On va causer des jeux vidéo et de la cognition.
Si vous avez déjà lu des textes sur ce blog, vous remarquerez que cette introduction est anormalement courte. On va donc l'étoffer un peu.
Je ne sais pas comment traiter correctement ce sujet. En soi il est tellement vaste, qu'il me faudrait un blog entier pour en parler, et à la vitesse à laquelle la recherche avance dans ce domaine, il me faudrait une veille importante pour essayer de suivre ce flots de nouvelles informations.
Du coup, je vous propose une approche un peu différente, en restant dans la lignée de ce que j'ai déjà publié ici, c’est-à-dire présenter des notions très basiques, puis regarder comment on peut les associer pour comprendre des notions plus complexes.
On va donc commencer en révisant un peu.
Le cerveau est un terme générique. Il désigne un ensemble de plusieurs cellules, travaillant en réseau, pour assurer un nombre important de fonctions, dont certaines sont dites cognitives. Contrairement à une idée reçue, l'unité de base du cerveau n'est pas le neurone (c'est juste une cellule) mais les réseaux.
Cette première notion est essentielle à comprendre pour la suite.
Un réseau de neurones est une entité fonctionnelle, qui, à partir de données extérieures, va en produire d'autres. Un réseau peut comporter de quelques neurones à plusieurs milliers. Il peut recevoir des informations directement depuis des organes sensoriels, ou d'autres réseaux. Il projette à son tour ses informations vers d'autres réseaux ou plus rarement sur un organe effecteur (un muscle, une glande etc…).
Bref, un réseau est une unité fonctionnelle de traitement de données. Et chaque réseau est spécialisé dans un seul type de traitement de données.
Pour vous donner une idée de cette surspécialisation, vous avez des réseaux qui sont exclusivement spécialisés dans la reconnaissance au sein d'un signal visuel, de ce qui bouge de haut en bas par exemple. Il ne font que ça. Il ne reconnaîtrons ni ce qui bouge de gauche à droite, ni même ce qui bouge de bas en haut.
Autre point important, un réseau est en entité plastique. Un réseau est capable d'améliorer sa capacité à traiter une information. En fait, plus un réseau est actif, plus il est sollicité, plus il est efficace. Un réseau est également une entité résiliente. Il peut s'adapter en cas de perte de moyens (s'il perd des neurones, il va s'adapter pour continuer à accomplir sa tâche avec ceux qui restent).
Autre notion : la hiérarchie. Les réseaux sont hiérarchisés. Et en plus il sont séquencés. Vous allez voir c'est très facile à comprendre.
Globalement, dans le cerveau, l'information vient de l'extérieur (de vos organes perceptifs). Cette information est analysée par des réseaux dits primaires, qui sont situés dans des aires corticales (des régions du cortex) également dites primaires. On ne va pas rentrer dans tous les détails, mais en gros les centres primaires vont décortiquer les données puis les passer à des centres secondaires qui eux-mêmes vont les refiler à des centres tertiaires.
Au cours de ces étapes, l'information d'origine aura été totalement décomposée, analysée dans ses moindres détails, comparée à tout ce qui a déjà été vécu et va finalement provoquer une réaction.
Si cela vous semble compliqué on peut faire comme dans un épisode de "Il était une fois la vie" :
Les yeux voient un truc. Les centres primaires disent que c'est plutôt sphérique, formé de sous sphères, que c'est rouge violet. Les centres secondaires reconnaissent que c'est un fruit, probablement une framboise. Des centres tertiaires comparent cette information à ce qu'ils savent sur les framboises, et dans le contexte de l'auteur de ce blog, identifient un danger et provoquent une réaction d'urgence, conduisant à la destruction par le froid de ce fruit maléfique (j'aime pas les framboises).
Troisième notion : la prise de décision.
Une fois qu'une information a été analysée, évaluée, comparée etc… arrive un moment où il va falloir en faire quelque chose.
Il va falloir décider si cette information doit entrainer une réaction comportementale, et si oui laquelle, et dans quel délais. Les mécanismes qui permettent la prise de décision ne sont pas encore bien élucidés. Ce qui est le plus probable, c'est qu'à chaque nouvelle information, des réseaux de neurones simulent son impact sur notre avenir, puis lui attribuent l'équivalent d'un score de bénéfice et de risque. Plus la simulation aura été longue, et plus cette simulation aura pu faire appel à des expériences déjà vécues identiques, et plus elle aura un bon score prédictif.
