26.10.21

#UnLapinUnThread | Les troubles fonctionnels aka conversifs aka psychogènes.

Pour savoir d'où ça vient
Pour voir comment le concept a évolué
Et voir que c'est une vraie maladie qui n'a rien à voir avec la simulation


Au début les choses commencent à la fois mal et bien. Pour ceux qui ne le savent pas, c'est Hippocrate qui vers 400 avec JC introduit le concept d'hystérie, pensant que ces problèmes sont liés à un utérus baladeur qui irait perturber le cerveau (des femmes évidemment).

Évidemment le premier réflexe est de se dire "ah bah voilà, dès qu'on a un truc qu'on comprend pas c'est un truc d'utérus".

C'est vrai.

Mais nous sommes en 400 avant JC et se dire que c'est une maladie, c'est déjà un énorme progrès par rapport à : brûlons-la, c'est une sorcière

Rapidement la science progresse et vers 180 après JC Galien se propose d'expliquer les troubles inexplicables par une interaction réciproque entre le corps et l'esprit. Ça c'est novateur parce que Galien reconnaît qu'il existe des situations où l'état cognitif peut provoquer des maladies, sans autre cause extérieure (et encore moins l'intervention d'un dieu ou d'un démon). Malheureusement ces progrès sont  enterrés au moyen-âge, où l'hystérie est un signe de sorcellerie et doit être punie selon un livre qui fait fureur : le malleus maleficarum (qui en résumé propose de brûler les victimes après les avoir torturées un peu).

Les choses s'améliorent très légèrement (à peine) vers 1600 où l'hystérie est de nouveau reconnue comme une maladie. Mais bon, ça n'empêche pas de brûler les victimes parce que pourquoi pas. Puis commence le début (ou plutôt la renaissance) de la science avec un français totalement oublié mais très disruptif comme on dirait maintenant : Pierre Briquet.

Citons-le (en recopiant Wikipédia)

"L'hystérie n'est pas cette maladie honteuse dont le nom seul rappelle au monde étranger à la médecine et à beaucoup de médecins ce vers : c'est Vénus toute entière à sa proie attachée". Bref pour Pierre les symptômes de l'hystérie sont les conséquences de pensées. Et il pense que ce sont des pensées que "seule la femme peut éprouver" ce qui pour l'époque paraît surréalistes au reste des médecins. Comme si la femme pouvait avoir une pensée.

Nous sommes en 1847. Enfin 1847....ça ne veut rien dire. Nous sommes surtout en 22 après la naissance de LA SOURCE DE TOUT BIENFAITS SUR TERRE ET CRÉATEUR DE LA NEUROLOGIE, c'est à dire la neuro divinité absolue, Jean Martin Charcot.

Et là faut suivre parce que ça devient très compliqué.

Pour Charcot, l'hystérie est une maladie. Ça c'est déjà énorme. Ça veut dire que les patientes hystérique ne sont ni des sorcières, ni folles, ni stupides... Mais simplement malades. Comme l'étaient les cancéreux ou les tuberculeux. Et qui dit maladie, dit traitement. Et qui dit traitement, dit traitement au mieux de la cause, au pire des symptômes, mais dans tous les cas, traitement précoce pour éviter que la maladie ne se développe et ne devienne incurable. Pour Charcot la cause est une lésions organique du cerveau (ça on l'a beaucoup oublié) mais dynamique dans le temps et l'espace. D'où des symptômes qui peuvent toucher différentes parties du corps et qui fluctuent dans le temps. Du coup, dans la logique de l'époque et en se basant sur ce qui était observé dans d'autres pathologies, Charcot pensait que le traitement devait opposé à cette lésion dynamique, une lésion fixe. Un peu comme un abcès de fixation fixe une infection. Et pour y parvenir, Charcot utilisait l'hypnose et induisait des crises hystérogéniques. 

Comme ça peut sembler ésotérique on va prendre un exemple.

