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6.10.14

Quand ce n'est pas la faute du coupable



L’histoire ci-dessous s’est passée dans un hôpital ultra périphérique (UP). Si je la raconte c’est qu’ils ont eu le courage d’en faire une réunion de morbi-mortalité (RMM) et d’en discuter. Elle aurait pu se produire chez nous ou dans un très gros CHU, mais là en général tout le monde s’en tape dans la mesure où comme vous le verrez il n’y a ni mort d’homme, ni perte pour l’hôpital (bien au contraire).

Dans le service de médecine polyvalente de l’hôpital UP, c’est la nuit. Les néons grésillent doucement. C’est le tour de 2 heures du matin. L’infirmière doit surveiller 6 tensions et 4 températures. Sur les quatre prises de température, toutes sont anormales (température prise aux deux oreilles) : 38°7 chez un patient hospitalisée pour une pneumopathie, 38°6 pour un homme hospitalisé pour une contusion post traumatique alors qu’il est parkinsonien, 38°5 pour une femme hospitalisée pour une douleur de cuisse et 38°6 pour un homme hospitalisé pour des douleurs abdominales.

Comme le prévoit le protocole du service, elle appelle l’interne de garde et prélève des hémocultures. L’interne examine tout le monde comme il se doit, et note ses observations dans les dossiers. Il n’a pas d’autres infos que celles-là et le traitement habituel (dans ce cas précis, aucun sauf, pour le patient parkinsonien sous MODOPAR dispersible 125mg toutes les 2h30 de 6 à 22h, non disponible à l’hôpital, substituée après suggestions du logiciel par du MODOPAR gélule 125 mg).

Après les avoir examinés cliniquement, l’interne, décide de ne pas modifier l’antibiothérapie du patient avec la pneumopathie (instaurée il y a moins de 48heures). Il instaure de l’amoxicilline chez le patient parkinsonien même sans point d’appel évident. Il instaure un traitement par PYOSTACINE dans l’hypothèse d’un érysipèle chez la femme à la douleur de cuisse (le doppler de l’après-midi n’ayant montré aucune anomalie). L’abdomen du quatrième patient étant souple, il ne prescrit que du SPASFON. Pour les quatre patients, il demande à ce que la température soit mesurée toutes les 8 heures et prescrit des hémocs en cas de nouvelle température au-delà de 38°5.

Le lendemain matin il y a une visite. Le patient avec sa pneumopathie a une température à 38°4. Cliniquement il tousse toujours un peu mais se sent mieux et demande à rentrer chez lui. Le médecin lui donne son accord et lui demande de continuer son traitement et de recontacter son médecin traitant en cas de fièvre persistante. La femme avec sa douleur de cuisse n’a aucun signe clinique d’érysipèle mais a encore une température à 38°2. Elle est gardée en surveillance pendant le week end. Le médecin n’est pas d’accord avec la PYOSTACINE mais la maintien pour ne pas changer sans cesse d’antibiotique. L’homme aux douleurs abdominales dit avoir eu un épisode diarrhéique pendant la nuit. Il va mieux. Il chauffe toujours à 38°6. Le médecin prescrit une coproculture et met un place un traitement par OFLOCET et des molécules symptomatiques (TIORFAN). Pour ces trois patients, en plus de maintenir l’indication d’hemocs, il prescrit une NFS, une CRP, un iono.

