>>> si vous ne savez pas comment explorer le blog, essayez cet index

4.3.14

cas clinique 032013 (je pense que pour faire joli je devrais rajouter des lettres)



Cas clinique du mois de mars. Le principe est toujours le même, je prends un dossier réel et je vous donne toutes les infos qu'il y a dedans, telles quelles avec les informations manquantes ou erronées. Tout le monde peut participer. Le principe de ces dossiers est qu'il n'y a pas de bonne façon de faire unique et que par conséquent, on peut en discuter. (NB, ce dossier est d'autant plus intéressant que les réponses datent de 2014, avant la modification de prescription du VALPROATE


Mme X est une jeune femme de 24 ans. Elle a un retard mental et une dysmorphie facile dont l'étiologie n'a jamais pu être déterminée. Elle vit avec ses parents, travaille dans une association pour adultes handicapés, a des amis et une vie somme toute normale. Elle a une épilepsie cryptogénique (c'est-à-dire qu'on pense qu'elle est en lien avec son retard mental et sa dysmorphie) mais qui ne pose aucun problème particulier. Elle a un traitement au long cours par DEPAKINE chrono 500 X 2/ jour (dose standard, non substituable, parce que les neuros ont horreur de ça,même si @PotardDechaine vous expliquera que ce n'est pas très rationnel). Comme seul autre traitement, elle a une contraception par IMPLANON, très bien supporté sauf que cela lui provoque une aménorrhée complète, qui ne l'embête pas plus que ça.


Son médecin traitant, est appelé un soir, car elle a fait une probable crise d'épilepsie. À son arrivée, 30 minutes après le début des symptômes, Mme X est encore un peu confuse, mais est clairement en train de se réveiller. Son médecin lui donne un comprimé d'URBANYL (une benzodiazépine) et appelle une ambulance pour la conduire aux urgences. À son arrivée elle est parfaitement réveillée, n'a aucun souvenir de l'événement, a des traces de morsure de langue et des contractures musculaires. Elle a droit à un scanner en urgence (normal), un E.E.G. le lendemain matin (considéré comme normal) et rentre chez elle avec une ordonnance d'URBANYL 5mg X3/j pendant 5 jours.

Trois jours après, elle refait une crise, en public, au travail. C'est un véhicule du S.A.M.U. qui est envoyé. A leur arrivée les médecins constatent qu'elle a encore des mouvements cloniques. Elle est sédatée (par quoi ?) et intubée pour être ventilée. A son arrivée au déchoquage, l'examen montre qu'elle a un gros hématome du crâne. En baissant la sédation, elle se réveille difficilement et semble avoir une asymétrie motrice. Le coté gauche bougeant nettement moins que le droit. Elle est envoyée au scanner à la recherche d'un hématome. Le scan étant normal, un deuxième est réalisé dans la foulée, avec injection de produit de contraste, pour éliminer une A.V.C. ou une thrombophlébite. L'angioscanner est également normal.

En revenant au décochage, la patiente reste somnolente. Le médecin urgentiste se pose la question d'un état de mal et met un place un traitement par PRODILANTIN (fosphenytoïne) et demande une E.E.G. Cet examen répond "activité rapide, très microvoltée, sans signes de comitialité active, ni signe de focalisation, pouvant témoigner d'une sédation iatrogène".

Le traitement par PRODILANTIN est interrompu, la patiente va mieux et fini par se réveiller totalement. Elle rentre chez elle après 48 heures avec une rendez-vous chez un neurologue pour revoir le traitement anti épileptique.

Après 4 jours, elle refait une crise chez elle. Retourne aux urgences. Est de nouveau sédatée, intubée, ventilée. A un scanner (normal), un E.E.G., qui montre des pointes diffuses. Elle est transférée en réanimation avec un traitement par DEPAKINE I.V, PRODILANTIN et NESDONAL (barbiturique) pendant une semaine. Elle est réveillée progressivement et transférée en service de neurologie.

