5.7.16

le système hospitalier pour les gens pressés


Où l'on parle de l'organisation des hôpitaux publics en France.


S'il y a bien un sujet qui revient souvent sur la table (celle du dimanche en famille, ou du resto, ou chez soi par terre en train de jouer tranquillement), c'est la fameux : "oui mais vous à l'hôpital vous faites n'importe quoi avec les sous de nos impôts". Et à partir de ce thème vous avez des variations infinies sur la façon dont on devrait organiser le système de soin hospitalier, le "on" étant le médecin hospitalier que je suis. Et pour que je comprenne bien, j'ai droit à des exemples typiques comme :

- à l'hôpital machin on a des super chambres et les lits permettent de se mettre dans des positions que la morale réprouve, alors que dans l'hôpital truc, c'est tout nul, et tout ça pour le même prix.

- pourquoi vous faites pas comme à la clinique d'en face où on peut payer plus pour des services en plus. Eux ils ont tout compris.

- ou encore : "j'ai lu dans le journal que le directeur de l'hôpital s'est endetté en banque, quel gros blaireau, c'est depuis quand que les administrations vont chez le banquier".

Pendant des années j'ai expliqué (non en fait là je dis n'importe quoi, parce qu'en général je refuse d'aborder ce sujet), pendant des années donc, j'aurais pu essayer d'expliquer la complexité inouïe du machin. Mais c'est inutile parce que d'une part s'il existe des professeurs universitaires non médecins experts en systèmes de soins, c'est bien que les systèmes en question sont une source d'étude en eux-mêmes, et que d'autre part, les gens ne voient les choses qu'à travers leur problème personnel d'ordonnance à renouveler à 3 heures du matin ou de télé dans un chambre où on n'a pas le foot (ces deux exemples étant non seulement réels mais récents).

Mais comme ce sujet semble devenir un source d'intérêt de plus en plus fréquente dans mon entourage et chez les patients depuis quelques mois, je vais essayer de donner quelques explications avec comme défi de na pas parler de droit de la santé, d'organisations, d'ARS, où d'autres notions exotiques pour les non médecins. Avec un défi comme ça, il reste l'analogie avec quelque chose d'assez proche et qui parle à tout le monde. Point important, si vous êtes du genre à connaître l'intitulé exact du décret sur les GHT, passez votre chemin, le niveau de simplification de ce billet risque de vous provoquer un arrêt cardiaque.

Si vous êtes toujours là, passons à mon analogie.

Pour comprendre l'analogie, il faut savoir qu'en France il y a trois grands types de fonctionnaires : ce qui bossent pour l'état, ceux qui bossent pour toutes les administrations qui ne sont pas l'état (les départements, les mairies, les régions, etc…), et ceux qui bossent pour les hôpitaux. On parle de fonction publique d'état, fonction publique territoriale, et fonction publique hospitalière. Et pour mon analogie, on va prendre un endroit où travaillent des fonctionnaires d'état : une préfecture. Et comme une préfecture ça fait énormément de choses, on va prendre le service des cartes grises.

Si vous avez besoin d'une carte grise, vous devez aller au bureau homonyme de votre préfecture, remplir les documents adéquats, payer une taxe fixée par l'état, et attendre que celle-ci vous soit envoyée par la poste. Pour vous faciliter la vie, et parce que l'état sait bien que les préfecture peuvent parfois être presque à une demi-journée de cheval de votre domicile (il paraît que c'est sur cette règle qu'ont été créés les départements et fixées les ville préfecture), il a créé des sous-préfectures qui en gros, pour le grand public, donnent accès aux mêmes services que les préfectures. Vous pouvez donc faire vos démarches de carte grises à la sous-préfecture. Notons aussi, que pour certaines démarches ultra spécialisées qui ne nous concernent pas ici, il existe aussi des sur-préfectures, qu'on appelle les préfectures de régions (et qui par commodité, jouent aussi le rôle de préfecture dans les départements où elles sont situées).

Et pour en terminer avec la vie réelle, notons que le prix que vous payez pour votre carte grise, est fixé par l'état pour toute la France, ce n'est pas le préfet qui se lève un matin en disant, tiens je vais la faire à 3 euros pour les fêtes de Noel. Notons aussi, que le salaire de la personne qui vous a accueilli à la préfecture est payé par l'état avec vos impôts.

