16.6.20

#UnLapinUnThread | Démences : quand la clinique ne sert à rien, et la biologie non plus.

Un article sur un de mes sujets préférés,
quand le neurologue regarde la clinique, il ne voit pas la lune.
et accessoirement, la biologie c'est sympa mais c'est guère mieux.




Petit rappel des faits. 

La neurologie regroupe plusieurs disciplines plus ou moins pures. Certaines ne sont pas réellement de la neurologie. Les AVC par exemple c'est de la cardio/angiologie/rééducation.

D'autres sont mixtes comme la SEP où il y'a de l'immunologie et de la circuiterie neuronale.

D'autres sont purement neurologiques comme les épilepsies et certaines formes de Parkinson qui sont liées, entre autre, à des troubles de la communication entre neurones.

Et il y a toute une partie qu'on ne sait pas vraiment classer (et ça c'est embêtant parce que les neurologues ne sont pas là pour soigner quoi que ce soit, Charcot l'a interdit, mais pour classer des symptômes afin de trouver des jolis syndromes).

Dans cette partie il y'a ce qu'on appelle pudiquement les troubles neurodégénératifs, un peu comme si les neurones avaient une date de péremption alors que techniquement ils sont immortels. Et dans ces troubles neurodégénératifs on classe la plupart des démences, les plus connues étant la maladie d'Alzheimer, la démence frontal (fronto temporale) et la démence à corps de Lewy.

Et comme les neurologues adorent classer les trucs, et adorent les signes cliniques à la c... Hmmm... subtiles (c'est mieux subtile), ces trois maladies sont décrites avec suffisamment de précision pour qu'on ne les confondent pas.

  • L'Alzheimer est une démence qui touche d'abord et principalement la mémoire avec, au début en tout cas, une nette préservation de toutes les autres capacités cognitives, motrices, sensitives etc...
  • La démence fronto temporale en est l'exacte opposé avec une mémoire intacte mais des problèmes comportementaux (surtout de la désinhibition) et des troubles moteurs par apraxie (mot compliqué pour dire qu'on ne sait plus comment réaliser des gestes pourtant simples).
  • Et la démence à corps de Lewy est l'exacte opposée des deux autres (si si, dans les géométrie moldu les opposés vont deux par deux mais dans la géométrie neurologique il n'y a pas de limite au nombre de choses individuellement opposées entre elles). La démence à corps de Lewy est donc supposée être une atteinte pseudo psychiatrique, avec des hallucinations au premier plan et un syndrome parkinsonien, mais sans troubles mnésiques ni signes frontaux précoces.

Bon bref, on a trois trucs différents, qui ne sont pas pareils, et donc distincts car dissemblables (je suis à court de synonymes).

Sauf que rien que pour nous embêter, ces trois pathologies, quand elles évoluent, finissent par se ressembler. Elles se ressemblent tellement que les patients très déments ont tous les mêmes signes, indépendamment du beau diagnostic initial. Et il y a pire. Il y a des pathologies qui n'ont rien à voir qui finissent pareil comme par exemple les maladies de Parkinson, les Chorées de Huntington etc...

C'est embêtant. C'est un peu comme si je vous disais qu'une otite ou une cystite, c'est une peu pareil, c'est des formes de pancréatite. Et si ça c'est possible dans le monde zoologique de l'infectiologie, c'est inimaginable dans l'univers systématisé de la neurologie.

Du coup, et au grand dam des professeurs de neurologues, on a cherché ce qu'on n'avait pas compris. Si je dis au grand dam, c'est parce qu'un des socles de la neurologie est que la clinique ne peut être mise en défaut par les examens complémentaires. Chercher ailleurs est donc une hérésie.

Et en cherchant ailleurs on n'a pas trouvé grand chose jusqu'au jour où on s'est intéressé aux protéines présentes dans les neurones. Et là surprise, dans toutes ces pathologies neuro dites dégénératives, au lieu de trouver des trucs en moins, on a trouvé des trucs en plus.

