Il y'a la science, et il y a vous le lundi 16 heures par un temps de chien avec votre patient qui vous dit que tous les traitements que vous lui donnez sont bien sympas, mais ne répondent pas à ses besoins. Il y à vous, et un patient avec un trouble neuro qui prend son traitement avec une observance à faire pâlir d'envie le plus maniaque des attachés de recherche clinique, et qui vous dit que vous êtes nul. Bref il y la brillante réalité médicale de pubmed, et votre réalité toute pourrie qui n'intéresse personne à part vous et votre patient (et comme vous n'êtes ni l'un l'autre dans pubmed, tout le monde s'en tape).
Bref, il y'a la prise en charge optimale, et il y'a les traitements symptomatiques comme ceux que j'ai décrits dans le billet sur le sommeil des déments (http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2014/05/il-ne-dort-pas-le-sommeil-des-dements.html) , ou sur la maladie de Parkinson (http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2016/01/syndrome-parkinsonien-en-medecine.html) . Je vous propose ici (enfin plutôt ci-dessous) de voir quelles prises en charge proposer devant plusieurs situations neurologiques. Comme il est difficile d'utiliser un classement nosologique, je vais utiliser un classement symptomatique en utilisant la terminologie neuro (oui je sais, mais c'est quand même un peu mon job, j'ai toujours du mal à m'en passer). Dans ce billet on va surtout s'intéresser aux suites d'accidents vasculaires cérébraux (le contexte est important car il implique que les dégâts ont eu lieu en une ou plusieurs fois, mais que le processus lésionnel est interrompu, et que la plasticité cérébrale n'est pas compromise).
1. La plégie/la parésie.
Là vous allez me dire c'est facile, il faut faire de la kinésithérapie. Et du sport. Et de l'exercice. Et des machins électriques qui font bouger les muscles. Et un peu tout en même temps. Et en se fatigant mais pas trop. Ce n'est pas faux mais un peu quand même. L'erreur la plus fréquente que font toujours les patients, souvent les kinés (désolés mais c'est vrai), parfois les médecins (oui aussi oui), et jamais les neurologues (jamais jamais jamais hein), c'est d'oublier que le problème n'est pas musculaire ou tendineux. Pour le dire autrement, vous pouvez secouer un cerisier des années, si vous avez coupé le tronc, vous n'aurez aucun fruit (oui l'images est nulle, mais je suis pas Asimov). Votre seul espoir est de développer les aires corticales du mouvement pour reprendre les contrôle des quelques neurones moteurs qui ont survécus (en cas de destruction complète de l'aire motrice, c'est mort). Et pour les développer, la seule méthode qui ait une efficacité, est la stimulation cognitive. En gros, pour bouger il faut penser à bouger, il faut y penser souvent, il faut y penser intensément, et il faut y penser longtemps. Sauf que si vous dites ça à Mme X, qui a connu personnellement l'épouse de René Coty (pour ceux qui l'ignorent, René a été président de la république en 1954, et sa femme s'appelait Germaine), elle va pas bien comprendre ce que vous lui voulez. Je suis d'ailleurs injuste parce que même un jeune laissé seul avec ces consignes n'en fera rien. C'est là qu'il vous faut prendre votre courage à deux mains et passer pour, au choix, sadique, ou immature. La seule façon connue d'obtenir efficacement des résultats moteurs est le jeu. L'appât du gain (au sens de "gagner") est un des rares stimulant qui permette de provoquer l'équivalent d'une transe, ou d'une autohypnose suffisamment puissante pour obtenir le degré d'effort nécessaire. Encore faut-il que le jeu soit adapté. Dans les hôpitaux militaire américains on utilise volontiers les jeux vidéo de simulation de tir (les quake like) en mode semi assisté. Semi assisté cela veut dire que même si le patient ne bouge pas, l'avatar avance, se positionne correctement et tir, avec un succès garanti (oui le jeu est un peu trafiqué). Et si le patient bouge, les résultats sont encore meilleurs. L'idée ici est d'avoir en permanence un renforcement positif. Evidemment, votre patient jeune n'a pas ce genre de jeux sur mesure à la maison, mais le simple fait de l'inciter à jouer à un shoot 'em up est un gros plus. Quant à Mme X, qui pense qu'une console est un meuble décoratif appliqué contre un mur, et qui par conséquent ne voit pas très bien comment elle pourrait jouer avec alors qu'elle a déjà du mal à se lever de son lit, vous allez devoir passer pour (tout en ne l'étant pas) un sadique. L'objectif reste de récompenser le mouvement. Note importante, ceci ne doit jamais se faire avec des objets destinés au confort ou à la sécurité (placer la télécommande du lit un poil trop loin est juste idiot pour rester poli). Pour Mme X, vous avez plus de chance avec par exemple des albums photos qu'elle aime bien, la télécommande de la télé ou le bouton de la radio. Contrairement aux plus jeunes, il est impératif chez les sujet âgés de le faire en leur présence et avec bienveillance (le sadisme involontaire n'est jamais bien loin dans ces situations). Dans l'exemple de l'album photo il faut tourner les pages lentement, en n'accélérant que si le mouvement est ébauché par la patiente. Le piège est de ne pas les tourner (sadisme), ou d'attendre des efforts démesurés (re-sadisme). Il faut être vigilent aux micro mouvements et les accompagner. Il faut donc éduquer la personne qui va se taper 40 ans de souvenirs photos (en novlangue médicale on dit : l'aidant principal) à être observateur et proportionné dans ses réactions. Bien évidemment tout ceci n'est pas à proposer à la place de la kiné qui reste un complément essentiel.
