17.4.18

Quelques notions de responsabilité des professionnels de santé



Tout le monde connaît (ou devrait connaître) la phrase : les soins doivent être attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. Mais savez-vous d'où vient cette phrase ?

On va en discuter, et surtout voir comment cette phrase structure encore le notion de responsabilité des professionnelles de santé. Et on va aussi casser un peu quelques mythes sur le devoir d'information ou sur l'obligation de faire des staffs toutes les trois minutes avant chaque décision.

Bon bref, on va synthétiser une synthèse de la Cour de cassation oO

la phrase : "les soins doivent être attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science", vient de 1936 à cause d'une patiente qui avait une rhinite, Mme Mercier, d'un Médecin radiologue, le docteur Nicolas, et d'un tube à rayons X. Le tout se passe à Marseille.

La première a fait appel au second qui s'est proposé de soigner l'affection nasale de madame avec son gros tube et les rayons qui en sortaient. En 1925. Autant dire qu'il lui a fait une radiothérapie nasale, ce qui était très novateur, mais surtout très idiot.

De façon assez prévisible, même pour l'époque (et ça c'est important), Madame Mercier s'est retrouvée avec une radiodermite muqueuse de la face. Sauf que ça ne s'est pas vu tout de suite. Ben non, il faut quand même un peu de temps pour avoir un trou suintant à la place du nez.

Mme Mercier fort mécontente (...) attaque le docteur Nicolas. Mais elle l'attaque en 1929 pour CRIME. Et à l'époque la prescription pour crime est de 3 ans. 

1929-1925 ça fait 4. 
4 est plus grand que 3. 

Donc l'avocat du docteur Nicolas dit à Mme Mercier d'aller prendre l'air sur la Canebière.

Je vous passe les détails mais l'avocat de Mme Mercier a alors une idée géniale. Mme Mercier n'a pas été victime d'un crime, mais d'un délit contractuel. La relation entre elle et son médecin est de nature contractuelle où elle s'engage à payer et lui....

Lui s'engage à la soigner. Au mieux. Genre bien. Le docteur Nicolas conteste et tout ce petit monde se retrouve en 1936 devant la chambre civile de la cour de cassation à Paris (18 heures de train).

Et la cour de cassation dit :
  1. il se forme entre patient et médecin un contrat qui comporte pour le praticien l'engagement de donner des soins consciencieux, attentifs, et, [ sauf urgence ], conformes aux données acquises de la science.
  2. la violation même involontaire de cette obligation contractuelle est sanctionnée par une responsabilité de même nature, également contractuelle.
Ces deux petites phrases de rien du tout structurent le droit de la responsabilité médicale et .... De tous les autres corps de métier du soin depuis cette époque.

Elles s'appliquent donc aux médecins mais aussi aux chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmas et préparateurs en pharmacie, infirmières, kinésithérapeutes, pédicures-podologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, orthoptistes, manipulateurs radio, audioprothésistes, opticiens et diététiciens.

TOUS !

Ajoutez la phrase :"et dans les ténèbres les lier" et vous avez une version moderne de l'Anneau unique du Seigneurs des Anneaux).

Bien évidemment les juristes ayant une pensée à la structuration fractale, de ces deux phrases sont nés, au cours des décennies, de multiples concepts, qui ont donnée lieu à de multiples interprétations, et forment aujourd'hui un vrai borde…corpus complexe, inaccessible aux simple mortels que nous sommes tous (même si nul n'est censé ignorer la loi (premier article du code civil de 1804)).

Et parce que ce corpus complexe et franchement super complexe, il y a parfois des masochistes qui tentent de le synthétiser. Et comme je suis aussi un peu masochiste, je vais tenter de vous synthétiser cette synthèse (on dirait un mauvais remake d'Inception).

1/ un professionnel de santé a une obligation de moyens.

Il n'est donc responsable d'un dommage qu'en cas de faute AVEC un préjudice ET une causalité.

Sauf quand c'est pas de bol. 

Sauf quand c'est pas de bol. La notion de "pas de bol" correspond à l'engagement de la responsabilité de professionnel de santé alors qu'il n'a pas commis de faute. Cela se nomme un aléa thérapeutique. La cour de cassation défini cet aléa comme : "la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé". Et comme le professionnelle n'y est pour rien, il existe depuis 2002 l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ou ONIAM (le AIIN a sauté au passage, c'est totalement injuste). Et ça c'est important de l'avoir en tête parce que les experts oublient parfois (volontairement ?) que par définition, devant l'ONIAM, le professionnel de santé attaqué par un tiers, n'est jamais fautif.

