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13.10.16

Vertiges

"...Une partie de son cerveau lui disait qu'il savait parfaitement bien ce qu'il était en train de contempler et ce que représentaient ces formes, tandis qu'une autre refusait au nom de la raison d'embrasser pareille idée et abdiquait toute responsabilité en cas de poursuite de la réflexion dans ce sens..." - Douglas Adams - Guide du routard galactique -


Un billet sur l'examen du patient vertigineux



Une des questions philosophiques les plus débattues en ce début du XXI e siècle est sans conteste celle de savoir s'il vaut mieux être bi-classé ou atteindre des niveaux légendaires dans une seule classe (si vous ne comprenez rien à cette introduction, passez directement au début du billet). Evidemment ce débat est complexe, et ce d'autant plus que la nature interdit certaines combinaisons. Dans l'univers d'ADD2(si si, y en a encore qui y jouent), être Paladin barre la route à la nécromancie, tout comme dans l'univers alternatif dans lequel nous vivons, dermatologue barre la route à l'orthopédie. Il y'a à l'inverse des classes proches : clerc / magicien ou anesthésie / réa, et enfin des combinaisons très difficiles à jouer au début mais qui provoquent une grande admiration à haut niveau : clerc / guerrier ou neuro / ORL. J'ai un immense respect pour les neuroORL (et pour les neuroOphtalmos) principalement parce qu'ils étudient des fonctions cérébrales dont personne au sein de neuros ou des ORL n'a ne serait-ce que le début d'une vague idée de ce à quoi elle peuvent servir, sans même parler de leur localisation anatomique.
Dans cet ensemble mystérieux, il y'a tout un tas de phénomènes dont vous n'entendrez jamais parler, et puis il y a les VERTIGES. Notons qu'écrire VERTIGE en majuscule est indispensable pour traduire le fait que pour un neurologue, voir passer une demande d'avis pour VERTIGE déclenche deux phénomènes : sous le choc, le premier réflexe est de dire :"allez voir un ORL", et, lorsque la réponse est :"l'ORL a dit que c'était central", insulter la création dans son ensemble. Bon bref on n'aime pas ça. Mais comme nous ne sommes pas les seuls à ne pas aimer, voilà un guide de survie face à un vertige, avec pour la peine, de la clinique, de la clinique et puis un peu de clinique…. Et un poil de neuroanatomie parce que tout neurologue a une réputation d'incompréhensibilité à défendre.



Commençons par l'anat. Il'y a fort longtemps les méduses ont décidé d'avoir un système nerveux (pour en savoir plus, consultez ce billet http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2014/07/systeme-nerveux-autonome-i-of-men-and.html ) . Et avec ce système nerveux elles ont découvert qu'elles auraient une vie bien plus agréable si elle se positionnaient correctement dans l'espace. Plusieurs évolutions plus tard, une partie du système nerveux s'est spécialisé dans la coordination du corps dans l'espace. Ce qui est important de comprendre ici, c'est que cette partie du système nerveux découle de structures archaïques qui agissent de façon totalement indépendante. C'est donc une partie du système nerveux central, séparée de ce système nerveux central, qui agit sans en informer qui que ce soit et qui ne reçoit d'ordre de personne. Bref c'est un morceau de système nerveux central qui se comporte comme du système nerveux autonome.

Et alors, quelle rapport avec les vertiges ?

Attendez ça va venir. Agissant de façon autonome, la conséquence en est que tant que ce système fonctionne correctement, vous ne percevez pas son fonctionnement. De la même façon que vous ne sentez pas vos pupilles modifier leur diamètre en fonction de la luminosité, ou vos pores cutanés modifier leur sécrétion de sueur selon la température, vous ne sentez pas les adaptations permanentes que le système nerveux dédié à l'orientation spatiale impose à votre corps.
Et ça c'est très bien, sauf que lorsque ce système ne fonctionne plus, les sensations produites, sont si étranges, que celui qui en souffre n'a pas de mots pour les décrire. Alors, même avec un QI de 480 et 20 ans de Yoga introspectif, tout ce qu'il pourra dire c'est : j'ai comme une sorte de vertige.

Résumons-nous : le vertige est un sensation qui est très bien perçue mais qui est difficile à décrire et qui est la conséquence du dysfonctionnement d'un système nerveux complexe et archaïque, indépendant du reste du système nerveux central, bien qu'il en fasse anatomiquement partie.

