22.2.22

#UnLapinUnThread | effets cognitifs des chimiothérapies

Ou pour le dire autrement, 
pourquoi on a la tête dans le brouillard après une chimio, 
même lorsqu'elle est terminée et que le cancer est en rémission.


Avant de vous lancer dans la lecture de ce texte, ne vous enthousiasmez pas trop. On va parler molécules, immunité et cellules mais pas de traitements. En tout cas pas trop. 

Donc si vous avez mieux à faire (sécher le linge, gratter votre nez... n'hésitez pas, faites-le).

  • Sinon comme d'hab, cernons le sujet avec quelques faits :
  • Une personne sur trois aura un diagnostic de cancer dans se vie.
  • Les traitements devenant plus efficaces, la survie augmente, et donc la prévalence de personnes avec un cancer traité ou en cours de traitement augmente aussi.
  • On estime à 20 millions de personnes dans le monde celles qui ont un cancer découvert dans l'année, et à 50 millions le nombre qui ont ou ont eu un cancer au cours des 5 dernières années.

Les neurologues étant des gens simples s'occupant plus des conséquences des traitements anti-cancéreux que des traitements eux-mêmes, on se contente de les regrouper en trois grands groupes :

  • Les chimiothérapies classiques.
  • Les immunothérapies par anticorps monoclonaux.
  • Et les immunothérapies CART.

Je sais que ça ne vous parle pas, mais on va en discuter en détails juste... ci-dessous.

Les chimiothérapies classiques, tout le monde en connaît les principes. 

On vous file un produit toxique dont on adapte la dose afin qu'il tue les cellules cancéreuses plus vite que les cellules saines. Et on compte ensuite sur la capacité des ces dernières à se régénérer. Sauf que pas de bol, les neurones...ne se régénèrent pas. Genre pas du tout. Même pas un peu (oubliez les cellules souches, y'en a quasiment pas et en plus elles se font défoncer en premier). 

Les chimiothérapies classiques ont donc comme effet de détruire du neurone ou leurs cellules de support (oui parce que le neurone en lui-même, sauf cas particulier, est tellement incapable d'absorber tout seul des substances extérieures que paradoxalement il est protégé), sans que rien ne permette ensuite de reconstituer la population disparue. Les améliorations ne pouvant alors se faire que par l'augmentation du boulot des survivants. 

C'est un peu comme si sur une chaîne de travail à la chaîne où travaillerait un saboteur, vous butiez un ouvrier sur deux en comptant sur la probabilité de 50% d'avoir sa peau, et sur la libido des survivants pour repeupler le nombre d'ouvriers après le "traitement". 

Sauf que dans le cerveau la libido des travailleurs est nulle et tout ce que vous pouvez espérer est que les survivants travaillent deux fois plus, ce qu'ils ne feront pas bien et pas longtemps. 

Les études montrent que 60% des personnes ayant bénéficié d'une chimiothérapie ont diminution de leurs capacités cognitives pendant 7,7 mois en moyenne après la fin de leur chimio. C'est une moyenne, ce qui signifie que si pour certains c'est beaucoup plus court, pour d'autres c'est beaucoup plus long. Et si pour certains il ne se passe rien, cela veut dire que pour d'autres ça ne passe jamais. Avec des conséquences familiales, sociales, professionnelles... 

Bref, après une chimio, certaines personnes, alors qu'elles ne sont plus traitées et que leur cancer est une histoire ancienne, présentent une fatigabilité, des troubles de l'humeur, une anxiété et des troubles du sommeil...chroniques, voir définitifs (* Sauf traitement adapté). 

Et le problème est que ce trouble pourtant très très objectif, est peu ou pas reconnu en tant que tel. Peu reconnu en médecine parce qu'en général il est mis sur le compte du stress liée à l'annonce d'un cancer et la marque que cette maladie imprime sur la vie des gens, ou encore parce que les personnes victimes de cancer sont âgées et qu'on considère que c'est du vieillissement "physiologique" ou une démence débutante. Et puis c'est mal reconnu socialement ou professionnellement parce que ces troubles sont invisibles, et que selon le bon sens populaire c'est bien normal ma pov'dame d'être un peu débile après une maladie qui fait rien que du stress. 

C'est aussi un des fond de commerce des fakemed que de vendre au prix cher, des substances exotiques aux victimes de cancer pour mieux supporter leurs troubles. La où il y a de la détresse il existe toujours des charognards, de la naturopathie et de l'homéopathie pour en profiter.

On a vu les chimiothérapies, voyons maintenant les immunothérapies par anticorps monoclonaux.

Là le mécanisme est différent. 

Si on reprend l'image du saboteur sur une chaîne de travail, ici on ne bute pas aveuglément un ouvrier sur deux en espérant choper le méchant... Mais on stimule les contre-maîtres (bah oui, le corps humain c'est Zola) pour repérer le saboteurs à différents indices et les dénoncer aux flics pour qu'ils les abattent. C'est un peu plus ciblé. 