Imaginons maintenant un système diffèrent.

Imagions un système où vous auriez le choix de faire faire votre carte grise à la préfecture où chez adminhome, une structure privée. Dans les deux cas vous auriez exactement la même carte grise, pour exactement le même prix.

Pour vous c'est un gain pour plusieurs raisons :
- il se peut qu'un adminhome soit plus proche de chez vous que la sous-préfecture.
- il se peut, que pour des raisons diverses et variées comme par exemple des contraintes de fonctionnement différentes, le confort dans la salle d'attente d'adminhome soit nettement supérieur, et avec un personnel plus nombreux.
- il se peut que certains adminhome, tout en offrant un service universel, vous propose contre un surcoût, un service individualisé avec une aide aux démarches dans un salon privatif avec jacuzzi, et des résultats plus rapides. Et comme vous avez de l'argent et que le surcoût vous semble raisonnable vous acceptez assez naturellement. On peut même imaginer que dans certaines grandes villes, vous ayez des adminhome hors de prix pour un service comprenant en plus de la carte grise, la commande et la livraison d'une voiture.

Reconnaissons que cela serait curieux que l'état autorise une situation mixte où il se mettrait en concurrence avec le secteur privé pour délivrer des cartes grises, mais cela aurait sa logique pour permette à chacun de bénéficier d'un service universel tout en permettant à ceux qui le souhaitent, et quel que soit leur raison, de bénéficier de prestations supplémentaires s'ils sont prêts à payer.

Mais imaginons maintenant une étape de plus.

Imagions un système où non seulement adminhome existerait, mais où en plus, l'état mettrait en concurrence les préfectures. C'est un peu comme si on disait aux préfets : je vous donne une budget fixe pour les cartes grises comprenant le prix théorique du salaire de l'agent d'accueil ainsi que le coût d'émission de la carte. Si vous réussissez à faire des économies, je vous laisse le surplus. Par contre, je vous interdit de faire comme adminhome en facturant plus.

Là encore vous pourriez vous dire que vous seriez gagnant. Pas directement, parce que l'économie réalisée ne vous serait pas directement reversée, mais indirectement puisque le surplus serait investi par le préfet dans d'autres services publiques plus en difficultés.

Mais l'état est déficitaire, cherche à faire des économies. Il faut donc imaginer que dans ce système, où le préfet n'a pas la maîtrise du salaire de l'agent d'accueil (car il est fonctionnaire et son salaire augmentent mécaniquement), ni la maîtrise du coût d'émission de la carte grise, l'état lui donne chaque année un budget moindre, tout en continuant à exiger la même niveau de service.

Là encore, ça a sa logique. Tout le monde doit faire des économies, et si cela implique qu'il faut venir deux fois à la préfecture pour avoir sa carte grise là où il n'en fallait qu'une auparavant, et bien c'est malheureux mais c'est pareil pour tous.

Sauf que dans les faits, les préfectures sont dans une ville. Et que dans les villes il y a des maires. Et que les maires sont aussi les ardents défenseurs de leur ville auprès de l'état. On peut donc imaginer que le maire de la ville A, un gars très très malin, obtienne que la préfecture de sa ville se voit attribuer un budget pour construire un joli bâtiment tout neuf avec plus de personnel. On peut aussi imaginer que le maire de la ville B, un gars très très malin mais du mauvais bord politique, ne soit pas aussi persuasif, et que l'état dise au préfet de la ville B : si votre préfecture est pourrie, vous n'avez qu'à vous payer des bâtiments neufs avec les économies que vous faites en rognant sur le budget que je vous donne pour les cartes grises.

Là vous pourriez vous dire que ça rompt l'égalité des citoyens dans l'utilisation de leurs impôts et leurs accès au service publique de la carte grise. Et vous aurez peut-être raison.

