13.8.20

#UnLapinUnThread | Et si on mesurait la douleur avec une prise de sang ?

Cela semble absurde 
parce que s'il y a bien quelque chose de personnel et subjectif, c'est la douleur.
pourtant, c'est sérieux et on va voir ça en détails.



Comme d'habitude, pour comprendre il faut un peu de contexte.

Prenons les États-Unis par exemple. En 2014, 178 millions d'adultes se plaignaient de douleurs, dont 100 millions avec une douleur chronique ayant des conséquences sur leurs activités sociales et professionnelles. 

La conséquence, toujours aux États-Unis, et que de plus en plus d'adultes prennent des opiacés avec les risques de dépendance et d'overdose. On estime que chaque jour 90 personnes meurent d'overdose aux USA où on parle de véritable épidémie.

De façon plus globale, on estime qu'en 2016 275 millions de personnes dans le monde prenaient des opiacés au long cours, et que 27 millions avaient des signes de dépendance (évidemment on ne les a pas comtés un à un, c'est des ordres de grandeur). Et évidemment, tout ceci a un coût énorme pour les systèmes de soins. Des cours directs en médicaments, et des coûts indirects liés aux conséquences sociales. C'est donc un enjeu majeur pour la plupart des agences de santé de trouver comment traiter plus vite et plus efficacement la douleur (pour l'empêcher de devenir chronique) tout en évitant les surdosages.

Et pour cela depuis 2018 les agences de santé européenne @EMA_News , américaine @FDA,  canadienne @GovCanHealth, japonaise @PMDA_JPN et chinoise @CFDA_ME se sont unies pour trouver des biomarqueurs de la douleur.

Alors inutile de vous dire que personne ne s'attend vraiment a trouver UN seul et unique biomarqueur, mais l'idée est de trouver des marqueurs par type de pathologies qui pourraient guider les traitements (qu'ils soient médicamenteux ou non). En 2020, après avoir regardé des marqueurs biologiques, radiologiques, électrophysiologiques.. On en est à 7 marqueurs candidats à des essais plus larges.

Le NGF (nerve growth factor) dans les lombalgies chroniques, dont la concentration est hautement corrélée à la pathologie, hautement corrélée l'intensité de la douleur et à l'efficacité des antalgiques.

  • La CGRP dans la migraine (avec les mêmes corrélations)
  • Le TRPV dans les douleurs inflammatoires, qui a presque les mêmes caractéristiques SAUF que son employabilité clinique reste à démontrer
  • Le CCL dans le LCR dans les douleurs neuropathiques et l'arthrite rhumatoïde, qui n'a pas encore prouvé sa corrélation avec l'intensité des douleurs
  • Et trois marqueurs électrophysiologiques à l'utilité incertaine dans les neuropathies surtout diabétiques et la fibromyalgie.

Bref ça c'est le côté scientifique de la recherche. Et puis il y'a un autre côté. Ou un autre versant. Le côté culturel et éthique. Et là ça devient très compliqué parce que selon où vous habitez vos besoins peuvent être antagonistes. En France, quand on parle de marqueur objectif de la douleur, la première réaction est une réaction de défiance : c'est le signe qu'on ne croit pas les gens qui disent avoir mal. Aux Etats-Unis les choses sont différentes. La jurisprudence montre que les cours américaines, dans l'immense majorité des cas, ne reconnaissent pas la douleur chronique sauf à apporter une preuve objective, le doute ne bénéficiant pas au plaignant. Dans d'autres pays, on ne reconnaît toujours pas qu'une personne qui ne peut s'exprimer puisse avoir mal (les déments en phase terminale ou les patients pauci relationnels après un coma...).

On peut aussi parler du débat sur les préjugés racistes en médecine.

Le terme de "syndrome méditerranéen" et ses conséquences existent dans tous les pays. Plutôt que de le nier, certains pays le mesurent et toujours aux États-Unis il existe des études pour montrer les disparités et pour montrer de façon objective comment les noirs et les pauvres sont moins bien pris en charge quand ils ont une plainte douloureuse. On pourrait tout autant citer le mythe de la résistance à la douleur des asiatiques ou la sensibilité excessive des [n'importe quelle minorité].

Bref, à l'échelle du monde, il existe une demande de la part des victimes de douleurs chroniques, d'une façon de prouver objectivement leur douleur, pour ne pas être comme actuellement en France par exemple, mieux considéré si on est hémiplégique que hemidouloureux en cas de SEP.

Mais là encore les choses peuvent être compliquées selon le système d'assurance maladie qui vous couvre. Ce n'est pas tout à fait pareil d'avoir une sécu remboursant les antalgiques que d'avoir une assurance privée qui mettrait une franchise selon une intensité de douleur.

Bon bref, la recherche scientifique est compliquée, le débat sociétal et éthique aussi. Cependant, dans la mesure où la première finira par aboutir, il faudrait aussi que le débat sur les conséquences des résultats de cette recherche ait lieu, avant qu'on ne nous force à l'avoir. Si le sujet vous intéresse, je vous conseille cet excellent article de Nature Reviews Neurology : Discovery and validation of biomarkers to aide the développement of safe and effective pain therapeutics - vol16 - 07/2020 - p381.