14.4.14

cas clinique 042014 - un fainéant fou.



Voici le cas clinique d'avril. Je vous rappelle que c'est un cas réel, et que les infos que je vous donne sont celles du dossier médical avec ses incertitudes et ses imprécisions. Il est un peu différent des précédents dans la mesure où je ne vous donne pas le diagnostic à la fin. Il est facile si vous trouvez le diagnostic. Cependant même si vous séchez, les questions 3, 4, 5 et 6 ne devraient pas vous poser de problème.
Monsieur XY, 42 ans, ne vas pas bien. Remarquez que ceci n'a rien d'inhabituel, puisque son médecin traitant, qui le suit depuis 3 ans ne l'a jamais connu en forme. Il s'est toujours décrit comme fatigué, ce qui a conduit à un absentéisme important ayant abouti à un licenciement il y a trois mois. Il n'a aucun antécédent, et ne s'est jamais plaint de troubles dépressifs ou d'idées tristes. De plus, depuis 3 ans, son médecin n'a constaté aucune anomalie à l'examen et les bilans biologiques de débrouillage n'ont rien montré d'anormal. Pour résumer la situation, monsieur XY dit ne rien pouvoir faire, alors qu'à l'évidence il subvient très bien à ses besoins et que ses examens cliniques et biologiques sont normaux. Il n'y a aucune notion d'aggravation ou de fluctuation de cette fatigue et son médecin traitant s'interroge clairement sur l'origine organique du trouble.

Son licenciement a modifié les choses. Il se dit anxieux, ne voyant pas quel autre emploi il pourrait trouver, et son médecin se pose la question de troubles psychiatriques, car sous des idées tristes, il y a clairement un discours persécuté : monsieur XY, accuse la société de ne pas le comprendre, et dit que son ex patron n'a rien fait pour lui laisser une seconde (en pratique, une quarante cinquième) chance.

Le médecin traitant de Monsieur XY, sur les conseils d’un psychiatre commence par lui prescrire une association de benzodiazépines (SERESTA) et d'IRS (PROZAC) [rappelez vous que ce cas date des années 2000]. Après une semaine de traitement, les choses se sont dégradées. Monsieur XY ne sort plus de son lit et prétend que son médecin tente de l'empoisonner, et qu'il est « de mèche avec son ex patron pour le faire taire ». Pour éviter d'envenimer la situation, c'est l'associé du médecin traitant de Monsieur XY qui va le voir chez lui. Il est surpris de le trouver à 9 heures du matin, dans son jardin au soleil, visiblement en forme. Son examen clinique ne met en évidence aucune anomalie. Le discours est franchement paranoïaque, Monsieur XY ; affirmant que le fait que son médecin traitant habituel ne soit pas venu est une preuve de sa culpabilité. Il avoue d'ailleurs avoir arrêté le traitement prescrit après trois jours.

Après une discussion quelque peu tendue, et l'inquiétude de l'entourage, monsieur XY est admis en HDT au CHS local ( !). A son arrivée il est dans l'opposition et la révolte, agressant physiquement une infirmière. Il est contentionné et traité en urgence par du NOZINAN.

Le lendemain matin, l'interne de psy et le senior, retrouvent monsieur XY affalé sur son lit, hypotone et quelque peu... bleu. Il est transféré vers l'hôpital le plus proche pour prise en charge. Cliniquement, il est... hypotone, a des troubles de la déglutition, et désature à 74% de SaO2. A son arrivée aux urgences, un diagnostic d'AVC du tronc est évoqué. Il bénéficie d'un scan et d'un angio scan en urgence qui sont tous deux normaux [2000, pas d'IRM immédiate]. Le bilan biologique d'entrée ne retrouve aucune anomalie. Deux heures après le scanner, son état s'aggrave, avec une saturation qui tombe à 63% malgré l'oxygénation au masque haute concentration. Il est transféré en réanimation, sédaté, intubé, ventilé.

Après trois jours de réa est des bilans biologiques... de réanimation, rien ne permet d'expliquer son état. Cependant, il est impossible de le sevrer de sa ventilation. Les pneumos, bien embêtés, n'ont pas d'explication géniale à proposer, mais après pas mal de réflexion, aboutissent à la conclusion que cette insuffisance respiratoire est d'origine centrale.