2. Les paresthésies.
2. Les paresthésies.
Plus difficile. Mais pas le pire (le pire c'est la négligence). Les paresthésies sont rares, en tout cas bien moins fréquentes que les anesthésies. Le problème est le même que pour les parésies. On se focalise sur le territoire atteint, en oubliant que le problème est cortical. Je vais vous éviter une analogie bizarroïde alors disons d'emblée qu'il est inutile de mettre des crèmes, du froid, du chaud, de l'électricité ou la papatte du gros chienchien sur les zones qui fourmillent, si vous ne renforcez pas la gate control ou la distractibilité. Pour le gate control, le TENS est la moins mauvaises des techniques locale. On oublie cependant qu'il existe un deuxième équivalent de gate control, bien plus puissant, au niveau du thalamus. Il ne s'active que lors des stimulations généralisées du corps. Bref, pour le dire autrement, si vous avez un short de bain avec du sable et que vous êtes sur la banquette arrière en sky brulée par le soleil d'une vieille bagnole, le tissus du short vous est largement plus pénible, que le même maillot quand vous nagez au milieu des raies mantas dans une eau à la température idéale. Ce n'est pas le tissus qui change, mais le frottement de l'eau sur l'ensemble du corps (gate control) associé à l'émerveillement de la vision de la raie (distractibilité), qui permet ce bien-être. Alors comme exemple parmi d'autres pour les pauvres qui n'ont même pas de quoi se payer chez eux une piscine avec des raies mantas, une solution consiste en (au mieux) des séances dans les centres aquatiques avec des parcours ludiques (chez moi par exemple il existe un centre avec des jacuzzis à remonter à contre-courant ou dans lesquels on peut s'allonger en regardant des vidéos) ou (au en moins bien), des bains à bulles dans sa baignoire en regardant une bonne série (et vous seriez étonnés de voir que mêmes des patientes âgées trouvent ça formidables, pour peu que leur axillaire de vie les accompagnent et leur proposent un film ou une musique qu'elles aiment). En cas d'allergie à l'eau, une autre solution consiste à faire faire une activité physique (je n'ai pas dit sportive) qui nécessite de se concentrer. L'idée est toujours la même : distraire (d’où la nécessité de se concentrer sur autre chose) et renforcer le gate control global (l'activité physique en renforçant les afférences proprioceptives motrices diminue la perception des afférences sensitives). Inutile de chercher loin, le jardinage pour enlever les mauvaise herbes est très efficace, tout comme le sont des activités aussi décalées que des visites de sites historiques (pour les patients que l'histoire intéresse évidemment). Toujours localement il y a quelques patients qui organisent des visites de sites industriels (chacun son truc). Pendant les visites où ils apprennent tout un tas de trucs fascinants, ils ont à la fois obligés de suivre les explications (distraction), et de suivre la visite (activité physique), ce qui dans une usine les force à monter et descendre coursives et escaliers. Là encore ce n'est évidemment qu'un exemple.
