10.6.21

pourquoi sommes-nous des carricatures de nous mêmes ?

Un concept dépassé depuis 14 ans 
Qui garde tout son intérêt de vulgarisation neurologique :
Pourquoi sommes-nous des carricatures de nous mêmes ?



Voilà un #UnLapinUnThread sur un concept dépassé depuis 14 ans mais qui garde tout son intérêt de vulgarisation neurologique : Pourquoi sommes-nous des carricatures de nous mêmes ? 

Un peu de contexte pour comprendre le question.

Dans les limites physiques de nos articulations, de notre masse corporelle, de notre morphologie et de notre environnement, nous pouvons effectuer une quasi infinité de mouvements. 

Il y a des dizaines de façon pour moi de prendre avec ma main un stylo posé sur une table (pas dessus, par le côté, avec ma main ouverte, avec deux ou plusieurs doigts, etc.).

Pourtant nous avons chacun d'entre nous des mouvements très stéréotypés (mais n'employez jamais ce mot en présence d'un épileptologue, pour lui c'est synonyme de crise d'épilepsie). 

Nos stéréotypes moteurs sont si marqués, qu'ils font partie de notre identité visuelle. Si.

C'est d'ailleurs ainsi que les imitateurs ou les acteurs travaillent. 

Prenez n'importe quel film ou série historique ou apparentée, et vous voyez que parfois sans dire un seul mot, les acteurs incarnent leur personnage avec un certain port de tête, quelques gestes ou encore certaines poses. Et même sans acteur, vous avez tous en tête Elvis, Marilyne Monroe, Mickael Jackson, un président de la République, Obi Wan ou C3PO. 

On a donc d'un côté la capacité de faire des mouvements selon plein de manières différentes (la preuve en est que les acteurs justement peuvent incarner plusieurs personnages) et de l'autre côté un registre individuel assez limité voir caricatural. 

La question est pourquoi ?

Compliquons un peu la question. 

Nos mouvements participent aussi au langage non verbal. Nous avons culturellement les mêmes expressions pour… exprimer la surprise, la peur, la joie, la tristesse…. 

C'est tellement vrai que les emojis sont universels.

Et ces expressions sont si ancrées en nous, que la plupart du temps nous les manifestons sans y réfléchir. Si vous êtes triste vous ne vous dites pas "... ah oui zut je suis triste, comment on fait déjà ? Je vais arquer ma bouche vers le bas, abaisser les sourcils et baisser les yeux pour ressembler au petit bonhomme jaune 😔..."

En fait vous le faite sans même vous en rendre compte. 

On a donc :

  1. un registre de mouvements qui nous sont propres qui font partie de notre identité et que nous réalisons si naturellement que nous ne nous en rendons pas compte
  2.  un registre de mouvements universels exprimant non émotions et que nous réalisons tout aussi spontanément 

D'où la question : MAIS COMMENT ÇA MARCHE ÇA ??

Et c'est la qu'on rentre dans la neurologie des années 2006.

Mais là encore (admirez cet art du suspense)....Mais là encore donc, un peu d'anatomie.

Je ne vais pas vous expliquer comment fonctionnent les mouvements en général, ça serait super long et de toute façon y'a un article sur le blog qui explique ceci en long en long et en longueur. 

Pour ce thread vous avez juste besoin de savoir qu'entre le moment où vous décidez de faire un mouvement (attraper le stylo) et le moment où ce mouvement se produit, il se passe tout un tas de choses dont la plupart se déroulent dans ce que l'on appelle les noyaux gris centraux 

Et si on utilise le pluriel pour les nommer c'est parce qu'ils sont nombreux, chacun avec leur petit nom bien à lui et chacun, avec des zones à l'intérieur de lui-même, qui ont des fonctions précises et par conséquent des noms tout aussi précis. 

Bref les noyaux gris centraux ne sont pas vraiment des noyaux, mais en ensemble de grappes de neurones formant des groupes des grappes puis des tas de groupes de grappes. (Accessoirement ils ne sont pas non plus gris, et pas du tout centraux mais latéraux). 