En pratique, les anticorps monoclonaux vont permettre au système immunitaire de reconnaître les cellules cancéreuses et de les détruire. Comme c'est plus ciblé, l'abattage d'innocents est moindre. 

Il n'existe pas d'études spécifiquement axées sur les conséquences cognitives de ces thérapies, mais sur les faibles séries disponibles on a 37%  de patients avec des troubles cognitifs à 6 mois. 

Sauf que, ces thérapies sont souvent associées aux chimiothérapies conventionnelles, ce qui fait que les effets secondaires cognitifs d'additionnent.

Troisième type de traitement, les immunothérapies CART

Là c'est de la merveille d'ingénierie cellulaire. On "fabrique" des lymphocytes T qui vont avoir pour mission de détruire des cellules cancéreuses (essentiellement des lymphocytes B). On n'est plus sur l'image des travailleurs à la chaîne, mais sur du Terminator qui a été spécialement programmé pour buter Sarah Connor.  En théorie c'est très propre. En pratique moins. Parce que figurez-vous que même si on a affaire à une sorte de rogue Sarah Connor, elle se défend, et elle se défend bien. Bref il y a des échanges de tirs, des balles perdues, des cascades.... En pratique cela veut dire que la bataille est sanglante. Et pour les personnes traitées ça se traduit par deux phénomènes.

  • D'une part le CRS. Rien à voir avec les flics. Le CRS veut dire CYTOKINE RELEASE SYNDROME. C'est les balles perdues. Ce sont des médiateurs inflammatoires libérés là où il ne faut pas, et qui provoquent des douleurs, des troubles cardio-respiratoires, parfois des défaillances multi-viscérales. C'est la guerre, la guerre c'est moche, et le cerveau a beau être protégé de la plèbe par la barrière hémato-encéphalique, il fonctionne mal lorsque tout le reste du corps et à feu et à sang.
  • Et puis il y a un deuxième phénomène : l'ICANS. Rien à voir avec le slogan d'Obama (oui je sais j'ai un humour pourri, mais je rappelle que je suis neurologue). L'ICANS veut dire : Immune effector cell-associated neurotoxicity syndrome. Même si vous parlez pas anglais, vous comprenez que c'est pas top. L'ICANS est une association de confusion, céphalée, délire, épilepsie, myoclonie, aphasie, paralysie, œdème et parfois hémorragies cérébrales, provoquées par on sait pas trop bien quoi... ..mais probablement par des CART qui s'en prennent au membranes de protection du cerveau plutôt qu'à Sarah Connor. Un peu comme si Terminator se mettait à tirer sur tout ce qui bouge au hasard. Vous vous doutez bien qu'après un évènement comme ça, le cerveau qui est quand même fondamentalement une utopie d' insouciance (le corps humain c'est Zola mais le cerveau c'est Hadrien au temps de la Rome Impériale), Ne s'en remet pas facilement. Trois ans après un traitement de ce type, 37% des patients ont des troubles de la mémoire, 35% ont du mal à trouver leurs mots, 30% ont des troubles de l'attention, 23% ont des troubles exécutifs. Et bien évidemment un même patients peut avoir une chimio classique, une immunothérapie par anticorps monoclonaux et une immunothérapie CART.
Bon maintenant qu'on a dit tout ça, que peut-on y faire sachant que la pierre sur laquelle toute la neurologie est bâtie est l'impossibilité de faire quoi que ce soit ? 

Tout d'abord le reconnaître et quantifier le trouble.

Ça n'a rien à voir avec le fait de s'assoir a côté des patients la main molle et le regard humide, ils besoin de soins, pas d'une chien. Donc :

  1. on leur demande activement s'ils présentent [ les symptômes cognitifs énumérés dans ce thread]. Les patients ont rarement fait médecine, ils ne penseront pas spontanément à nommer tous leurs troubles. Reconnaître c'est d'abord nommer.
  2. on leur propose un examen neuropsychologique complet. Pas un MMSE avec un chiffre au hasard inscrit par l'externe en retard pour prendre son bus, mais un vrai examen avec un/une vraie neuropsychologue.
  3. on leur explique que ce dont ils de plaignent sont des effets secondaires qu'il faut prendre en charge avec le même sérieux que les autres.
  4. on leur propose des antidépresseurs. Pas pour ma dépression, mais pour l'effet. psychostimulants. Idem pour les aider à dormir. Le mieux reste les tricycliques dans cette indication.
  5. 5on leur fait faire du sport et des jeux vidéo. Quel rapport ? Est-ce le lobby des salles de sports ? Est-ce une diversion ? Peut-on sérieusement proposer à quelqu'un de jouer à HDZ alors qu'il sort d'un cancer et qu'il à 70 ans ? OUI ! Parce que c'est ce qui permet de faire fonctionner au mieux les mécanismes de plasticité cérébrale. J'ai déjà écrit plein de threadse là-dessus.

Et enfin, on éduque leur entourage.

Combattre une maladie de ce type est un énorme défi, subir ces effets secondaires invisibles est un vrai handicap, mais on peut pas le faire à la place des patients.

Par contre assurer le SAV auprès de leurs proches est un soin utile.