3.9.14

OSS Pique et Touche



Un des intérêts de conserver de vieilles revues, est de comparer l’évolution des sciences et des usages à travers le temps. Cette phrases étant un tantinet généraliste, je vais être plus concret : lire une revue de neuro publiée il y a exactement 50 ans permet non seulement de voir comment la science a évolué (ou pas), mais également de voir comment les esprits ont évolué (vous n’allez pas être déçus).

Je vais tenter dans les mois à venir de vous faire un mix de Maryse et Pierre en 1964. Imaginez Maryse avec une robe longue à carreaux et Pierre en costume trois pièces à rayures moutarde débattant devant avec verve. Vous avez du mal ? Je vais vous aider avec en prologue, des extraits d’un compte rendu d’une réunion de la Société Française de Neurologie et de la Royal Society of médecine qui s’est tenue à Paris du 4 au 5 juin 1964, et publié dans la Revue Neurologique, tome 110 n°6. Cramponnez-vous, ça a de la gueule.

« …Les neurologistes (sic) anglais étaient conduits par Harvey Jackson […] qui portait avec grande allure le traditionnel collier, insigne de ses fonctions… »

D’entrée de jeu, le britannique impose le respect ! Il vient avec ses ors et ses plumes pour impressionner l’adversaire français. Rassurez-vous, si le coup est bas, le français le relèvera avec panache.

La réunion commence le 4 juin par une conférence.

« …Cette conférence [inaugurale] faite en français et du plus haut intérêt, avait pour thème « La controverse Dax-Broca » sur les débuts de l’histoire de l’aphasie et mettait en valeur la figure, assez peu connue France, de notre compatriote le Dr Auburtin, qui, coïncidence curieuse, était le grand-père de M. Jean Auburtin, Président du conseil municipal de Paris… »

La controverse « du plus haut intérêt » était visiblement si passionnante que le rapporteur n’a rien trouvé de mieux pour en parler que de rapporter cette anecdote fascinante. Point important, l’orateur était anglais (basse vengeance).

Je cause, je cause, mais l’heure du déjeuner approche et… et bien c’est un sujet qui mérite que le rapporteur en parle :

« …Un lunch où était conviées les dames eut lieu ensuite dans les salons de la Faculté… »

Et ouais, en 1964, les dames, ces trucs roses qui se baladent avec du parfum, c’est pénible. On peut pas les laisser à la maison, on peut pas les prendre au boulot, et faut les récupérer pour le déjeuner… Pour mes collègues filles, gardez un peu d’adrénaline en réserve, la suite est encore meilleure.

Après quelques plats de nouilles, des blagues que l’on imagine légères, quelques apéros, verres de vin, digestifs, café et cognac, et après avoir largué les dames (le rapporteur ne le précise pas), la savante assemblée va recauser neuro jusqu’à… ben pas longtemps parce que ils ont rendez-vous ailleurs :

« …A 18 heures, une réception fut offerte à l’Hôtel de Ville [par AUBURTIN]. Celui-ci, dans une brillante allocution, accueillit avec beaucoup de cordialité les neurologistes. [Il] remit ensuite la médaille d’argent de la ville de Paris et offrit des gravures représentant note cité à plusieurs collègues britanniques… »

Gros fail : le chef indien neuro anglais vient avec ses plumes et son collier et nous on lui refile une médaille en argent ! C’est radin. En plus on s’est planté dans les calculs et on n’a pas de gravures pour tous, donc on fait le tri : toi oui, toi non, toi t’es moche, toi t’es sympa je t’en file deux ça fera plaisir à ta dame…

Heureusement, après cette gaffe, le camp français se rattrape avec une surprise :

« …La distance n’est pas longue entre l’Hôtel de Ville de Paris et le pont de la tournelle où tous les congressistes embarquèrent sur la bateau mouche la patache, pour un dîner promenade sur la Seine. La croisière permit à nos hôtes d’admirer les quais et les monuments illuminés avec les jeux subtils de la lumière et de l’ombre. L’orage, menaçant toute la soirée, eut le bon esprit de n’éclater que fort tard dans la nuit.

En ayant à peine commencé à métaboliser l’alcool de midi, et après quelques apéros, verres de vin, digestifs, café et cognac, je ne sais pas quels jeux subtils d’ombre et de lumière ils ont vu, mais ce qui semble certain c’est qu’ils ont oublié les dames.

Le lendemain matin, le rapporteur ne précise pas de quoi leurs discussions furent faites, mais il insiste sur le déjeuner :

« …Le déjeuner de la Salpetrière fut présidé par M.Damelon, directeur de l’assistance publique, qui improvisa au dessert une allocution très applaudie… »

On imagine qu’après quelques apéros, verres de vin, digestifs, café et cognac l’auditoire était prêt à applaudir toutes les impros : là encore saluons l’esprit français qui même pris au dépourvu fait face avec abnégation et talent à l’adversité.

Et là certains vont probablement commencer à s’inquiéter ! Et les dames ? Ils en ont fait quoi ? Oubliées sur un quai de bateau mouche ? Noyées dans la Seine entre le Rhum et l’Armagnac ? Le rapporteur va vous rassurer :

« …Au cours de cette matinée, les dames visitèrent le château de Versailles, excursion suivie par un déjeuner dans un restaurant du Bois et, plus tard, par un thé fort sympathique chez Madame Aubry… [Épouse de monsieur le Professeur Aubry, président de la société française de Neurologie] »



Wahoo ! La claque : en France on n’a pas de plumes mais on a Versailles, les Bois, et les thés sympathiques chez la femme du patron qui reçoit dans son salon de 6000m2.


Pendant ce temps les savants discutent dans l’allégresse :

« …La dernière séance neurologique prit fin avec une érudite et pittoresque conférence [sur l’aphasie] qui rencontra la plus grand succès parmi les auditeurs… »

Avant de réattaquer quelques apéros, verres de vin, digestifs, café et cognac (pour éviter le DT ?) dans un lieu magique :

« …Le banquet du soir […] eut lieu au restaurant de la Tour Eiffel. Le temps maussade le matin, avait retrouvé le sourire et les convives eurent la surprise de découvrir Paris sous les aspects multiples d’un ciel « toujours recommencé », comme la mer, pendant le long crépuscule de juin. Un toast très spirituel, en français […] auquel répondit avec verve le Pr Aubry termina une soirée des plus cordiales… »

Le rapporteur avait dû lui aussi goûter quelques liqueurs pour voir la mer depuis la Tour Eiffel mais puisque la soirée se termina par une réponse pleine de verve, arrêtons-nous là pour vous apporter quelques précisions supplémentaires :

Dans la suite de ce rapport, il est indiqué que ces mondanité avaient été permise (financée ?) par la fac, l’AP (par encore HP), l’IFSI et la Salpé. Pas de doute, les restrictions budgétaires des trente glorieuses étaient sensiblement différentes des nôtres

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