3. La négligence.
3. La négligence.
Autant le dire tout de suite, ou plutôt le redire pour ceux qui ont lu le paragraphe précèdent, c'est un des symptômes les plus difficile à corriger. C'est tout bête à comprendre : dans une négligence, le patient, ne sait plus que le membre ou l'hémicorps atteint existe. C'est une peu comme si après un accident, je venais vous demander de bouger le troisième bras que vous avez dans le dos. Vous me diriez gentiment, tout en reculant de quelques pas, que c'est impossible parce que vous n'avez pas de troisième bras, ni dans le dos ni ailleurs. Et si je me montrais insistant, il est possible d'imaginer que vous vous braquiez contre moi. Ici on a exactement le même problème : avant de proposer au patient de rééduquer le côté atteint, encre faut-il le convaincre que ce côté existe. Et là vous avez deux situations : la mauvaise et la très mauvaise. La mauvaise c'est quand vous avez une sensibilité ou une motricité conservée. La très mauvaise c'est quand vous avez une négligence, un trouble moteur et une anesthésie. Cependant dans tous les cas la conduite à tenir est la même : stimuler un maximum de façon directe et indirecte le mauvaise coté. Mais avant ça, et comme toujours en neuro, il faut déjà éduquer l'entourage et le patient à placer les objets en lien avec le confort et la sécurité du coté valide. Ensuite, et seulement ensuite, la meilleure des chose à faire et de placer tout le reste (y compris vous) du mauvais côté. Un exemple concret est le positionnement du lit dans la chambre et des objets par rapport au lit. Dans une héminégligence gauche (cas le plus fréquent chez le droitier, appelé également syndrome de l'hémisphère mineur ou syndrome d'Anton et Banbsinki), le lit doit être placé si possible de façon à ce que la porte (sécurité) soit du côté droit du patient et la fenêtre (point d'intérêt) à gauche. La sonnette, la carafe d'eau, le téléphone, à droite, la télé, la radio, la famille, les photos, le chien et la xbox à gauche. Et quand on discute avec le patient, il faut non seulement se placer du mauvais côté (à gauche donc), mais accompagner ses propos de mouvements actifs du membre atteint que l'on fait passer dans le champs visuel. En pratique ça donne : "Bonjour Mr X, aujourd'hui on va voir où en est la récupération de votre bras gauche" tout en saisissant le bras gauche et en le plaçant dans la main droite. Et dans les exercices à faire faire obligatoirement, il faut insister sur les gestes bi manuels comme par exemple… applaudir. Bah oui parce qu'applaudir avec une main c'est pas très efficace (mais ça le négligeant s'en tape) par contre, le négligeant sait que lorsqu'on on applaudit on entend le claquement des deux paumes. Et instinctivement (c'est une mesure de correction cérébelleuse) le patient va chercher l'autre main. D'abord en tâtonnant (et là il faut l'aider), puis en explorant l'hémi espace gauche (et là il faut le laisser faire).
4. L'aphasie.
4. L'aphasie.
Je ne vais pas m'étendre là-dessus, les orthophonistes ont ici un rôle essentiel avec des exercices adaptés aux très nombreux troubles phasiques (qui ne se limitent pas, loin de là, au Broca et au Wernicke). Le seul point important, à taguer sur les murs de chaque chambre de patient aphasique, c'est de ne jamais, jamais, mais alors jamais, essayer de faire parler un mutique, et encore moins en lui posant des question fermées. Petite explication très simplifiée : dans une aphasie, l'accès au langage a disparu. Si vous essayez de forcer la parole en demandant toutes les cinq minutes, ou même une fois par jour : "alors, ça va ?", des processus distincts du langage vont se mettre en place, pour récupérer la prononciation du son "oui", sans aucun contenu sémantique. Une fois ces processus en place, ils se substituent au langage normal. On les nomme automatismes, et c'est eux qui sont responsables de ces échec de rééducation où les gens répondent "oui" à tout, quelle que soit la question (ça marche aussi avec Hodor).
5. L'hémianopsie.
5. L'hémianopsie.
Si vous avez été déçu par mes propositions sur l'aphasie, vous allez l'être encore plus avec l'hémianopsie. Il n'y a rien que l'on puisse faire avec deux bouts de ficelle et un voyage organisé pour visiter les châteaux de la Loire. Il existe quelque méthodes assez difficiles d'accès (comme à la fondation à Paris) de rééducation active en développant la vision implicite (c'est à dire que le patient ne voit pas, mais quand on le test en projetant des images dans l'hémi champs aveugle, il se comporte comme s'il voyait). Quelques cas d'amélioration de l'hémianopsie, là encore avec des jeux vidéo, mais avec un casque VR sont décrits (toujours dans les hôpitaux américains), mais pour le coup ça ne s'adresse qu'à des sujet jeunes qui n'ont pas à acquérir simultanément le contrôle du jeux et le concept de jeux en réalité virtuelle.
Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Pathologies neurovasculaires
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