Le patient parkinsonien pose plus de problèmes : tout d’abord il chauffe toujours à 38°8. Il a du mal à déglutir, il est raide et tremble, bref, il est décompensé. Les IDE lui posent une voie pour pouvoir administrer les antibiotiques. Il ne réussit pas à avaler son MODOPAR en gélule et est somnolent. Le médecin demande un scan en urgence, qui est normal. Il appelle les neurologues du CHU qui lui disent qu’une hyperthermie peut décompenser une maladie de Parkinson, qu’il faut absolument trouver son origine, et que par ailleurs, il ne faut pas le priver de son traitement par MODOPAR toutes les 2h30, même si pour cela il faut poser une sonde naso gastrique. Il est donc mis sous ROCEHINE de façon empirique. Les IDE n’arrivent pas à poser la SNG car il est raide et n’arrive pas à ouvrir la bouche et il est très agité. Le médecin sait qu’il ne faut surtout pas mettre de neuroleptiques. Il rappelle le CHU qui lui conseille de mettre le patient en soins intensifs, car en neurologie ils ne feront pas de miracles sur ce sepsis. Il est transféré en début d’après-midi. L’antibiotique semble avoir fait effet puisqu’il ne chauffe plus du tout. Il ne peut toujours pas avaler, mais sur les conseils du CHU, il reçoit de l’APOMORPHINE, ce qui lui permet de se débloquer suffisamment pour reprendre du MODOPAR. Les soins intensifs ayant besoin de place, il est de nouveau transféré en médecine avec les antibiotiques et le MODOPAR. La nuit se passe bien mais au tour de quatre heures il recommence à chauffer à 38°6. Les infirmières re prélèvent des hémocs mais avant la fin du prélèvement, le patient est de nouveau pris de tremblements importants. L’interne de garde est appelé. Il appelle les soins, qui lui disent comment administrer de l’apomorphine pour le calmer. Il prescrit 5 milligrammes toutes les quatre heures. Le lendemain c’est férié. Le patient est mal. Malgré l’apomorphine il ne se décoince presque pas, il est somnolent, fébrile à 38°8 et il est incapable de prendre du MODPAR. L’interne de garde appelle le médecin des soins intensifs qui lui fait faire une PL devant cette confusion fébrile. Il arrête les antibiotiques et contacte le CHU. Le patient est transféré en début d’après-midi. Après 48 heures il est comme (un parkinsonien) neuf.

Dans cet hôpital UP. Ils font des RMM. Ils se demandent ce qu’ils auraient pu faire de mieux. En reprenant toute l’histoire ils s’aperçoivent de plein de choses curieuses :
  • Toutes les hemocs, les CRP et les NFS sont revenues normales.
  • Les IDE ont respecté toutes les prescriptions à la règle mais les prescriptions sont anormales.
  • Leur logiciel ne permet pas de donner un médicament toutes les 2h30 : le MODOPAR était donc prescrit comme suit 1 gélule à 6h, 2 à 11h, 1 à 16h, 2 à 21h.

Mais ça, ce n’est pas ce qui les a le plus étonnés : le plus étonnant est que les infirmières ont utilisé leur stock de MORPHINIQUE. Ils se disent qu’elles ont dû commettre une erreur en confondant MORPHINE et APOMORPHINE , surtout que la prescription sur le PC est très claire… ou presque ! Malgré la présence de plusieurs personne pendant la réunion de RMM devant le PC, c’est le pharmacien contacté par téléphone qui vérifie les choses avec eux qui leur fait remarquer que sur le PC il est écrit MORPHINE 5mg toutes les 4 heures.

Long silence… (là c’est moi qui imagine, je n’étais évidemment pas présent). Rompant le silence, une aide-soignante prend la parole (là c’est toujours moi qui me fait de films, je sais que c’est une aide-soignante mais peut-être était-ce dans un brouhaha complet) pour faire remarquer qu’elle avait signalé que le thermomètre du service affichait des valeurs erratiques, qu’elle l’avait signalée au service biomédical, mais que celui-ci l’avait vérifié et qu’il n’avait rien remarqué. Vérification faite, le thermomètre était effectivement erratique, puisqu’il affichait des températures au hasard entre 36°2 et 39°.

Revenons sur les enchaînements.

Aucun patient n’a jamais eu de syndrome fébrile. Pour les trois qui s’en sont tirés sans problème, l’erreur de leur administrer des antibiotiques ou de faire des prélèvements n’a eu aucune conséquence néfaste.

Pour le patient parkinsonien, ceci a été un facteur aggravant. La première erreur, liée à une tentative de prescrire sur un logiciel mal conçut quelque chose d’inhabituel, a privé le patient de sa dose de MODOPAR du matin, ce qui a entrainé une décompensation de son parkinson (je ne le répèterais jamais assez, à ce stade ils peuvent devenir grabataires en trente minutes, et ce n’est pas une image). Les médecins du CHU ont été induits en erreur du fait de la présence de la fièvre. Leurs conseils étaient justes mais la situation fausse, ce qui rappelle à quel point en neurologie une consultation téléphonique est casse gueule.