On va re simplifier un coup pour être sûr que vous compreniez.
Exemple 1 : Il est 8 heure du matin. Vous devez être au boulot à 8 heure du matin. Sauf que là vous êtes dans votre lit. Sans faire aucun effort particulier, vous savez que c'est mort et que vous êtes mal. Vous êtes d'ailleurs déjà en train d'extraire de votre mémoire tous les épisodes de retard identiques, pour voir comment faire du damage control, mais malgré le long moment que vous consacrez à cette réflexion, vos conclusions restent les mêmes : vous êtes très très mal. Et comme c'est plié, vous décidez de vous recoucher parce que vu ce que vous allez prendre dans quelques heures, autant finir votre nuit.
Exemple 2 : Il est 7h15 du matin. Vous devez être au boulot à 8 heure du matin. Sauf que là vous êtes dans votre lit. Une analyse poussée de votre mémoire vous rappelle qu'en courant comme une dératée, vous avez une chance faible, mais réelle, d'attraper votre bus. Problème, vous êtes toujours dans votre lit. Votre temps est compté, vous n'avez pas de temps à consacrer au choix de vos vêtements. Vous prenez les premiers trucs qui vous passent sous la main, et foncez. Faute de temps et de réflexion vous vous apercevez, la bave aux lèvres et le souffle court, que vous êtes arrivé à temps à l'arrêt de bus, mais que vous avez mis votre déguisement de Pikachu. Le bus arrive et il vous reste à décider s'il vaut mieux aller comme ça au boulot, ou s'il faut déclarer forfait, rentrer, vous changer et arriver en retard. Pendant les quelques instants qui restent avant que le bus n'ouvre ses portes, vous essayer d'imaginer toutes les réactions possibles de vos collègues de bureau. Ce temps est trop bref pour vous permettre de faire une prédiction efficace, et de guerre lasse, vous rentrez chez vous vous recoucher, parce que vu ce que vous allez prendre dans quelques heures, autant finir votre nuit.
Exemple 3 : il est 5h00 du matin. Vous devez être au boulot à 8 heure du matin. Et là vous n'êtes pas dans votre lit. Ce matin vous allez rencontrer MegaBigBoss et vous devrez la convaincre de vous confier un truc qui vous tient à cœur. En fait vous avez passé un nuit blanche. Vous connaissez votre argumentaire par cœur. Vous l'avez d'ailleurs répété devant vos amis, devant votre miroir, devant votre chat et même devant votre bouteille de Yop gout vanille de la Réunion. Vous avez également revu toutes les notes et décisions de MegaBigBoss. Sur ses 215 dernières décisions, vous savez constaté qu'elle donnait son accord 1,32 fois plus souvent lorsqu'elle avait sous les yeux un PowerPoint écrit en jaune sur fond bleu. Mais vous savez aussi qu'elle répète systématiquement que les PowerPoint écrits en jaune sur fond bleu témoignent d'un esprit englué dans les années 1990. Vous avez donc essayé toutes les combinaisons de bleu anthracite et de jaune qui tire sur le gris. Le résultat est super moche d'après tous vos réseaux de neurones y compris ceux qui sont en charge de se souvenir du jour où il faut sortir les poubelles. Bref vous êtes en panique et malgré toutes vos simulations, vos prédictions vous annoncent un échec. En même temps, vous savez que lorsque vous paniquez vous êtes défaitiste, alors vous y allez quand même. Pas de bol, vu le temps que vous y avez passé, vos prédictions étaient justes, MegaBigBoss a trouvé votre PowerPoint si moche qu'elle ne vous a pas écouté. Vous vous retrouvez du coup dans votre lit, et pour accuser le coup, vous avez enfilé votre déguisement de Pikachu et buvez votre Yop vanille.Dans ces trois exemple, ce qui compte c'est de bien comprendre que vos décisions ont d'autant plus de probabilité de vous faire parvenir au but que vous vous êtes fixé, que vous avez la quantité de réseaux neuronaux disponibles pour simuler des scénarios, et du temps pour faire tourner ces simulations.