Les neuros sont alors contactés. Bien embêtés, ils expliquent avec leurs petits mots à eux, qu'un examen neuros clinique ou E.N.M.G., sur un patient sédaté, intubé, ventilé... ce n'est pas possible. L'interniste est contacté à son tour. Comme tout bon interniste il propose de doser tout ce que la science médicale est capable de doser et de faire un scanner thoraco abdo pelvien et une IRM cérébrale, pour pouvoir commence à réfléchir. La bio ne montre rien de plus, l'IRM non plus (et élimine au passage un AVC). Le scan met en évidence une tumeur intra thoracique, extra-pulmonaire. La tumeur fait 0,5 cm sur 1 cm. Pour diverses raisons, que le dossier ne précise pas, le patient est transféré dans un CHU pour biopsie.

L'analyse de la tumeur permet de faire le diagnostic, par ailleurs évident à posteriori. Le patient est traité et va beaucoup mieux. Il a depuis changé de région et est suivi dans notre service, avec un traitement chronique.

1/ quel est le diagnostic « évident » à posteriori ?
2/ que penser du premier traitement prescrit par le médecin traitant ?
3/ que penser du traitement au CHS ?
4/ que penser du diagnostic d'AVC du tronc fait aux urgences ?
5/ comment expliquer la poursuite de l'aggravation aux urgences ?
6/ que penser de mon collègue neurologue qui n'a pas eu d'idée géniale (je le connais alors pas de critique gratuite) ?
7/ quelle tumeur a ce patient ?
8/ est-il normal qu'il ait toujours besoin d'un traitement ?
9/ est ce qu'il y a un truc auquel on doit toujours faire gaffe chez lui ?

RÉPONSES - En tout cas les miennes, sachant que si vous êtes attentifs, dans les commentaires vous trouverez d'excellentes version plus complètes.


1/ quel est le diagnostic « évident » à posteriori ?


Une myasthénie - c’est l'intérêt principal de ce dossier. On présente souvent la myasthénie comme un maladie d’installation rapide, avec des symptômes évident comme un ptôsis ou une diplopie. Ce tableau se voit dans 50% à 60% des cas. Ça laisse la place à 40%-50% de cas atypiques, ce qui avec une incidence de 1 pour 100 00 représente 3000 cas atypiques en France. Le problème de cette maladie est que tout le monde connaît son nom, mais peu en on déjà vu une. Il existe donc un retard diagnostic important, et ce d’autant plus que dans les formes non caricaturales, les plaintes sont banales. Monsieur XX est fatigué, mais uniquement après une activité, et pas assez pour être physiquement handicapé. Il est probable, qu’en l’absence d’administration de traitement, le diagnostic aurait encore traîne quelque temps, aggravant encore sa désinsertion sociale. Sur ce, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit : unité de se jeter sur les dosages d’anticorps chez tous les fatigués chroniques. Par contre, il faut y penser chez les patients fatigués, fatigables, entre 15 et 30 ans ou entre 60 et 75 ans, sans terrain dépressif, ni autre pathologie évidente (pathologie cardiaque ou respiratoire principalement).

2/ que penser du premier traitement prescrit par le médecin traitant ?

Si vous lisez dans les commentaires, la réponse de dzb17, je suis d’accord avec lui. Très concrètement, ce patient avec un examen normal et stable depuis 3 ans, est dans un contexte de stress. De mes souvenirs d’interne, je pense que le traitement était celui qui était recommandé à l’époque. A posteriori, la prescription de benzos était inadapté mais a “permis” en quelque sorte de révéler la myasthénie. Cyniquement, on pourrait dire que même si ce n’était pas une bonne thérapeutique, les conséquences ne sont pas si délétères que ça pour le patient.

3/ que penser du traitement au C.H.S. ?