Imaginons que Mme X se plaignent de tremblement des jambes entraînant des chutes. Pour Charcot la solution consistait grâce à hypnose à transférer ces troubles vers, par exemple, un tremblement de la main. Ça ne guérit rien, mais ça empêche les chutes. 

À la même époque, chez les Grands-Bretons, on trouve Gowers et Head. La encore, contrairement à ce qu'on dit parfois, les deux partageaient les théories de Charcot sur les causes. Mais ils divergeaient sur les traitements. Pour eux, transférer les symptômes ne réglait non seulement pas le problème, mais renforçaient les patientes dans leur maladie. Par conséquent il fallait éviter l'hypnose mais...sans rien proposer d'autre. Si vous trouvez que niveau explications c'est le bordel, accrochez-vous parce que nous sommes à la fin de XIXe et Freud va venir semer le chaos.

Sigmund, qui est un élève de Charcot, a une idée loin d'être débile, toujours par rapport aux connaissances de l'époque. Si les troubles sont liés a des lésion dynamique, c'est qu'il y a lésion. Mais quelle pourrait être l'origine de cette lésion que personne ne peut voir ? (Rappelez-vous, nous sommes un siècle avant les scanners). Freud se dit que la lésion est quelque chose qui résulte d'un conflit entre la pensée (donc quelque chose de psychologique au sens du XIXe) et la partie organique du cerveau. Pour le dire autrement, Freud pense que la pensée transforme le cerveau. Et cette transformation touche une région du cerveau en lien avec le problème de la pensée.

Ça vous paraît compliqué ?

Bon en gros Freud pense que si votre pensée (on dirait cognition de nos jours) a un problème avec votre bras, elle va transformer le fonctionnement de la zone du cerveau qui contrôle le bras. Et pas forcément que le bras. En fait Freud pense que votre pensée va altérer toutes les parties de votre cerveau qui contrôlent toutes les parties de votre corps, qui symboliquement sont reliées au problème. Et cette transformation d'un problème psychologique en un problème organique (la fameuse lésion dynamique de Charcot) est appelée conversion.

D'où le terme pathologie conversive.

Jusque-là, Freud est totalement dans la logique de l'époque.

Là où ça commence à déraper, c'est que pour lui, d'une façon ou d'une autre, le problème de pensée (le truc qui va se convertir en problème anatomique) est toujours in fine de nature sexuelle.

Trop, pas assez, pas dans la norme, trop dans la norme, pour Freud, tous les problèmes psychologiques, quand on recherche réellement leur causes, sont de nature sexuelle. 

Et pour être précis, sont toujours liés à un problème de sexualité féminine.

On est dans les années 20.

Mais laissons la les obsessions de Sigmund, et revenons à la neurologie.

À la même époque, Babinski, un autre élève de Charcot, creuse un peu plus la piste de cette lésion dynamique. Pour se différencier de la conversion psychologique de Freud, ils changent de terminologie (sans changer le concept) et adoptent le mot pithiathisme (du grec persuasion). Cela est lié au fait que le point commun de ces troubles, est la sensibilité à la persuasion (on dirait aujourd'hui renforcement positif ou négatif). Puis progressivement s'est imposé le terme "fonctionnel" pour indiquer que chez les patients qui présentent ces troubles, une fonction ou un ensemble de fonctions corticales est défaillant, sans pour autant qu'il ne soit possible d'identifier une lésion anatomique.

Nous sommes en 2021, et à part pour ceux qui adhèrent au délires psychanalytiques, le terme "fonctionnel" s'est imposé aussi bien en neurologie qu'en psychiatrie.

Nous sommes en 2021, et à part pour ceux qui adhèrent au délires psychanalytiques, le terme "fonctionnel" s'est imposé aussi bien en neurologie qu'en psychiatrie. Alors avant de ne pas vous répondre, faisant encore un détour sur un point très important : pourquoi on distingue les troubles fonctionnels des simulations. Le pourrais vous faire un énorme discours, mais parfois le plus simple, et d'illustrer ça par des images.