Au cours de son hospitalisation, l'interne, refait "bêtement" un "bilan complet " qui montre que les beta HCG sont très augmentées. Une échographie confirme une grossesse de de 13 semaines d'aménorrhée. Devant les scanners, angioscanners, prise de DEPAKINE, DILANTIN et NESDONAL, le risque de teratogénicité est considéré comme important. Mme X et ses parents demandent une I.T.G.
Elle a depuis changée de région et est depuis suivie ici.

BIEN, MAINTENANT CAUSONS :

Comme au resto chinois, répondez à tout ou partie des questions. Quand je dis que tout le monde peut participer, c'est vrai :

  • si vous êtes externes, toutes ces questions peuvent tomber (ouais, je sais ce n'est pas juste)
  • si vous êtes interne, ça peut vous arriver aux urgences ou dans un service hospitalier
  • si vous êtes M.G., les questions 1, 2 (si si) 3, 10 sont pour vous
  • si vous êtes urgentistes, je n'en parle même pas
  • si vous êtes spé non neuro, non urgentiste, c'est comme pour les internes
  • si vous êtes I.D.E., au minium les questions 1,3,8 (si si) sont pour vous.
  • L'idée, je le rappelle n'est pas de juger, il est très facile à posteriori de décerner des bons points. L'idée est d'essayer d'apprendre ensembles (perso par exemple, je n'y connais rein en IMPLANON)
  1. Que penser de la contraception par IMPLANON ?
  2. Que penser du traitement de fond par DEPAKINE ?
  3. Que penser du traitement proposé par le médecin traitant à domicile ?
  4. Que penser de la réalisation d'un E.E.G. ?
  5. Que penser du penser du premier traitement de sortie ?
  6. Que penser de l'asymétrie de mouvement constatée lors du deuxième passage aux urgences ?
  7. Que penser du scanner et angio scanner (sans tenir compte du risque lié à la grossesse qui était inconnue) ?
  8. Que penser de la chronologie du deuxième E.E.G. ?
  9. Que penser de l'interne ?
  10. Quel traitement à partir de maintenant ?

Propositions de réponses

1.Que penser de la contraception par IMPLANON ?
Bof. La DEPAKINE est un antiépileptique qui ne fait pas très bon ménage avec ce type de contraceptif. En plus chez elle il y'a une aménorrhée, ce qui, même en 2014 reste quand même un bon indicateur de grossesse. L'avantage de forcer la compliance est réel, et on ne sait pas ce qui a motivé l'emploi de cette technique à l'époque. Mais à posteriori NON.
    2.Que penser du traitement de fond par DEPAKINE ?
    En terme d’efficacité rien à dire. Mais c'est une femme en âge de procréer et il est tératogène. Le LAMICTAL est tout aussi efficace avec moins de risques. Donc DEPAKINE est un choix qui s'entend mais pas idéal.

    3.Que penser du traitement proposé par le médecin traitant à domicile ?
    Illogique. Un traitement par benzodiazépines dans ce contexte est inutile puisqu'elle est en train de se réveiller. Personnellement je ne pense pas que ce soit un drame non plus mais, un pur épileptologue, vous dira que c'est non seulement inutile mais dangereux : d'une part, si sous l’effet des BZD elle devient somnolente, bien malin pour dire si elle fait une nouvelle crise où si c'est simplement l'effet BZD. D'autre part, sous BZD, les E.E.G. sont artificiellement normalisés ce qui flingue l’intérêt de l'examen pendant 24 heures.

    4.Que penser de la réalisation d'un E.E.G. ?
    La réponse n'est pas évidente. Les arguments pour sont : l'existence d'une nouvelle crise chez une patiente jusque là parfaitement équilibrée, à la recherche d'une activité de fond anormale, témoignant de l'évolution de son épilepsie cryptogénique. Les arguments contre sont : d'une part que la crise est typique (donc l'E.E.G. n'apporte rien de plus), que la patiente à pris des BZD (donc l'E.E.G. peut être artificiellement normalisé) et que si l'objectif est de dépister une anomalie de fond, l'examen peut tout à fait être réalisé ultérieurement.
    En conclusion, je pense que la demande était inutile.