A/ La notion de Faute (Grand 1 Grand A, les juristes rédigent leur textes comme moi en 4e dans le cours français de madame Lenoir)

Si on parle de FAUTE, il faut définir ce qu'est une faute. Un faute c'est un manquement. Et comme je vous l'ai écrit un peu plus haut, en raison de la fragmentation fatale du raisonnement des juristes, on distingue plusieurs manquements :

a/ : manquements aux devoirs généraux.

Soyons honnêtes, ça ne veut rien dire rédigé de la sorte. Heureusement des textes explicatifs sont là pour préciser ce concept un peu flou. Dans l'immense majorité des cas (pour ne pas dire tous), ce manquement aux devoirs généraux, concerne le consentement et l'information (et un tout petit peu la diligence, c’est-à-dire le fait de faire vite) . Et là on va détailler un peu, parce que parfois il faut arrêter avec les délires interprétatifs de ceux qui ont un avis sur la médecine sans être médecin (coucou à la team air médecine).

Tout d'abord, le consentement  n'est pas nécessaire en cas d'urgence ou d'impossibilité à le recueillir ou de refus du patient d'être informé.

Par contre, puisque le contrat de soin est passé entre LE professionnel de santé ( on verra après pourquoi j'ai écrit LE en majuscules) et le patient, si un patient est pris en charge par plusieurs professionnel de santé à la demande du premier, non seulement  chacun des intervenants a un devoir d'information et doit recueillir le consentement, mais le premier, celui qui adresse aux autres, a une responsabilité particulière. Ce qui entraîne, et ça on l'oublie souvent, que ce premier professionnel de santé a "un droit de contrôle quant à la prescription de son confrère". Si. Oui je sais. En pratique cela veut dire qu'un urgentiste doit informer sur ce que va faire la radiologue ou, que si un urgentiste demande un avis thérapeutique à un autre spécialiste, il est coresponsable de la prescription.

Un professionnel de santé doit (c'est une obligation) informer le patient pour que celui-ci :" donne un consentement ou un refus éclairé aux investigations et soins qui lui sont proposés". Cette obligation d'informer n'implique cependant pas que le professionnel de santé soit "tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte médical qu’il demande" .

Cette information doit être :"loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait qu’un tel risque grave ne se réalise qu’exceptionnellement". Par contre :"  l’information ne porte que sur les risques connus en l’état des données acquises de la science à la date de l’acte médical auquel ils sont inhérents ". Et enfin :" cette obligation d’information n’exclut pas que le médecin puisse exceptionnellement, en application du Code de déontologie médicale, "limiter l’information de son patient sur un diagnostic ou pronostic grave" si cette limitation est "fondée sur des raisons légitimes et dans l’intérêt du patient, lequel doit être apprécié en fonction de la nature de la pathologie, de son évolution prévisible et de la personnalité du malade" .

Pour résumer il faut informer quand c'est possible, aussi loyalement que possible, sauf si le patient ne veut pas l'entendre, ou que son état de santé pourrait s'aggraver à la suite de cette information.

Vous vous souvenez qu'un peu plus haut j'ai écrit :"le contrat de soin est passé entre LE professionnel de santé" en insistant sur le fait que LE est écrit en majuscules ? Ce n'est pas par hasard. Parce que tout ce que je viens d'écrire est de la responsabilité DU professionnel de santé. La sienne. A lui ou elle. Personnelle. Il est donc le SEUL à décider de la nature de cette information. Rien que lui ou elle. Et cela s'applique aussi quand il travaille dans une équipe.

Cela va même encore plus loin (attention ce qui suit est quelque chose de nécessaire à savoir quand des excités vous disent que vous devez tenir de réunions d'équipe (ce qui est très bien en soi) et vous conformer à la décision du groupe (alors là non, ce n'est pas une obligation du tout) : "La responsabilité du professionnel de santé est liée au fait que le patient n’a pas contracté avec chacun des membres de l’équipe mais seulement avec lui et qu’"il doit répondre des personnes qu’il se substitue en dehors du consentement de son patient pour l’accomplissement d’une partie inséparable de son obligation".

Bon bref, vous êtes toujours directement reponsable de vos actes. Vous, vous, rien que vous, tout ou toute seule. Et par conséquent, comme  je l'ai dit plein de fois, celui qui décide c'est celui qui engage sa responsabilité. Et dans les hôpitaux ça ne change rien parce que : "en vertu de l’indépendance professionnelle dont le médecin bénéficie dans l’exercice de son art, il répond des fautes commises au préjudice des patients par les personnes qui l’assistent lors d’un acte médical d’investigation ou de soins, alors même que ces personnes seraient les préposées de l’établissement de santé où il exerce" (Civ. 1ère, 13 mars 2001, Bull. n° 72). Ces dernières agissent en effet dans ce cas sous son contrôle direct et non plus sous le contrôle de l’établissement qui les emploie.

