16.1.15

cas clinique 012014 - mais quand on sait pas on sait.




Les trucs rares ne sont rares que si on ne les cherche pas… le piège étant d’en voir partout par la suite de peur d’un rater un… la solution étant de savoir que ça existe et se donner les moyens de savoir de les reconnaître.

Après cette phrase qu’un chancelier d’un empire galactique imaginaire sachant manier le sabre laser aurait pu dire devant un sénat médusé, je vais essayer d’être plus clair avec un cas clinique un peu commenté.





M’amm XX, 7x ans, a comme seul et unique antécédent un HTA qu’elle néglige mais dont les mesures réalisées par son MG dans les conditions livresques (allongée après du repos etc…) montrent qu’elle n’a jamais dépassé le 150/90 mmHg.

Depuis une semaine elle est fatiguée et cette fatigue est mise sur le compte de la présence chez elle de ses enfants et petits-enfants. Elle se lève tôt, se couche tard, et s’occupe de tout. Elle a de vagues céphalées parfaitement calmées par le paracétamol.

Son époux l’amène aux urgences les plus proches de chez lui car depuis son réveil elle est « excitée ». Elle parle beaucoup (en étant cohérente), et n’arrête pas de dire qu’elle n’y voit rien, ce qui ne l’empêche pas de se déplacer tout à fait normalement chez elle.

Aux urgences, elle a une TA à 210/100 mmHg, une FC à 90, ne tient pas en place, ne comprend pas pourquoi son époux l’a amenée aux urgences alors qu’elle a plein de boulot à la maison. Elle dit que son mal de tête est présent mais sans plus. Elle nie avoir eu des problèmes de vue, et lorsqu’on lui demande de lire une affiche présente dans le box, elle dit qu’elle a du mal car elle n’a pas ses lunettes mais que c’est comparable à son état habituel. Son examen clinique ne retrouve pas d’anomalies particulières. Par mesure de sécurité, elle bénéfice d’un scanner cérébral non injecté qui est parfaitement normal (y compris à posteriori). L’urgentiste se pose la question d’une bouffée délirante aiguë. Elle est vue par un psychiatre qui hésite mais qui finalement, en l’absence de délire, propose un peu de benzodiazépines pour la calmer. Elle ressort avec de l’hydroxyzine (ATARAX).

Dans l’après-midi, son mari appelle les pompiers car son épouse, toujours « survoltée » se cogne dans les portes. Elle est revue par le même médecin des urgences qui ne retrouve toujours pas d’anomalies neuro. Elle n’est pas cérébelleuse, pas vestibulaire. Marche parfaitement etc… Par contre, elle est franchement hypomane, agitée et à un comportement démonstratif. Elle dit qu’on veut l’emprisonner, se débat dans de grands mouvements, tape sur le mur à côté de la porte pour qu’on la laisse rentrer chez elle, avance sur le médecin en le bousculant, cherche son téléphone dans son sac alors qu’il est sur ses genoux. Puis elle s’allonge, ferme les yeux et « fait la morte » en résistant à l’ouverture des yeux et en devant la chute de sa main sur son visage. Inquiet, le médecin l’informe qu’il va lui administrer un calmant et réaliser une PL (elle n’a pas de méningisme). Elle l’insulte, lui parle sans le regarder en fixant le mur. Trouvant cette attitude étrange, il lui est re demandé si elle voit bien, et elle réaffirme énervée qu’elle voit très bien, et que tout ce qu’elle demande c’est qu’on la laisse rentrer chez elle.

Le dossier ne précise pas comment, mais une PL est réalisée qui ne retrouve rien (ni blancs, ni rouges, ni protéines). L’urgentiste demande une IRM mais le radiologue lui déclare qu’une agitation psychomotrice sans déficit neurologique, avec un scanner normal et une PL normale ne relève pas de l’urgence. L’IRM est programmée pour le lendemain. Il lui est administré un nouvel ATARAX et un traitement anti hypertenseur per os (lequel ?).

Dans la soirée elle fait une crise tonico clinque généralisée.

Elle est mutée dans un hôpital disposant d’une réa. Restant confuse malgré un traitement adapté par RIVOTRIL, elle est mise sous phenytoïne.

Le lendemain elle a son IRM qui retrouve ça.



Là vous vous dites, que n’étant pas neurologue, les histoires de chasses qui se terminent avec des IRM brutes de décoffrage ça ne vous intéresse pas, c’est sûrement un truc dont vous n’entendrez jamais parler, qui, à supposer que vous en entendiez parler malgré tout, se gère aux urgences, et qui, visiblement, ne se diagnostique que sur un IRM. Alors je vous comprends, vous vous dites que tant qu’à rien faire sur internet, autant consulter la météo pour le weekend.