Vous aurez noté que pour l'instant j'ai évité de le nommer. C'est volontaire (qu'est-ce que vous croyez ?) parce que si le terme officiel est système vestibulaire, les structures impliquées sont extrêmement nombreuses et aussi variées que les noyaux oculo moteurs du III du IV et du VI, les noyaux vestibulaires du IVé ventriculaire, les pédoncules cérébelleux , et des structures aux noms exotiques comme le flocculus, le nodulus, l'uvule et les tonsiles. Une vrai ménagerie dont…. Nous n'aurons absolument pas besoin pour discuter des vertiges.

La seule chose à retenir dans tout ça, c'est que ce système, peu importe comment, vous permet de savoir comment vous êtes orienté dans l'espace, et où regarder. Donc s'il ne marche pas, vous ne savez dans quel sens est votre corps, ni comment il bouge, ni où regarder.

Si vous avez compris ça, vous avez également compris qu'un vertige est une illusion perceptive de mouvement, indépendante du type de mouvement : si vous êtes allongé dans votre lit les yeux fermés et que vous avez l'impression de tourner, mais aussi d'avancer, reculer, léviter, tomber, pivoter…. Vous avez un vertige. La notion de rotatoire versus non rotatoire est à oublier. Par contre, si une fois assis, debout, ou à quatre pattes, vous sentez que vos membres ne vous soutiennent pas ou que vous allez tomber mais sans avoir l'impression de vous déplacer, vous n'avez pas un vertige mais une instabilité. C'est différent et on en redira un mot plus tard.

Une fois qu'on est d'accord que vous êtes face à un vertige, se pose la question de la conduite à tenir : urgent ou pas urgent, grave ou pas grave, imagerie ou patience.

Pour répondre à ces questions, il vous faut de la clinique. Bah oui parce que le vertige ne se dose pas. Pour essayer rendre les choses les plus simples possibles (après tout ceci se veut un guide de survie, pas un traité de neuroORL) on va distinguer les vertiges brutaux, les récurrents permanents, les récurrents positionnels, et les instabilités non vertigineuses.

Les vertige unique isolé (c’est-à-dire sans antécédent identique ni déficit neurologique associé) brutaux sont le grand cas classique : Mme X se pointe comme elle peut aux urgences, moitié à quatre pattes, moitié en boule, parfois en vomissant, en vous insultant si vous l'obligez à se mettre debout, et en vous promettant toute sa fortune si vous réussissez à calmer les choses.

Vous allez devoir l'examiner, et vu son état, ça va être difficile. Selon son état vous allez essayer de chercher un nystagmus (très facile) de faire un test des index (facile), un test de Fukuda (plus ambitieux déjà), un HIT (très facile) et rechercher une Skew déviation (très facile). Inutile de vous planquer au fond de la salle en regardant le plafond si vous ne savez pas faire ces tests, comme je suis sympa je vous en donne une description à la toute fin de ce billet.

Après interrogatoire et examen : soit vous avez affaire à une forme pure, brutale, isolée soit…non.
Les éléments d'atypie sont :
  • Une céphalée ou une cervicalgie 
  • Des facteurs de risques cardiovasculaires importants 
  • Un test des index ou de Fukuda négatif 
  • Un nystagmus horizontal tantôt droit, tantôt gauche 
  • Un nystagmus vertical ou rotatoire 
  • Un HIT normal 
  • Une skew deviation 
Si la forme est pure, l'origine vestibulaire périphérique non urgente est certaine à 99,3% ! Le 0,7% qui reste peut correspondre à un AVC qui dans ce cas est situé dans le territoire cérébelleux de la PICA dans 17% des cas. Dans cette situation, le demande d'imagerie peut être différée en l'absence d'aggravation ou d'apparition de déficit neurologique associé.