Et comme je vous ai dit que les réseaux s'adaptent et croissent en efficacité à chaque fois qu'on les sollicite, plus vous les utilisez, plus le pouvoir prédictif de vos simulations sera élevé.
Ce qui nous amène enfin aux jeux vidéo d'une part, et à un commentaire sur ceux qui n'en voient pas le potentiel d'autre part.
Depuis le début de ce texte, je vous ai donné des exemples en personnifiant les réseaux de neurones.
C'est pratique quand on veut illustrer un propos, mais bien évidemment c'est n'importe quoi. Un réseaux n'est pas conscient de lui-même, ni n'a de connaissances sur la façon dont les informations qu'il va traiter ont été modifiées avant de lui parvenir, ni n'est informé de comment l'information qu'il va produire va être utilisé in fine. Un réseau de neurones est un outil biologique qui à partir de l'information A, B, C… qu'il va recevoir va produire une information D. Et plus il va le faire, mieux il va le faire.
Un jeu vidéo est avant tout un programme informatique qui vous propose une succession de stimuli, d'information, de données, et qui, selon comment vous allez y réagir, vous en proposera d'autres.
Dit comme ça on n'pas vraiment l'impression que je vous décrit Read Dead Redemption 2 mais plutôt un appareil qui synthétise du surimi gout ananas. C'est pourtant du point de vue du cerveau très exactement comme ça que cela se passe, à un détail prés. Ce détail c'est la motivation et la récompense. Jouer à un jeu vidéo est un phénomène engageant, car cette activité produit une récompense sous la forme de plaisir.
Jusqu'à maintenant je n'ai pas du tout évoqué cet aspect de la cognition. On a parlé de réseaux, on a parlé de hiérarchie, on a parlé de prédictions, on a parlé d'élaboration de scénarios, mais on n'a pas parlé de motivation.
Toutes les décisions prises par votre cerveau, toutes, sans exceptions, le sont à l'aune d'une seule question : quelle est le comportement qui selon le terme (le temps) considéré, va m'apporter le plus de plaisir. Si j'ai faim, est-ce qu'il vaut mieux que je mange un steak surgelé tout de suite, ou est-ce qu'il vaut mieux que je patiente le temps de le cuire ? Si MegaBigBoss m'a jeté sans même écouter mes arguments, est-ce qu'il vaut mieux que j'exprime ma colère en l'insultant, ou est-ce que je dis rien parce que l'idée de me retrouver muté à l'ARS de Guyane me provoque encore moins de bien-être ? Cette recherche de plaisir, qui peut impliquer l'acceptation transitoire d'un déplaisir si la récompense attendue est importante, est au centre de ce qui crée la motivation.
Un jeu vidéo est donc un programme informatique qui vous propose de réagir à certaines situations plus ou moins abstraites, et vous vous allez le faire parce cette réaction va vous provoquer un plaisir.
On pourrait discuter ici du pourquoi du plaisir du jeu, mais ce n'est pas le sujet de ce texte.
Le sujet reste la plus-value du jeu vidéo sur la cognition.
Alors résumons-nous.
Vous avez un cerveau. Ce cerveau contient des réseaux de neurones. Ces réseaux sont des outils capables de s'améliorer dans le temps avec une efficacité qui s’accroît à chaque fois qu'on les utilise, et ce quel que soit le contexte dans lequel on les utilise. Chacun de ces outils a une tache spécifique et une seule. Les plus développés, les plus complexes, sont ceux qui permettent de faire de la prospection, c’est-à-dire ceux qui permettent d'extrapoler à partir de ce que nous percevons et de ce que nous savons, ce qui va se produire si nous adoptons un comportement donné. Et plus nous sollicitons ces circuits, plus leur capacité d'extrapolation sera importante, et plus il nous sera facile de prendre la décision d'adopter un comportement qui in fine nous apportera un récompense.
Un jeu vidéo permet de créer un contexte qui exige un réaction de la part du joueur. Pour réagir à ce contexte, le joueur va devoir extrapoler les conséquences de ses actions. Pour ce faire il va utiliser exactement les mêmes outils que ceux qu'il utilise dans la vie quotidienne pour évaluer et extrapoler les conséquence de ses actions habituelles. Pour le dire autrement, pour vos réseaux de neurones, que vous élaboriez une stratégie pour aller le plus rapidement possible de chez vous au boulot, ou d'une ville imaginaire vers une autre, ne change rien. Dans les deux cas votre réseau neuronal en charge de la planification des trajets va s'activer de la même façon. Mieux, il va s’entraîner. Mieux, comme vous pouvez rejouer une séquence de jeu vidéo plusieurs fois, vous allez entraîner ce réseau plusieurs fois. Et comme pour lui il n'y a aucune différence entre un entrainement en situation de jeu ou en situation réelle, vous allez, en améliorant sa performance pendant le jeu, également augmenter sa performance dans la vie réelle.