Imaginons que vous vouliez volontairement (pléonasme) simuler un trouble neurologique.

Y'a rien de plus facile. Il vous suffit de dire "ralala docteur c'est horrible, regardez ma jambe est paralysée). Et le neurologue en face de vous vous ferait un examen clinique qui dirait, bichon, tu te fous de ma gueule et j'aime pas ça (bah oui, on n'a pas peut-être pas de traitement mais on se fait rarement avoir en clinique).

À l'opposé, il existe des troubles fonctionnels qui sont imimables même par le plus grand effort de volonté. Des tremblements du palais par exemple. Ou des blocages d'un œil dans des positions bizarres.

Et entre les deux, il y a tout un tas de choses où il peut s'agir des deux (simulation, donc acte volontaire, ou trouble fonctionnel, donc acte involontaire). On peut citer par exemple tout un tas de tremblement bizarres ou de troubles de la marche.

Mais me direz-vous (oui je sais, j'imagine un dialogue entre vous et moi alors que je suis seul dans mon bureau), mais me direz-vous, ok, ceux qui ont des troubles fonctionnels font peut-être pas exprès, mais comment c'est possible de pas faire exprès ? Hein ?

Là encore prenons un exemple simple. Quand vous avez un gros stress avant de parler en public votre cœur s'accélère, et vos mains tremblent. 

Pourtant votre cœur va très bien et vos mains aussi. Et vous ne simulez pas, vous ne faites pas exprès, et vous êtes pas cinglé. Bref, quand vous êtes tachycarde et que vos mains tremblent parce que vous parlez en public, vous avez un trouble fonctionnel. Pour Charcot c'est parce que votre cerveau dysfonctionne. Pour Freud parce que vous êtes un pervers sexuel et pour la science du XXIe siècle...

Et bien c'est compliqué. Mais genre vraiment.

Mais voilà quelques éléments.

1/ le stress, les traumatismes psychologiques, le niveau de QI sont différents chez les patients victimes de troubles fonctionnels mais sans que quelque chose ne ressorte de façon statistique indiscutable. Par contre dans 80% des cas il existe un facteur précipitant (blessure, infection... état de panique).

2/ la façon de raisonner joue un rôle. Le fait par exemple de tirer des conclusions hâtives à partir d'un faisceau d'indices est un facteur de risque.

3/ une tendance à exagérer un phénomène. Quand on compare les gens qui ont un tremblement essentiel (c'est une maladie organique assez banale) et un tremblement fonctionnel du poignet, les deux groupes surestiment la durée de leur tremblements. Mais ceux qui ont un trouble fonctionnel le surestiment plus que ceux qui ont un trouble essentiel (83% vs 58% pensent trembler alors qu'en fait il ne tremblent respectivement que 4% vs 25% du temps).

4/ un trouble perceptif. Je vous le fait en bref, mais par rapport aux autres les gens avec un trouble fonctionnel sont nettement plus sensibles (plus performants) pour détecter une stimulation sensorielle, mais moins sensible (moins performants) pour en préciser la nature.

Et enfin 5/ il existe tout un tas d'études en circuiterie cérébrale qui montrent que ceux qui ont des troubles fonctionnels ont des réseaux qui sont statistiquement différents des sujets contrôles.

Bref on sait pas bien expliquer les choses, à part, j'y reviens, que ce n'est absolument pas de la simulation. Pour terminer un peu d'épidémiologie pour casser les idées reçues. Ces troubles touchent 50 pour 100000 personnes mais représentent jusqu'à 16% des problèmes neurologiques. Le pic d'incidence est entre 15 et 50 ans.

Bien évidemment ces troubles ne sont pas du tout exclusivement féminins. Ils touchent 40% d'hommes. Pour les troubles continus les femmes sont 15 fois plus nombreuses que les hommes, pour les troubles discontinus on tombe à 5 femmes pour un homme, et pour les troubles pseudo parkinsoniens on est à une pour un.