Mais vous allez voir c’est intéressant pour tout le monde dans la vie réelle. Alors je vais tenter de vous appâter par quelques questions :

  • 1/ lors du premier passage aux urgences, sa tension artérielle était-elle compatible avec son agitation psychomotrice ?
  • 2/ était-il logique de demander un avis psychiatrique ?
  • 3/ était-il logique de lui prescrire de l’ATARAX ?
  • 4/ était-il logique de la laisser ressortir ?
  • 5/ était-il logique de lui faire une PL ?
  • 6/ qu’est-ce qui ne va pas avec le comportement de Mm XX dans la mesure où elle n’est pas confuse ? Est-ce une forme d’hystérie pseudo psy ? Autre chose ?
  • 7 / le radiologue a-t-il eu raison de refuser l’IRM sur les arguments qui lui ont étés présentés (examen neuro normal, troubles psy, scan et PL normaux) ?
  • 8/ Pour ceux qui ont lu le billet sur les IRM FLAIR DIFF et ADC : est-ce un AVC ?
  • 9/ Comment sa localisation explique-t-elle ses troubles ?
  • 10/ si vous ne connaissez pas le nom du syndrome que présente cette femme, il en est un que vous devez évoquer, qui est très proche, et dont la méconnaissance peut/ aurait pu, vu planter à l’ECN. Lequel ?
  • 11/ Comment cela se traite-t-il ?
  • 12/ Statistiquement, que va-t-il lui arriver ?

Réponses

1/ lors du premier passage aux urgences, sa tension artérielle était-elle compatible avec son agitation psychomotrice ?

OUI – une TA à 210/100 c’est beaucoup, mais chez quelqu’un d’agité ça n’a en soi rien d’étonnant (faites le test sur vous-même après une course, vous allez être surpris si vous n’êtes pas sportif).

2/ était-il logique de demander un avis psychiatrique ?

NON – les psychiatres, à juste titre, demandent à ce que les somatciens éliminent une pathologie organique avant de se prononcer. De plus ses propos sont cohérents, la seul anomalie étant une agnosie de son état, ce qui en soi n’est pas psychiatrique.

3/ était-il logique de lui prescrire de l’ATARAX ?

NON – le bilan n’est pas fait, elle est cohérente, elle n’a aucun besoin d’être sédaté ; De plus l’ATARAX est un très mauvais choix, ce n’est pas une BZD, et comme vous pouvez le lire dans les commentaires de @nfkb il y a toutes les raisons de ne pas l’aimer (voir ici http://www.fkb0.com/2013/03/08lhydroxyzine-cest-pas-ma-copine/

4/ était-il logique de la laisser ressortir ?

NON – le bilan n’est ni fait ni à faire (ok ça veut rien dire mais j’adore l’expression). La patiente n’a pas de réponse à son problème et on a aucun diagnostic

5/ était-il logique de lui faire une PL ?

En l’absence de signes méningés, de signes de gravité cardio vasc, j’aurais attendu l’IRM

6/ qu’est-ce qui ne va pas avec le comportement de Mm XX dans la mesure où elle n’est pas confuse ? Est-ce une forme d’hystérie pseudo psy ? Autre chose ?

Elle se comporte comme une aveugle qui nie les faits. Ça doit tout de suite faire penser à un signe très largement sous diagnostiqué : la cécité corticale. Inutile de penser « ouais d’accord mais c’est quand même super rare » parce que d’une part ce n’est pas si rare que ça, que la perte de chance pour un patient est majeure si vous passez à coté, et que ce n’est pas plus difficile à chercher qu’un réflexe rotulien. Dans le cas de cette patiente, ça aurait donné un peu plus de poids à la demande d’IRM.

7 / le radiologue a-t-il eu raison de refuser l’IRM sur les arguments qui lui ont étés présentés (examen neuro normal, troubles psy, scan et PL normaux) ?

Il est probable que je n’écrive ceci qu’une fois dans ma vie, mais OUI. SI (et je n’y étais pas) on lui a dit on lui a demandé une IRM pour une dame de 70 ans agitée presque psy avec un examen neuro, une PL et un scan normal » on voit mal où est l’urgence. D’où l’importance du bon examen clinique car la notion de cécité corticale aurait sans doute changé sa decision.

8/ Pour ceux qui ont lu le billet sur les IRM FLAIR DIFF et ADC : est-ce un AVC ?

NON : ADC + = œdème vasogénique et pas cytotoxique

9/ Comment sa localisation explique-t-elle ses troubles ?

Atteinte des aires postérieures primaires (cecité) et secondaires (gnosie)

10/ si vous ne connaissez pas le nom du syndrome que présente cette femme, il en est un que vous devez évoquer, qui est très proche, et dont la méconnaissance peut/ aurait pu, vu planter à l’ECN. Lequel ?

PRES syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible

Quasi identique à l’éclampsie

11/ Comment cela se traite-t-il ?

Normalisation de la tension

12/ Statistiquement, que va-t-il lui arriver ?

Récupération complète si traitement précoce.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Pathologies neurovasculaires