    5.Que penser du penser du premier traitement de sortie ?
    Il n'existe pas de réponse consensuelle. Cependant, une crise, même spontanément résolutive, laisse une hypersensibilité à la récidive pendant une assez longue période que certains, empiriquement, fixent à une semaine. Un traitement par BZD peut alors se justifier. Si vous suivez bien, vous allez dire que je me contredis puisque je viens d'écrire que les BZD étaient inutiles juste après la crise, alors 24 heures après... faudrait savoir. C'est tout le problème de l'absence de consensus. Mais lisez bien, le problème avec les BZD immédiatement après une crise simple qui récupère, est le risque de modification de la conscience et le risque de perturber un éventuel E.E.G.. A 24 heures, ces deux risques n’étant plus là, on peut reproposer des BZD. Reste le problème de la posologie. Là encore pas de consensus, la dose de 5 mg d'URBANYL 3 fois par jour pendant une semaine est classique mais n'a été validée dans aucun essai.

    6.Que penser de l'asymétrie de mouvement constatée lors du deuxième passage aux urgences ?
    Une asymétrie EST un signe de focalisation. Il ne peut être expliqué par une épilepsie généralisée sauf à ce que cette dernière ait un point de départ focal, ce qui en ferait une épilepsie partielle secondairement généralisée. Ceci n'est pas une subtilité sémantique de neurologue car qui dit foyer dit zone anormale circonscrite et, en épileptologie, la circonscription fait papillonner les yeux de mes collègues. Une seule zone, peut être... enlevée, ce qui en général soigne, parfois définitivement l’épilepsie.
    Cependant, dans ce cas précis, avec ce contexte, l’asymétrie doit surtout faire recherche une lésion de novo (donc l'hématome, évoqué à juste titre par les urgences). 
    Là encore, si vous suivez, vous devriez vous dire : ok, elle récupère de façon asymétrique, elle n'a pas d'hématome, pas d'A.V.C. alors POURQUOI ? Une des hypothèses (la plus probable à posteriori) est une paralysie de TODD. Comme tout le monde ne connait pas, en voici un bref descriptif sur WIKIPEDIA qui dit déjà pas mal de choses : http://en.wikipedia.org/wiki/Todd's_paresis. C'est une entité à connaitre si vous passez aux urgences car c'est une des causes de diagnostic erroné de récidive d'A.V.C. le plus fréquent. Apres un A.V.C. la cicatrice fibreuse constitue un foyer épileptogene qui se manifeste parfois par des crises brèves, suivie par une parésie dans le territoire du foyer. Les antecedent d'A.V.C. étant généralement connus, les patients se voient (comme ici) infliger tout un tas de nouvelles explorations d' imagerie pour pas grand chose alors que l'E.E.G. est passé par pertes et profits.

    7.Que penser du scanner et angio scanner (sans tenir compte du risque lié à la grossesse qui était inconnue) ?
    On ne reviendra pas sur le problème du dépistage de la grossesse et du risque tératogène de l'irradiation. Je pense que le scanner était nécessaire ne serait ce que pour éliminer l'hématome. 

    8.Que penser de la chronologie du deuxième E.E.G. 
    Le faire c'est bien, le faire APRES du PRODILANTIN, c'est débile. Il n'apporte plus aucune info utile. 

    9.Que penser de l'interne ?
    Gloire à elle/il. Etre systématique n'est pas une honte. Remettre en cause les infos n'est pas un crime. Inutile de faire un long discours la dessus.
    10.Quel traitement à partir de maintenant ?
    On peut partir de l’hypothèse que le facteur déstabilisateur de son épilepsie était la grossesse. Il n'y a donc pas à proprement parler d'évolution de la maladie. Par contre, le risque de nouvelle grossesse persiste. L'attitude la plus logique consiste donc a remplacer la DEPAKINE par quelque chose de moins tératogène comme le LAMICTAL. Le KEPPRA n'est pas idéal du fait des troubles cognitifs potentiels, souvent majorés chez les patients victimes de troubles mentaux.


    Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :

    L’épilepsie et troubles apparentés