Si vous avez par contre un élément d'atypie, le risque d'AVC monte à 3% ce qui justifie alors de demander la réalisation d'une IRM (oubliez le scan, on n'y voit rien) en urgence.
Les vertiges récurrents sont une entité sur laquelle il faut bien s'entendre : ils désignent une sensation vertigineuse qui évolue par périodes au cours desquelles le vertige est présent en permanence (même si son intensité peut varier). Ces périodes peuvent durer de quelques minutes (pas secondes) à quelques heures et récidiver. Les notions importantes ici sont cette permanence du symptôme pendant la période, et la durée supérieure à quelques secondes (on verra juste après pourquoi). Dans cette situation ce qui ne change pas c'est votre examen clinique, auquel il est de bon ton d'ajouter un HST (oui encore un test), une hyperventilation de 20 secondes (soyez patient et vous verrez pourquoi) et un examen sommaire de l'audition. Les étiologies sont comme toujours en médecine nombreuses, mais dans le cadre d'un guide de survie, il faut principalement penser à :
  • Une maladie de Méniere, surtout en cas d'atteinte cochléaire (surdité de perception progressive, sensation de plénitude de l'oreille, acouphènes) qui classiquement augmentent en intensité juste avant l'apparition du vertige. 
  • Un schwanome, surtout en cas d'apparition d'un nystagmus après 30 secondes d'hyperventilation. Pour rappel, le schwanome ne se voit que sur des coupes sagittale d'IRM injectées. 
  • Une migraine vestibulaire, surtout en cas de migraine classique associée. C'est même un élément indispensable au diagnostic : pour pouvoir retenir le diagnostic de migraine vestibulaire il vous faut le vertige et (ceci est un "et" non négociable), au moins deux épisodes concomitants de céphalées migraineuses avec signes associés dont la photophobie, la photophobie ou une aura. Ce diagnostic tombe rarement du ciel, la forme typique est celle de la femme migraineuse chronique qui lors de la ménopause commence à avoir moins de céphalées et plus de vertiges. 
  • Un AIT sur thrombose du tronc ou sur un territoire vertébro-basilaire. Dans ce cas le tableau typique est la survenue de vertiges d'intensité croissante, sans antécédent vertigineux connu, évoluant en quelque jours. C'est un syndrome de menace et ça nécessite d'obtenir une IRM en urgence. 
Les vertiges positionnels paroxystiques. Attention ici au piège clinique : tous les vertiges sont aggravés par les mouvements de la tête ! Tous ! Quand on dit positionnel, on veut vous préciser que la sensation de vertige n'est présente qu'au moment précis du mouvement et quand on vous dit paroxystique, on veut vous dire que le début et fin sont brutaux, et la durée inférieur à la seconde. Si vous avez tous ces critères, et aucun des signes atypiques décrits plus hauts, vous avez certainement devant vous un patient avec un VPPB. Sauf…. Quand c'est pas ça. Alors rassurez-vous les diagnostic différentiels sont rares et relèvent de l'ORL spécialisée, mais pour votre culture générale, certaines tumeurs pédonculaire peuvent mimer un VPPB. Ce qui doit faire douter c'est l'absence d'efficacité des manœuvres libératoires.

Dernier cas de figure : l'instabilité. L'instabilité n'est pas un vertige. C'est la sensation de ne pas tenir debout, et en terme plus élégant on peut parler d'ataxie vestibulaire. Les arguments en faveur d'une origine vestibulaire sont la classique aggravation dans l'obscurité et l'aggravation lors des mouvements de la tête, mais aussi, et c'est moins connu, les signes visuels. Si vous vous souvenez du début de ce billet, j'ai écrit que le système vestibulaire vous permet de savoir comment vous êtes orienté dans l'espace, et où regarder. Dans tout ce que je viens d'écrire, j'ai bien insisté sur l'orientation spatiale (les vertiges) mais je n'ai presque rien écrit sur le ciblage du regard à part vous suggérer de rechercher systématiquement un nystagmus. Le ciblage est typiquement le truc qu'on oublie. Alors faisons une petite pause pour décrire un peu ce phénomène. Les yeux ont deux système pour rester verrouillés sur un cible (le nez de l'examinateur par exemple) lorsque la tête bouge. Lorsque le mouvement de la tête est lent, le verrouillage est essentiellement assuré par une aire corticale frontale. C'est elle qui vous assure le verrouillage lorsque par exemple vous lisez un texte sur un panneau publicitaire accroché au flancs d'un bus en mouvement. Par contre, lors des mouvements rapides, c'est le vestibule qui s'en charge. Si vous voulez savoir à quel point le vestibule vous aide, amusez-vous à regarder des vidéos filmées par des caméras sans stabilisation optique ou logicielle fixées sur des personne en mouvement. Ça bouge dans tous les sens, c'est limite à vomir. Si vous filmez la même scène avec une GoPro ou un iPhone, tout redevient lisse. Le vestibule joue le même rôle : il stabilise l'image de vos yeux. Donc s'il dysfonctionne, vous pouvez avoir une sensation de baisse de l'acuité visuelle de la marche, ou lors de la lecture d'un texte alors que l'examinateur bouge la tête dans tous les sens. (on parle de perte de l'acuité visuelle en lecture dynamique). L'étiologie la plus fréquente est l'aréflexie vestibulaire iatrogène (aminosides).