Et ces noyaux reçoivent des informations de presque partout (partout étant le reste du cerveau) ce qui veut dire que ces noyaux, quand vous voulez exécuter un mouvement, savent ce que vous voulez faire, pourquoi vous voulez le faire et ce que vous éprouvez à ce moment là. 

Et avec toutes ces informations ils vont a leur tour stimuler (indirectement) selon un ordre et une temporalité précise, les muscles nécessaires à l'exécution du mouvement que vous avez voulu réaliser. 

Notez bien que tout ceci ne requiert aucun effort de votre part dans la plupart des situations sauf si 

  1. vous êtes en situation d'apprentissage 
  2. vous avec un syndrome parkinsonien 
  3. vous avez une apraxie.

Mais sinon ça se fait tout seul. Comme ça. Comme par magie. 

Pour le dire autrement, quand vous voulez attraper un stylo sur la table, vous ne vous dites pas "alors je vais d'entendre mon biceps gauche de 20% puis mon long extenseur du pouce de 37,6% afin d'opérer une rotation de 17,91⁰)".

Vous le faites et puis c'est tout. 

Et si ça marche, vous êtes content, et même si vous n'avez aucune idée de la série de micro mouvements que vous avez effectué, le fait que vous soyez content de vous, va renforcer cette séquence exacte la prochaine fois que vous voudrez prendre un stylo. 

Bref, à chaque fois que vous avez effectué un geste d'une certaine façon, dans un certains but, avec un certain état émotionnel, et que le geste vous donne satisfaction, cela va augmenter la probabilité que la prochaine fois, dans les mêmes circonstances, vous fassiez pareil. 

Vous allez donc vous créer un répertoire restreint de mouvements pour la plupart des situations de la vie quotidienne.

Une des théories pour expliquer la création et la nature de ce répertoire, a été exposée par Yelnik dans les années 2000 sous le nom de Clavier Pallidal ©®™. 

Pallidal ça vient de Pallidum qui veut dire pâle, blême, blafard et qui est le nom d'un des groupe de neurones des noyaux gris centraux. 

Selon cette théorie le Pallidum serait organisé en sous régions (ça en soit c'est vrai) qui chacune serait spécialisée dans l'exécution d'un mouvement simple. Toujours selon cette théorie, le nombre de ces régions serait fini.

Par contre un peu comme sur un clavier il serait possible de les associer comme sur un piano pour faire des mouvements plus complexes. 

Autrement dit, on serait un peu comme les notes de la gamme sur plusieurs octaves qui permettent de jouer une infinité de musiques sur un piano mais qui en aucun cas ne peuvent êtres confondues avec un musique de violon et de saxophone. 

Pour le dire encore autrement, nous pouvons tout faire, mais c'est toujours à notre façon, qui correspond à un répertoire limité de mouvements déclenchés par notre volonté et/ou notre expérience et/ou nos émotions. Voilà d'ailleurs une très jolie illustration d'une coupe transversale de pallidum avec en LI les afférences limbiques AS associatives et SM sensori-motrices


(oui je sais que ce ne vous dit rien mais c'est pour vous rappeler que les neurologues parlent de trucs mystérieux).

En résumé.

  1. quand vous faites un geste, vous ne le faites pas. C'est pas vous en tant que personne consciente d'elle même qui le fait mais un ensemble de sous réseaux neuronaux spécialisés. 
  2. un peu comme les artisans du BTP ou les dev, (désolé tout ça) quand ils vous disent : "oui bien sûr on va faire cr que vous nous demandez", cela veut dire : "ouais en fait on va faire à notre façon et tu n'y verras que du feu". 
  3. ce qui fait que de la même façon on peut reconnaître la patte d'un même artisan dans des projets commandités par des clients différents, on peut reconnaître vos mouvements indépendamment de la façon dont vous auriez voulu les exécuter. 
  4. par conséquent, plus le temps passe, plus vos mouvements sont répétitifs, et plus vous ressemblez à une carricature de vous même.