En soins intensif il n’est plus hyper thermique car il ne l’a jamais été, les antibiotique n’y sont pour rien. La NFS et la CRP auraient pu aider à s’en rendre compte mais personne ne s’est posé la question.

L’erreur APOMORPHINE versus MORPHINE est fréquente. Légalement la faute est celle du prescripteur, mais le fait que même en RMM, même à plusieurs, personne ne l’ait vue, montre que le phénomène d’agnosie visuelle est très fréquent (c’est comme les pubs dans les bandeaux supérieurs des sites internet, personne ne les voit). Ce genre d’erreur est spécifique aux logiciels médicaux : à l’écrit les gens ne font pas cette erreur (ils en font d’autres).

Est-ce qu’on peut en tirer des leçons ?

Au risque de paraître d émago, je pense que ce cas illustre surtout une accumulation de défaites des médecins (je m’inclus donc dedans) face à tout un tas de règles et de protocole de bêtise croissante qui s’accumulent sans que l’on puisse revenir en arrière (pour les pas content du fond qui pensent que c’est un peu facile, attendez la suite) :

- Les thermomètres auriculaires sont des plaies. Je n’en ai jamais vu qui fonctionnent sans tomber en panne ou pire, sans donner des infos aberrantes. Les services biomédicaux en ont ras la casquette de la réparer et souvent se contentent d’accuser les IDE de mal s’en servir. Même si cela était vrai, c’est que l’outil n’est pas adapté. Sans revenir aux thermomètres à mercure, plusieurs pays, et certains états américains reviennent à des thermomètres physiques pour éviter ce genre d’erreurs (le thermomètre physique, soit il marche, soit il est cassé, mais il ne peut afficher n’importe quoi).

- Les logiciels de prescriptions sont des boulets dès que l’on sort des protocoles tout faits. Ils sont un gain net par rapport à l’écrit et personne ne propose de revenir au papier. Mais les éditeurs de logiciels médicaux ne sont pas en réelle concurrence et ne se donnent quasiment aucun mal pour améliorer l’ergonomie de leur produits. Les hôpitaux ne font presque jamais remonter ce genre de problèmes, et lorsqu’ils le font, on leur explique que l’erreur est humaine (ce qui est vrai). Pourtant, dans d’autres domaines médicaux ce genre de comportement n’est pas accepté : prenez les exemples de l’étiquetage des ampoules de médicaments et regardez comment les fabricants ont dû les revoir à chaque erreur de manipulation même si l’erreur était effectivement d’origine humaine.

- Les conseils téléphoniques sont un danger. Ils se justifient et sont raisonnables quand la question porte sur des paramètres objectifs (un ECG, un bilan biologique, une imagerie), mais pas sur la clinique. La clinique n’est pas objective car personne n’est dans la tête de celui qui examine. J’ai déjà expliqué ailleurs le nombre d’IRM et de PL inutiles réalisés sur les conseils téléphoniques de neurologues mal informés par des collègues médecins qui ne maîtrisent pas notre nomenclature (on rigole toujours avec l’hémiplégie du bras mais plus sérieusement, parler de dyskinésies chez une parkinsonien qui tremble peut entraîner le décès, ce n’est pas une légende urbaine, c’est un cas réel qui est passé en CRCI).

Quand j’ai discuté de cette RMM (que je connais car il se trouve que l’un de médecin de l’hôpital UP est un copain), avec des administratifs, des biomédicaux et des responsables des services informatiques, ils m’ont tous répondu que c’était une façon habile pour le corps médical de se dédouaner. Ils ont été stupéfaits quand l’assureur leur a dit que leur responsabilité à eux pouvait être engagée (surtout les informaticiens qui sont tombés de leur chaise). Ma réponse est un peu différente, si le médecin fait mal à cause du mauvais outil, ce n’est jamais lui qui paye les plus gros prix.

Dernier point avec les administratifs. Une directrice des soins de l’hôpital UP, par boutade, et c’est bien comme ça qu’il faut le comprendre car c’est quelqu’un qui connaît les soins, a terminé la réunion sur la remarque suivante : au moins pour l’hôpital c’est tout bénef, avec autant de iatrogénie, on va pouvoir facturer plus cher. Elle a entièrement raison.

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