En conclusion (bah oui faut bien finir) : un vertige est une illusion de mouvement dont la gravité varie selon l'anamnèse et la clinique, clinique qui repose sur des test simple qu'il faut connaître, d'où une transitoire géniale vers le bonus de ce billet : les tests vestibulaires !

  • Manœuvre des index : c'est la plus classique, pas la plus utile. Son seul avantage est d'éviter au patient de se mettre debout. Pour que l'examen soit pertinent il faut que le patient ait le moins d'afférences sensitives possibles. Le patient doit donc être assis au bord du lit, sans que ses pieds ne touchent le sol, idéalement dans une pièce à l'éclairage uniforme (en fermant les stores et en allumant la lumière dans une chambre d'hôpital). Les yeux fermés vous lui demandez de tendre les bras et les index et vous regardez si ceux-ci dévient et si oui dans quelle direction. Laissez-lui un peu de temps, 60 secondes est une bonne durée. Recommencez plusieurs fois en cas de déviation pour voir si cette déviation se fait toujours dans le même sens ou pas. 
  • Manœuvre de Fukuda : nous serions dans les années 80, on parlerait ici de la marche en étoile. En 2016 oubliez là et ne gardez que le Fukuda. Il s'agit de faire piétiner le patient sur place en levant bien haut les genoux, pendant 60 pas. La manœuvre est positive pour une rotation du patient d'au moins 30°. Là encore, il faut recommencer plusieurs (2 à 3) fois la manœuvre pour voir si la rotation se fait toujours dans le même sens. Bien que certains ORL considèrent qu'un déplacement en avant ou en arrière soit également un signe positif, ce n'est pas du tout consensuel. 
  • HIT (Head Impulse test) : moins connu, mais simple, facile et utile. Patient assis dans son lit, demandez-lui de fixer votre nez en gardant les yeux ouverts. Vous lui attrapez la tête au niveau des oreilles et la faite tourner de 20° (pas comme un sauvage) dans un sens. Sans la lâcher, vous ramenez rapidement la tête dans sa position d'origine. Le test est positif si vous voyez les yeux rester fixés sur le côté alors que la tête est à nouveau au milieu, et qu'ils se recentrent brusquement après une secousse. Si cela se produit, cela signifie que le ciblage de votre nez par les yeux se fait par l'action de l'aire de ciblage frontale et non par le système vestibulaire. Si vous avez bien lu le billet, vous savez que le ciblage frontal est plus lent que le ciblage vestibulaire, et c'est ce retard au recentrage que met en évidence le HIT. Un HIT positif vous affirme que le système vestibulaire est défaillant. 
  • HST (Head shacking test). Assez peu connu et très utile. Tout vertige, voit le nystagmus qui l'accompagne disparaître en deux trois jours, rendant parfois l'examen impossible quand le patient consulte à distance. Le HST permet de le réactiver. Pour le réaliser, débutez comme le HIT, mais faites tourner la tête de gauche à droite (pas trop violemment) pendant 20 secondes. Regardez ensuite les yeux et cherchez un nystagmus et notez son sens. 
  • Skew deviation. Terme qui vous dit vaguement quelque chose mais vous ne savez pas quoi. En français on devrait dire : strabisme vertical sans paralysie oculomotrice. On va dire SD parce que c'est plus court. Le test consiste à occlure (avec votre main) les yeux un œil après l'autre tout en demandant au patient de fixer son regard au loin. Le test est positif si lorsque vous enlevez la main, l'œil semble revenir vers l'horizon en partant du haut ou du bas. Un SD positif vous affirme que l'atteinte n'est pas vestibulaire. 

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :