23.7.14

système nerveux autonome I - of men and jellyfish

i'm gonna give you some terrible thrills


Pulpita se sent bien. Son grand chapeau ondule, un petit courant la chatouille et elle étend ses membres avant de les laisser balloter dans l'eau tiède. Pulpita a deux passions dans la vie. Au sens strict du terme. Deux. On pourrait résumer la première par ce néologisme poétique et évocateur « TOIJVAISTBOUFFER » et la deuxième par un néologisme tout aussi enchanteur « zzzzzzBurp ».

Vous trouvez ça médiocre ? Réducteur ? Méprisant ? Egocentrique de son point de vue ? Vous avez plus que raison mais vous ne savez pas encore pourquoi ! Vous avez raison à un détail près : dans le cas particulier Pulpita, egocentrique est un terme inadapté. Pulpita n'a pas plus d'ego que de cogito, ce qui selon Descartes implique que Pulpita ne sum pas très fort.

En fait dans le cas de Pulpita on devrait remplacer egocentrique par medusocentrique, car voilà, Pulpita est une cnidaire (vous n'oublierez pas de me remercier pour ce mot lors d votre prochaine conversation au bar du coin avec Jeannot pendant que vous vous acharnerez sur la coque d'un pistache... et puisqu'on en est là, sachez que la pistache est une sorte de Drupe, comme la prune, l'abricot et la pêche).

Pour ceux qui ont réussi à suivre cette introduction jusqu'ici, et qui se demandent pourquoi je vous parle de méduses et de pistaches dans un blog de neurologie, c'est parce que ce billet est le premier d'une série sur un sujet un peu tabou. Quelque chose que même les neurologues les plus blasés et cyniques fuient en poussant des petits cris de chien à qui l'on aurait écrasé la queue, quelque chose d'encore plus méprisé que les basses castes en indes ou l'intégrale musical live des génériques de Derrick : LE SYSTEME NERVEUX AUTONOME.



Il est méprisé car complexe, invisible, quasi inexaminable, et ne se manifestant jamais de façon perceptible chez le sujet sain. De plus quand il se dérègle, les symptômes ne sont visibles qu'en étudiant ses cibles, qui sont des organes relevant de leur propres spécialistes, et qui souvent essaient également d'oublier que l'organe dont ils s'occupent est contrôlé par un système nerveux asservi au système nerveux central.

Ce mépris est d'autant plus injuste que ce troisième système nerveux, distinct du système nerveux central et du système nerveux périphérique, pilote l'organisme, l'entretien, le défend et surtout, c'est parce qu'il existe, que la plupart des médicaments connus ont une action. Ça surprend toujours, mais le nombre de classes médicamenteuses ayant un effet sur le système nerveux autonome est supérieur à celui qui n'en ont pas.

Normalement, après cette deuxième introduction, les plus sympas d'entre vous se disent que ça commence à être long et les autres s'interrogent sur le lien entre système nerveux autonome, méduse, pistache et drupe. Ça vient, soyez encore un peu patient.

Pour comprendre pourquoi le système nerveux autonome est essentiel, comment il fonctionne et pourquoi il faut rechercher s'il dysfonctionne, il faut comprendre d'où il vient. Et pour comprendre d'où il vient, le plus simple est de commencer par les méduses.

Pulpita et ses clones (le cycle biologique des méduses est fascinant : la plupart suivent un cycle absurde où après avoir vécu une vie dilettante, elles grossissent et explosent en une myriade de cellules sexuelles. Celle-ci rencontrent d'autres cellules sexuelles et se fécondent pour donner naissance à des...vers. Les vers rampent jusqu'à un endroit sympa pour... s'enraciner et former une espèce de...plante tubulaire (vous suivez toujours ?). Après un certain temps, le tube se scinde en disques, qui se séparent pour donner de nouvelles méduses, qui sont donc des clones).

Pulpita et ses clones sont, dans l'évolution, parmi les premières créatures qui disposent de quelque chose dont on pourrait dire qu'il s'agit d'un système nerveux. On est très loin du cerveau humain. Ce prototype (vieux d'environ 650 millions d'années) est constitué d'une gelée (la mesogelée) dans laquelle des protoneurones, assurent la coordination des cellules musculaires spontanément contractiles. C'est ce système de coordination qui fait que l'ombrelle des méduses se contracte de façon régulière pour les propulser plutôt que de fibriller bêtement (de là à dire que le myocarde est une grosse méduse et les cardiologues des biologistes marins...).

Je vous ai dit dans la première partie de l'introduction que les méduses avaient deux passions : « TOIJVAISTBOUFFER » et « zzzzzzBurp ».

La première est déclenchée par le stress de la faim. Contrairement à ce que vous pourriez croire la graphie utilisée pour nommer cette première passion ne doit rien au hasard.

« toi » implique un cible, une proie. La méduse doit dénicher une proie et donc augmenter au maximum l'efficacité de ses organes sensoriels.

« je vais » implique une immédiateté, une vigilance renforcée. La méduse doit être aux aguets.

« te bouffer » implique un besoin, un but. La méduse attaque et doit être prête à subir des dégâts.

L'utilisation de majuscules est une convention pour traduire une certaine agressivité.

L'omission de la lettre « e » dans Je et Te, ainsi que l'omission des espaces traduit une notion de vitesse d'action.

Pour se résumer, ce besoin nécessite la mobilisation des réserves énergétiques de la méduses pour chasser, pour détecter, attaquer et détruire une proie suffisamment rapidement pour qu'elle ne s'échappe pas et n'ai pas le temps d'infliger de trop gros dégâts en se défendant. Cette dépense énergétique orientée vers l'extérieur est dite ergotrope.

La deuxième passion, « zzzzzzBurp » est déclenchée tout le reste du temps.

« zzzzzz » traduit une longue somnolence. Les systèmes vitaux de la méduses sont au repos ou, dans la mesure où le sommeil n'a pas encore été inventé à ce stade de l'évolution, en veille. Ils fonctionnent en pilotage automatique et font de la maintenance.

« Burp » traduit une digestion. Chez les méduses, les notions de digestion, élimination, recyclage, soins, sont confondues. Recyclage semble le plus adapté.

L'utilisation du « B » majuscule implique un à coup dans cette suite de lettres minuscules. Ceci traduit que cette phase peut comporter des mouvements, mais uniquement dans le but d'exécuter les fonctions d'entretien.

Pour se résumer, cette deuxième passion nécessite la mise en veille de toutes les fonctions dirigées vers l'extérieur et l'activation des fonctions de recyclage et de réparation. Cette dépense énergétique est dite trophotrope.

Maintenant que vous n'ignorez plus rien des méduses, faisons un petit pas de plus dans ce texte mais un pas de géant dans l'évolution, pour nous intéresser à Cro-Magnon.

Grüt vit dans une luxueuse grotte équipée de tout le confort moderne avec plein de gros cailloux. Comme Grüt est un peu geek il a également des bâtons et même un de ces bidules qui sont inutiles mais dont on ne peut plus se passer malgré la sortie d'un nouveau modèle tous les deux ans, un slip en poils de mammouth.

Etre Geek ça a cependant un coût, et ce n'est pas en ramassant des baies qu'il va se confectionner son slip. Il lui faut chasser le mammouth.

Voyons ce qui se passe dans Grüt quand Grüt chasse. Cette fonction étant proche de la fonction « TOIJVAISTBOUFFER » de la méduse, et mère nature préférant adapter plutôt qu'innover, Grüt doit adapter son organisme de la même façon qu'une méduse :

Il va chasser. Il doit détecter sa proie. Il doit donc adapter ses yeux pour la vision de loin, éventuellement dans l'obscurité (les mammouths volent bas et se cachent dans les arbres). L'œil accommode donc de loin et la pupille se dilate en mydriase.

Il doit se déplacer rapidement. La voie motrice est mise en tension (zone préfrontale, ce qui a comme conséquence, à charge cognitive constante, de mettre les zones du lobe frontal chargées de la réflexion, au repos), les muscles tendus, les réflexes augmentés. Il secrète de l'adrénaline et de la noradrénaline au niveau des médullosurrénales.

Pour lui permettre de maintenir cette tension musculaire puis d'accélérer à la demande lorsqu'il aura vu le mammouth, son cœur augmente sa fréquence de battement et sa contractilité. Le débit sanguin augmente.

Pour oxygéner ce débit de sang plus important, son cerveau qui est en pleine vigilance et ses muscles tendus, les bronches se dilatent pour laisser passer un maximum d'air et la fréquence respiratoire augmente.

Pour que cet oxygène serve à quelque chose, encore faut-il du sucre pour alimenter les myocytes, les cardiomycoytes et les neurones. Il y a donc une glycogénolyse au niveau du foie et une lipolyse dans les adipocytes. Parallèlement le pancréas endocrine (qui lui aussi a envie de secréter quelque chose puisque le foie le fait) secrète de glucagon et inhibe l'insuline.

Comme quand on chasse le mammouth, c'est pas tout à fait le moment d'aller faire ses besoins, le tube digestif et la vessie se mettent au repos, sauf si ils étaient déjà pleins, ce qui parfois entraîne une vidange d'urgence (ce qui est très malheureux pour le slip).

Le mammouth pouvant se défendre, le système immunitaire est dé-marginé de même que les plaquettes, pour augmenter la quantité de cellules immunitaires circulantes (très utile contre les piqûres de mammouth) et le nombre de plaquettes qui pourraient être nécessaire en cas de plaie pour cautériser l'hémorragie.

Simultanément les glandes sudoripares sécrètent tout ce qu'elles peuvent pour enduire la peau d'un couche protectrice de sueur riche en anticorps (bon, chez l'humain pas trop), riche en produits lubrifiants (ce qui permet de diminuer l'emprise de la trompe de mammouth sur la peau), et qui accessoirement permet une thermorégulation.

Certaines défenses non spécifiques sont également mise en œuvre, comme par exemple les piquants... bons on n'en a pas, mais les poils hérissés ça fait toujours un peu peur au mammouth, et la vasoconstriction prononcée de la peau, pour diminuer le risque hémorragique en cas de coupure (d'où le teint livide).

Et comme il faut toujours prévoir le pire, l'organisme sait qu'il existe une possibilité non nulle de mourir. Et comme peut être que Grüt est le dernier mâle de son espèce, et que la préservation de l'espèce prime sur son désir d'avoir un nouveau slip, l'organisme peut parfois dans un geste désespéré, libèrer de la semence (en espérant qu'une femelle passe dans le coin). Il arrive donc que Grüt ait un orgasme et une éjaculation (je n'ai pas dit érection et c'est important pour la suite).
Point bonus dédiés à quelqu'un qui se reconnaîtra, il se peut que Grüt chasse le mammouth aquatique. C'est une espèce plus rare de mammouth à écailles qui implique d'une part que Grüt soit dans l'eau, et d'autre part que sa peau est glissante. Dans ces conditions il faut que Grüt bénéfice d'une adaptation supplémentaire : il faut qu'il puisse agripper le mammouth sans que celui ne lui glisse entre les mains. Pour ce bonus offensif, le facteur déclenchant est l'immersion et se traduit par une ridulation de la pulpe des doigts qui deviennent fripée. C'est un atavisme qui nous vient d'on ne sait pas trop où.
Résumons-nous, chez Grüt, le système ergotrope entraîne, de haut en bas :

Cerveau : Une stimulation des automatismes au dépend de la réflexion

Yeux : accommodation de loin et mydriase

Poumons : dillation des bronches

Cœur : tachycardie et effet inotrope

Vaisseaux : vasoconstriction pour la peau et les organes, sauf cerveau, cœur, poumons, et muscles, où il y a une vasodillatation.

Tube digestif : arrêt des complexes moteurs migrants, parfois precédé d'une vidange d'urgence (c'est-à-dire contre le sphincter volontaire)

Foie : Glycogénolyse

médullosurrénale  : sécrétion d'adrénaline et de noradrénaline

Pancréas endocrine : sécrétion de glucagon et inhibition de la sécrétion d'insuline

Vessie : relaxation du detrusor plus ou moins précédée d'une vidange d'urgence

Peau : sudation fluide (par opposition à la sudation grasse des parkinsoniens) et horripilation de poils

Sang : demargination des plaquettes et des lymphocytes.

En cas d'immersion : ridulation des pulpes des doigts.


Si Grüt parvient à ses fins, il va être très content ! Et être content c'est sympa ! Donc la composante du système nerveux autonome qui nous met en mode ergotrope est nommé : système nerveux SYMPATHIQUE.

Quand Grüt rentre chez lui après le travail, il se pose dans sa grotte lounge, se sert un glaçon et allume le feu pour voir ce qu'il y a comme peinture murale ce soir. Il passe en mode « zzzzzzBurp » .

Dans ce mode, le cerveau est au repos. Il n'est pas particulièrement attentif, et somnole. Il relâche ses muscles et s'il ne l'a pas déjà fait, il va tranquillement évacuer selles et urine. Le mur de la grotte n'étant pas loin, il va accommoder ses yeux pour voir de près et comme le feu est bien lumineux, ses pupilles vont se contracter (myosis).

La chasse ayant encrassé ses bronches, celle-ci vont se contracter et secreter plus de mucus pour accélérer leur nettoyage. Il va manger, ce qui va entraîner une sécrétion d'une salive riche en enzymes. Simultanément, le pancréas endocrine va secréter de l'insuline. Et comme dans la grotte il fait pile poil la bonne température, la sudation sera réduite au minimum. Comme il est très très détendu, il n'est pas exclu que Grüt ait une érection (sans stimulation sexuelle).

Si Grüt a été blessé, mais que ces blessures ne sont pas responsables d'un stress (en gros des écorchures ou des piqures de mammouth), il va y avoir une vasodilatation cutanée pour permettre un apport en anticorps et en facteurs trophiques.

Résumons-nous, chez Grüt, le système trophotrope entraîne, de haut en bas :
Cerveau : rien

Yeux : accommodation de près et myosis

Poumons : bronchoconstriction et sécrétion

Cœur : diminution de la fréquence cardiaque

Vaisseaux : vasodilatation cutanée

Tube digestif : mise en mouvement et vidange

Foie : rien

Pancréas exocrine : rien

Pancréas endocrine : sécrétion d'insuline

Vessie : vidange

Peau : rien

Sang : rien


Se détendre en regardant un mur étant également pas mal sympa mais plus à cause des conséquences que de ce que l'on ressent (nan parce qu'en soit une impériosité mictionnelle et fécal n'est pas non plus le truc le plus fin du monde), on appelle système nerveux autonome trophotrope, PARASYMPATHIQUE.

Notons que lors d'un rapport sexuel, l'homme et la femme sont en mode détente pendant le rapport et en mode guerre après (chez l'homme, l'érection précède l'orgasme et l'éjaculation). Il n'existe pas d'explication évidente, mais parmi les multiples théories il y a celle de la mante religieuse et celle de la meute. La première tente d'expliquer le phénomène comme un atavisme, où le mâle doit fuir au plus vite après un rapport pour éviter d'être décapité par une femelle affamée. Cette hypothèse colle avec le fait que la femme passe aussi en mode guerre et chasse. L'hypothèse meute part d'un autre atavisme où le mâle, s'il s'est tapé la femelle de chef de meute, doit détaler au plus vite pour éviter de se faire attraper.

Dans les prochains épisodes, les dérèglements, les médicaments et les effets secondaires de ces derniers.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Le système nerveux périphérique

et dans la collection
Neuro Anatomie