J’ai fait des gardes en C.H.S., et je sais ce que c’est d’affronter un individus en furie et agressif, quel que soit le motif de cette furie et de cette agressivité. Sur Twitter, un certain nombre de non médecins se sont émus, en s’interrogeant sur l’absence de tentative de dialogue, qui aurait peut être permis de se passer de neuroleptiques. Les mêmes assurent comprendre la réaction d’un individu stressé (vient d’être licencié), excédé (il est fatigable, personne ne le croit, son médecin lui donne des médicaments qui l’aggravent, un autre médecin le fait hospitaliser contre son gré, etc..). Malgré ces remarques, je reste fidèle à Asimov, en pensant que la violence est le dernier refuge de l'incompétence, et que rien ne peut la justifier (je sens que les trolls anti psy vont se réveiller). La prescription du C.H.S. me semble donc licite. Il n’en reste pas moins, qu’il s’agit de NOZINAN et que, pas de bol, c’est un des neuroleptiques qui aggrave le plus la myasthénie. L’utilisation d’une autre molécule, moins sédative aurait à mon avis donné d’aussi bon résultats, tout en diminuant le risque. De nos jours, du RISPERDAL aurait fait l’affaire.

4/ que penser du diagnostic d'AVC du tronc fait aux urgences ?

le gros mythe de l’AVC du tronc qui donne des troubles de la conscience et respiratoire sans troubles moteurs ou sensitif est…. pas un mythe. C’est un piège dans lequel tous les neurologies sont tombés au moins une fois. Ces AVC sont d’une rareté proche de celle du sandwich SNCF à base d’aliment pour humains, mais ils existent. Ils correspondent à des infarctus sélectif de l’aire réticulée ascendante, qui se trouve dans la partie antérieur du tronc, est qui est un centre de l'éveil. C’est une structure archaïque, présente dans chez toute les formes de vie qui sont éveillées, et qui par conséquent est proche de toutes les autres structures archaïques comme les centre respiratoires. L’imagerie était donc indiquée, y compris l’injection iodée, qui est pourtant dans ce cas, la 3 ème classe de produits formellement contre indiqués dans la myasthénie pares les benzos et les neuroleptiques.

5/ comment expliquer la poursuite de l'aggravation aux urgences ?

L’iode ! - on (nous les neuros par exemple) oublie souvent que dans la myasthénie, il n’y a pas que les médicaments qui peuvent aggraver les troubles. De façon générale : pas de beta bloquants, pas de sédatifs (benzo, neuroleptiques, hypotoniques), pas de médicaments dépresseurs respiratoires ou cardiaques et attentions avc les antibiotiques. La liste détaillée est dans le VIDAL

6/ que penser de mon collègue neurologue qui n'a pas eu d'idée géniale (je le connais alors pas de critique gratuite) ?

Question idéal pour rappeler un élément essentiel : l’examen neurologique est un examen fonctionnel qui nécessite la conscience et la participation du patient. Faire taper à coup de marteau trois pauvre tendons par un neuro chez un patient sédaté, intubé, ventilé, n’a aucune autre utilité que faire chuter l’anxiété des réa. Mais, comme me l’ont fait remarquer certains sur Twitter, pourquoi ne pas avoir fait un EMG ? On aurait pu voir le décrément et faire le diagnostic ?! Pour ceux là, je vous rappelle que c’est un ENMG et que j’y tiens. Et que d’autre part, quand vous êtes intubé, sédaté, c’est tout le système neuro musculaire qui l’est ! Du coup la fiabilité de l’ENMG est douteuse et l’examen peut passer complètement à côté du diag.

7/ quelle tumeur a ce patient ?

Intra thoracique et extra pulmonaire avec une myasthénie : un thymome.

8/ est-il normal qu'il ait toujours besoin d'un traitement ?

Oui. La rémission d’une myasthénie après thymomectomie n’est, au mieux que de 60%, même si 80% des patients ont une amélioration de leur symptômes.

9/ est ce qu'il y a un truc auquel on doit toujours faire gaffe chez lui ?

Les médicaments contre indiqués - pour faire simple, il faut lui remettre une carte dont voici le modèle et qui disponible auprès de l’AFM.


http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/myasthenie_soins.pdf
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/myasthenie_info.pdf

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Le système nerveux périphérique