En permettant de se confronter à une spectre de situations certes fictives et simplifiées, mais presque sans limites, les jeux vidéo sont à l'heure actuelle ce qu'il est possible de faire le mieux pour développer un maximum de capacités cognitives en un minimum de temps. Jouer devrait être obligatoire. Jouer n'est pas une activité réservée aux enfants. Jouer est d'ailleurs probablement plus utile aux adultes qu'aux enfants. En neurologie, les résultats que l'on obtient dans le prise en charge des déficits moteurs ou sensitifs, des troubles cognitifs ou de certains troubles psychiatriques, sont supérieurs à tout ce qu'il possible d'obtenir par la seule prise en charge médicamenteuse.
Ce qui m'amène à une conclusion non pas pro jeu vidéo (parce que si vous n'êtes toujours pas convaincus avec ce qui précède c'est mort), mais avec une réflexion sur ce qui sont contre.
Il y 'a un discours assez prétentieux, toujours le même d'ailleurs, qui dit en gros : le jeu vidéo est une sous activité. D'ailleurs moi, pendant que vous jouez, je lis du Guillaume Musso et je suis capable de vous donner le prénom de chaque batteur de Jazz ayant roulé en Lincoln à Chicago entre 1958 et 1977.
De façon presque constante, ce discours est majoritairement tenu par des gens de plus de 40 ans et plutôt éduqués. Ce qui signifie qu'il est majoritairement tenu par des gens qui ont déjà une certaine expérience de vie, qui ont déjà acquis un nombre plus ou moins important de connaissances, et surtout…surtout surtout…qui ont des réseaux neuronaux de moins en moins plastiques. Ce n'est pas du jeunisme, c'est de la neurobiologie. Je vous ai dit que plus vous utilisez un réseau neuronal, plus il devient bon dans sa tâche. Mais cela implique qu'il est beaucoup moins capable de s'adapter. A l'échelle du cerveau, plus on vieillit, plus on prend ses décisions en fonction de ce que nous avons déjà vécu et ce au dépend de de l'analyse prospective. Autrement dit, plus on est vieux, plus on reproduit un model plutôt que de se fatiguer à innover.
Si vous voulez en savoir plus, voilà un autre article de ce blog qui pourrait vous intéresser.
Sans vouloir hiérarchiser les activités de loisir (même si je pense que Musso c'est de la soupe et que je suis totalement imperméable au Jazz) ceux qui tiennent ces propos passent à des années-lumière du problème. Prenons l'exemple de lecture. J'adore lire. Je lis énormément. Je passe d'ailleurs beaucoup plus de temps à lire qu'à jouer (essentiellement parce mon compte Steam semble surtout vouer son existence à se mettre à jour plutôt qu'à me laisser accéder à mes jeux, mais ça c'est un autre histoire).
La lecture permet de faire travailler l'imagination, d'acquérir des connaissances et dans une certaine mesure de vivre par procuration certaine situations. Aucun jeu vidéo ne peut reproduire chez moi le plaisir que j'ai eu à découvrir certains livres. Mais malheureusement ça ne change strictement rien au fait que la lecture est une activité cognitive bien moins complète et complexe que celle provoquée par un jeu vidéo, même moyen.
Cela ne crée pas une hiérarchie de prestige entre les deux, mais une hiérarchie d'engagement cognitif. Ou pour le dire autrement, si un jour vos capacités cognitives déclinent et que vous voulez ralentir ce déclin, vous aurez bien plus de résultats en jouant à Mario Kart qu'en lisant Emmanuel Kant. Cela ne vaut pas dire que si l'humanité devait effacer un des deux de son patrimoine culturel, il faudrait oublier Kant, mais cela veut dire que votre cerveau à vous à plus de chance de s'adapter à son environnement en jouant à Mario.