainsi de suite sur plusieurs niveaux. Ces réseaux sont physiquement constitués de neurones et des connexions entre ces neurones. Certains petits réseaux sont connectés à très peu d'autres petits réseaux. 

D'autres sont reliés à tout le monde. Une analogie avec notre quotidien seraient les réseaux de transport en commun ou internet (trop facile). La Réole (oui je sais c'est absurde, mais il existe une ville en France qui porte ce nom) a un réseau de bus.

Il est pratique pour se déplacer dans La Réole (même si je n'en vois pas l'intérêt).

Il existe également une ville qui s'appelle Libourne. Qui a aussi un réseau de bus.

Cependant aucun des deux ne permet d'aller dans l'autre ville. Pour cela il faut prendre un train qui passe par Bordeaux. Et ce bien que Bordeaux ne soit pas du tout entre Libourne et La Réole.

Ce qui est important de comprendre ici, c'est que peu importe que votre passion soit de faire du bus à la Réole et à Libourne, vous devez quand même prendre un train et passer par Bordeaux.

Et puis de l'autre côté de la France il y a une autre grande ville qui est un passage obligatoire pour joindre des villes plus petites : Lyon.

Pourtant, malgré l'importance de Bordeaux et Lyon, si vous voulez aller de l'une à l'autre en train, vous êtes obligés de passer par Paris, même si Paris n'est pas du tout entre Bordeaux et Lyon.

Là encore, ici l'important à comprendre est que peu importe que vous vouliez allez de Saint Rambert d'Albon à la Réole. Ce qui compte c'est que vous devez passer par Lyon, Paris et Bordeaux.

Autrement dit, il existe dans le réseau de transport des point qui sont névralgiques et qui sont un passage obligé et ce quel que soit votre point de départ et votre point d'arrivée. 

Dans un cerveau c'est pareil. Vous êtes une fonction qui prononce un mot quand il entend un son ? Vous êtes un souvenir qui émerge quand l'œil voit une image ? Vous êtes un plaisir qui se manifeste quand vous sentez le contact des coussinets d'un chat ? Ça n'a aucune importance, pour exister vous devrez emprunter certains points stratégiques du cerveau. 

Le Rich Club est l'outil qui permet d'identifier ces zones cérébrales à partir de l'imagerie structurelle, fonctionnelle et des fibres en IRM. En pratique ça donne quelque chose comme ça.... (la source sera à la fin).




Qui devient comme ça...



Pour finir comme ça (en vrai non, et quelque par je trahis légèrement l'intention des auteurs de cet article, mais c'est très bien pour illustrer mon propos).



Qu'est ce que ça, et en particulier ces jolis dessins, veulent dire très concrètement si on veut redescendre sur terre ?

Cela veut dire que lorsque vous voyez ça et qu'on vous dit que c'est un cerveau....



C'est aussi vrai que lorsque vous voyez ça et qu'on vous dit que c'est un réacteur nucléaire. C'est faux.


Un cerveau est un ensemble de nœuds (le terme anglais Hub est plus précis) de réseaux de neurones de criticité variable. Ce réseau est adaptatif. Et les nœuds les plus critiques régulent et assurent le traffic permettant l'existence de fonctions cognitives multiples. Cela veut dire que si vous avez une lésion neuro (vasculaire, inflammatoire, neurodégénérative, autre) on se tape complètement de savoir si elle longue, large, épaisse, étendue, ou toute petite. 

La seule chose qui compte est de savoir combien de hubs critiques sont touchés. Une autre fois on verra ce qui en découle au niveau de la prise en charge. Mais en forme de cliffhanger, je vais terminer sur ceci, ces hubs contrairement à ce qu'on croyait, peuvent se modifier dans le temps. Ce qui signifie, que contrairement à la légende, il est toujours possible, sous certaines conditions, de rééduquer quelque chose dans un cerveau lésé.