Pour le dire de façon plus simple :"Le prescripteur, est seul maître du traitement".

b/ : manquements techniques.

Pour le coup c'est beaucoup plus simple : " Les fautes techniques résultent d’une méconnaissance des règles de l’art et s’apprécient par comparaison entre ce qui a été fait et ce qui aurait dû être fait" et "l’erreur de diagnostic ne constitue pas à elle seule une faute mais elle peut être reprochée au professionnel de santé qui n’a pas mis en œuvre les moyens nécessaires ni fait preuve d’une diligence suffisante". Si ce n'est pas assez clair, imaginons comme ça totalement au hasard, qu'un patient se présente pour une angine et que vous ne vous êtes pas donné les moyens de rechercher un streptocoque et que vous lui avez prescrit, là encore au hasard, des granules homéopathiques d'Hepar Sulfur parce que vous avez la certitude que ce produit est indiqué en cas :" angine provoquée par le froid sec, se mettant rapidement à suppurer avec une sensation d'échardes dans la gorge, de douleur piquante irradiant vers les oreilles, une hypersensibilité à la douleur, et une haleine fétide avec ganglions gonflés", vous êtes indéfendable s'il s'avère par la suite que c'était une infection a strepto.

B/ On a vu la notion de faute, il faut par conséquent s'intéresser la notion de préjudice et de causalité parce que pour engager la responsabilité d'u professionnel de sante il faut une faute AVEC un préjudice ET une causalité.

Le préjudice est une notion très (très très très) large : "Le préjudice subi par le patient peut être de différents ordres : physique, moral ou économique et est évalué conformément aux règles relatives à la réparation des dommages corporels". Et comme le lien est parfois difficile à prouver entre une faute et un préjudice, les tribunaux se fondent de plus en plus sur la notion de "perte de chance". Elle "signifie que le professionnel de santé par sa faute a fait perdre au patient une chance d’améliorer son état ou même de guérir, de survivre ou d’échapper à une infirmité". Et là accrochez-vous un peu parce qu'on va utiliser ce concept avec le concept précèdent "d'information". Il n'y a pas préjudice si  :" il n'y a aucune perte de chance d’échapper au risque réalisé dans la mesure où celui-ci était inhérent à l’acte médical dont la nécessité était admise par les experts" ou que le patient "n’a souffert d’aucune perte de chance consécutivement au manquement invoqué du praticien à son obligation d’information".

Bref, il n'y a pas préjudice si en n'informant pas il n'y a aucune perte de chance. Ce n'est pas une raison pour ne pas le faire évidemment, mais ça permet de borner ce que comporte ce devoir d'information. Prenons un exemple plus concret : vous êtes seule dans la jungle Guyanaise à deux heures d'hélicoptère de quoi que ce soit à part des arbres et des sangsues. Un homme se blesse et saigne abondamment. Vous le soignez comme vous pouvez et vous oubliez de lui dire que parce que vous n'avez rien avec vous, vous ne pouvez pas désinfecter sa plaie. Des mois plus tard il vous trine en justice parce qu'il a eu une septicémie et que vous ne l'avez pas prévenu. Et bien vous ne risquez rien parce que de toute façon sans vous il serait mort sur place. Ce raisonnement caricatural vaut en cas de d'hémorragie sur une GEU.

2/ La responsabilité des salariés.

C'est un peu plus compliqué. Globalement dans le cas des "professionnels de santé, agissant en tant que préposés de l’établissement et sans excéder les limites de la mission qui leur est impartie" ceux-ci n’engagent pas leur responsabilité à l’égard des tiers SAUF "les médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes qui gardent une responsabilité personnelle qui les différencie aussi des professionnels des établissements de santé publics. Elle est justifiée par l’indépendance professionnelle inaliénable dont ils disposent ; "l’indépendance professionnelle dont bénéficie le médecin dans l’exercice de son art" étant même, selon le tribunal des conflits, "au nombre des principes généraux du droit.

En Conclusion :

Retenez deux choses :

Une (ou un) professionnelle de santé n'est responsable d'un dommage qu'en cas de faute AVEC un préjudice ET une causalité.

Et

Cette responsabilité est exclusivement personnelle et découle d'un contrat entre elle et le patient.




Si vous voulez en savoir plus, lisez le texte que j'ai synthétisé ci-dessus en allant le consulter directement sur le site de la cour de cassation l'adresse suivante https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_tude_annuelle_36/rapport_2002_140/deuxieme_partie_tudes_documents_143/tudes_theme_responsabilite_145/professionnels_sante_6115.html