Mais on peut encore compliquer la situation avec un dernier étage. Imaginons maintenant que l'état, fauché comme les blés, se dise : cette année le niveau d'économies que je demande aux préfets sur les cartes grises est tel, qu'il est impossible qu'ils réussissent à la faire imprimer. C'est compliqué parce que j'ai pas les sous, mais que je ne peux pas arrêter ce service. Et là l'état a une idée : laisser les préfecture s'endetter directement auprès des banques. Apres tout c'est ce que fait l'état lui-même, ainsi que la plupart de villes, régions et autres départements. L'idée n'est pas mauvaise, sauf que pas plus qu'avant, l'état ne laisse les préfets fixer le prix de la carte grise. On se retrouve donc avec des préfectures fauchées et endettées, qui de facto, vont diminuer encore le niveau de leur prestation.

Pour résumer la situation de la carte grise en France dans si toutes les conditions imaginées dans ce billet étaient réunies, on aurait donc :

Des préfectures dans des villes au maire efficace avec un service carte grise normal et des jolis locaux payés par toute la nation.
Des préfectures dans des villes au maire inefficace avec un service carte grise normal et des locaux tous pourris.
Des préfectures avec des préfets futés avec un service carte grise normal, de locaux aléatoires, et un surplus à investir où bon leur semble.
Des préfectures avec des préfets moins futés, endettés jusqu'au cou, à deux doigts de la faillite.
On aurait des concurrent privés des préfectures, qui essaieraient d'offrir les mêmes prestations, pour un coût comparable, qui selon le niveau d'agilité de leur directeur s'en sortiraient un peu comme le préfet futé.
Et on aurait des concurrents privés des préfectures, qui, pour un surcoût variable, offriraient une prestation VIP avec carte grise et bagnole incluse.

Soyons clairs, je ne porte aucun jugement sur ce système théorique, qui a des inconvénients mais également pas mal d'avantages. Par contre ce système serait clairement bordélique et incompréhensible pour tout un chacun.

Alors pour terminer l'analogie, il reste à mettre un nom sur tous ces éléments.

Les préfectures sont les hôpitaux. Les préfectures de régions sont les CHU, les préfectures de départements sont les gros CH (on dit parfois CHG), les sous-préfectures sont les petits CH (on dit parfois hôpitaux périphériques en oubliant que les gros CH le sont aussi par rapport aux CHU).

Les adminhome sont les cliniques privées. Selon leur statuts, certaines ont des tarifs identiques à ceux des hôpitaux, d'autre proposent des prestations payantes supplémentaires, et enfin quelques rares cliniques facturent des sommes astronomiques pour un service hors norme.

La carte grise est le soin. Une hospitalisation pour une fracture de hanche par exemple. Le budget que l'état donne pour une carte grise, et donc pour un soin, se nomme, (pour simplifier un maximum), la T2A*. Les hôpitaux reçoivent un forfait spécifique pour chaque soin, charge à eux d'en optimiser la réalisation pour qu'une partie de cette T2A leur reste entre les mains. Cette T2A est fixée par l'état et, là encore je simplifie un max, par la sécurité sociale. Elle n'est pas financée par les impôts mais par les cotisations sociales.
Les maires qui interviennent pour améliorer les bâtiments, le font via l'état qui le fait via les agences régionales de santé. Celle-ci peuvent décider d'aider un hôpital à construire de nouveaux locaux et les lui payer, et refuser cette aide à un autre, en lui disant de se débrouiller tout seul avec les économies faites sur la T2A.

Bref, vous l'aurez compris, il existe en France autant de types d'hôpitaux qu'il existe d'hôpitaux, avec un fonctionnement où une administration est à la fois en concurrence avec le privé, et en concurrence avec elle-même.
Vous l'aurez également compris, expliquer tout ça en 30 secondes sur le coin d'une table entre deux bières est quasi impossible, d'autant plus que j'ai simplifié à outrance.

Ça vous explique aussi pourquoi il est possible que chercheurs universitaires passent leur vie à essayer de comprendre et décrire ce système complexe, avec des résultats pour le moins mitigés.

Et enfin ça vous explique pourquoi, la plupart des hospitaliers qui comprennent vaguement comment ça marche, préfèrent parler de la météo en Islande (pluie ensoleillée) que de se lancer dans des explications de fond.

Pour ceux que la T2A intéresse, il y a de quoi en lire plus ici.
https://2garcons1fille.wordpress.com/2014/02/26/t2amours-mon-pays-et-paris/


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