On a des trouvé tout un tas de protéines, qui avaient l'air normales, mais qui semblaient s'accumuler anormalement dans les neurones ou autour d'eux, au point de les détruire presque mécaniquement. Et en y regardant de plus près, on s'est aperçu (je vous la fait très courte) qu'on était dans un mécanisme proche de celui observé dans les maladies à prions (comme dans la vache folle pour simplifier de façon outrageusement racoleuse).

Et donc, que dans ces pathologies dégénératives, quelque chose provoquait des modifications de protéines normales au point de faire crever dans de façon glauques de magnifiques neurones par ailleurs normaux (et en théorie immortels, mais un peu moins du coup).

Bon, cette découverte était acceptable par les professeurs de neuro parce que ça ne remettait pas en cause le dogme de la supériorité de la clinique puisque ça ne changeait rien au diagnostic.

Sauf que.

Sauf que si vous avez une protéine, vous pouvez vous amuser à regarder qui elle est, d'où elle vient, qu'elle est la profession de ses parents, si elle habite seule (ils sont comme ça les biochimistes, super intrusifs et voyeuristes dans la vie privée des protéines).

Et là pas de bol, les protéines ne respectent pas du tout la clinique. L'Alzheimer ? C'est parfois dû à un problème de protéine beta amyloïde, ou de protéine Tau. La protéine Tau ? On la retrouve dans l'Alzheimer mais aussi dans les démences frontales.

Les démences frontales ? Certaines sont dues à des anomalies de la protéine Tau, d'autres à la TDP43, d'autres à la synucléine. La synucléine ? C'est surtout une protéine anormale dans les démences à corps de Lewy, qui parfois sont liées à la beta amyloïde (comme L'Alzheimer)...

Bon bref, c'est un bordel absolu qui met à bas le dogme de la supériorité de la clinique. En fait les maladies dégénératives ne sont pas des maladies, mais des symptômes (grosse descente dans la hiérarchie médicale qui place l'Alzheimer au même niveau qu'une toux). Et ça c'est hyper humiliant. Imaginez : vous êtes un des plus grands PUPH de France (on va vous appeler Bruno pour plus de simplicité). En tant que Bruno vous avez fait des congrès plus grands que Bercy ou vous étiez la star en parlant de l'Alzheimer. Et un jour, un random biochimiste aux T-shirts douteux et au jean troué te dit : "Bah m'sieur Bruno, t'es une sorte de toussologue hein, mais l'Alzheimer tu t'y connais autant que mon chat".

C'est moche.

On a donc des maladies qui ne sont plus que des signes d'anomalies protéiques qui selon les régions du cerveau qu'elles touchent donnent des signes qui peuvent se combiner n'importe comment. Et ces maladies qu'on croyait bien établies ne sont que des sortes de paréidolies neuro.

C'est remoche.

C'est moche pour les neuro.

C'est moche pour les patients (bah oui parce que du coup les médicament de l'Alzheimer soignent (pas) un truc qui n'existe pas)

Et c'est moche pour la classification internationale des maladies (CIM10 pour les intimes).

Mais les biologistes étaient contents. Pour une fois ils allaient pouvoir faire des diagnostics complexes en regardant dans le sang ou ailleurs quelles protéines étaient abîmées. Grand jour de gloire, ils allaient se couvrir d'or et pouvoir acheter du Whiskas 3 étoiles à leur chats.

Sauf que.

Sauf que ça marche pas non plus. Mais genre pas du tout. Et c'est logique puisque la clinique est totalement aléatoire par rapport à la protéinopathie sous jacente.

Du coup, quelle conclusion en tirer ?

Que pour l'instant, en 2020, on a une régression des capacités diagnostiques neurologiques. On ne sait pas, sauf à attendre le décès et ouvrir le cerveau pour regarder les protéines, dire quelle pathologie neurodégénérative provoque les symptômes d'une personne donnée. On ne sait pas, même si cela existait, comment prescrire un traitement d'après la clinique ou la biologie. Et surtout, on ne sait pas, mais alors pas du tout, quoi faire des centres mémoire de ressources et de recherche (CM2R) qui emploient de nombreux neurologues et IDE pour faire de la toussologie.

(Bon après rassurez-vous, eux ils savent très bien comment paraître utiles).