>>> si vous ne savez pas comment explorer le blog, essayez cet index

4.5.19

Traitements de la migraine - MAJ 2019 - partie 2




Dans le précédent article (lien ici) on a survolé les mécanismes de la migraine. C'était un peu long mais nécessaire parce que vous allez voir qu'en raison de leur diversité et de leur complexité apparente (en réalité les choses ne sont pas si compliquées), les traitements anti migraineux sont incompréhensibles sans ces quelques bases.

Un autre point important qu'il faut toujours garder en tête quand on discute des traitements anti migraineux, c'est l’inadéquation entre les données issues de la pharmacologie et des essais thérapeutiques, les recommandations officielles ou des sociétés savantes, et les autorisations de mise sur le marché (les AMM).

En neurologie, la migraine est une des pathologies où ces trois éléments se recoupent le moins, ce qui place les prescripteurs en difficulté et complique la vie des patientes.

Vous allez voir qu'il existe des médicaments recommandés mais inefficaces, d'autres non recommandés, pas efficaces mais qui ont l'AMM, d'autres qui sont recommandés, efficaces, mais sans AMM, ou encore des médicaments avec des AMM plus restrictives en France que partout ailleurs bien que plus efficaces que d'autres.

Enfin, vous allez voir que le sujet n’intéresse pas du tout nos autorités de santé puisque les recommandations françaises les plus récentes (et donc officiellement toujours en vigueur) datent de 2001-2002 (c'est à dire une époque où on pouvait encore payer en francs).




Dernier point important pour la lecture de cet article, les liens d’intérêts que je peux avoir. D'habitude ce n'est pas un problème puisqu'en neurologie il y a assez peu de molécules en concurrence (sauf dans la SEP). Par contre dans la migraine il y a plus de 15 classes thérapeutiques, dont certaines sont représentées par plus de 10 molécules à peu près équivalentes. Si je devais toutes vous les présenter (comme je l'ai fait dans l'article consacré aux antiépileptiques) je ne m'en sortirai pas, et vous ne comprendriez rien. Donc dans ce qui suit je vais parfois vous parler de certaines molécules parce que je pense qu'elles ont un avantage par rapport à d'autres, et inversement en ignorer certaines. Personne ne m'a payé pour le faire mais par transparence vous devez savoir que j'ai des liens d’intérêt avec les laboratoires qui commercialisent des produits dans la sclérose en plaque dont certains vont aussi se lancer dans la migraine (et notamment les anti CGRP).

Voilà, on est plutôt pas mal et on va pouvoir attaquer. Le plan est simple : les cibles sur lesquelles on peut agir, les classes thérapeutiques qui peuvent agir sur ces cibles puis les conduites à tenir. Pour cette troisième partie, je partirais des dernières recommandations de la American Headache Society (ou AHS). A ces recommandations je vais retirer les molécules qui ne sont pas disponibles en France, puis vous indiquer celles qui ont l'AMM et celles qui ne l'ont pas, et enfin vous les hiérarchiser selon nos recommandations nationales même si elles sont obsolètes. Si vous vous demandez pourquoi je privilégie la AHS plutôt que la société française (si si elle existe), ou guinéenne ou suédoise, c'est parce que la AHS fait office de société savante internationale, et que ses recommandations datent de décembre 2018.

Vous êtes prêts ?

Parfait !

1- Les cibles sur lesquelles on peut agir. 

Si vous avez bien compris l'article précédent, la maladie migraineuse peut provoquer une crise migraineuse lorsque :

  • l'hypothalamus amplifie les signaux douloureux qui transitent vie le ganglion trigéminal
  • les cortex cérébral devient hyper réactif aux stimulations
  • il existe une vasodilatation puis une vasoconstriction des vaisseaux artériels corticaux
  • les cellules perivasculaires libèrent des molécules pro inflammatoires, pro algiques et pro émétiques
  • les nerfs sensitifs périphériques réagissent à ces molécules en transmettant un signal de douleur au ganglion trigéminal (ce qui boucle la boucle). 


2- Les classes thérapeutiques.

Si on veut agir contre la migraine il faut donc essayer d'agir sur tous ces éléments. Un traitement anti migraineux parfait supposerait donc d'associer (on va se répéter un peu, mais c'est important):

  • une diminution de la capacité de l’hypothalamus à désinhiber le ganglion trigéminal. Ça on ne sait pas bien le faire. En théorie les antiépileptiques (et les neuroleptiques peuvent jouer un rôle).
  • une diminution de l'hyper réactivité du cortex cérébral en réponse à une stimulation. Ça on sait un peu mieux le faire. On peut déjà diminuer les stimulations, ce qui est une mesure non médicamenteuse. Ensuite on sait diminuer l'hyper réactivé corticale avec les antiépileptiques et les tricycliques.
  • une régulation de la vasodilatation puis de la vasoconstriction avec certains beta-bloquants, inhibiteurs calciques et dérivés de l'ergot de seigle et les triptans
  • une diminution de la réponse inflammatoire avec les anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens
  • une diminution de la sécrétion de molécules pro algiques avec les anti-histaminiques, les opiacés et leurs dérivés et les anti CGRP
  • une diminution de la capacité des nerfs périphériques à transmettre le signal douloureux avec, à nouveau, les antiépileptiques, les tricycliques, et certains antalgiques. 

Bref, en théorie on peut agir un peu partout. Reste à savoir si dans la vie réelle ça marche, et si oui à quel prix. 

On va donc discuter des classes thérapeutiques et voir leur avantage et leurs inconvénients respectifs. 

Si vous avez déjà lu des recommandations sur les traitements anti-migraineux, vous avez peut-être remarqué qu'il existe de nombreuses façon de les classer : par délais et durée d'action (traitements des crises aiguës, traitements préventifs...) par ligne (première ligne, deuxième ligne...), par efficacité (premier choix, deuxième choix), par rapport bénéfice risque, etc.... Cette diversité témoigne de l'absence d'une logique unique. Je vous propose de ne pas nous intéresser à ce problème de classification pour l'instant car il me semble plus facile de l'aborder en même temps que les stratégies thérapeutiques (dans un troisième article). On va donc ici les voir dans l'ordre arbitraire de leur indication théorique selon les quatre phases d'un épisode migraineux soit :


  • les neuroleptiques
  • les antiépileptiques
  • les régulateurs vasculaires (ou vasotropes, qui est un néologisme que j'aime beaucoup) hors triptans
  • les triptans
  • les anti-inflammatoires
  • Les antalgiques
  • Les tricycliques
  • Les anti-CGRP
  • Les non médicamenteux    


- a - Les neuroleptiques -  

Vous avez peut-être étés surprise de voir citer cette classe. Ne le soyez pas, personne n'y pense jamais et personnellement je pense que c'est très bien comme ça. Après tout ce sont des traitements majoritairement à visée psychiatrique et on ne voit pas ce que la migraine vient faire là-dedans. Pharmacologiquement pourtant il y'a une logique. Ces molécules dans leur ensemble, diminuent les affects (je simplifie beaucoup) en agissant sur les récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques (je simplifie encore plus) et ont un tropisme pour l’hypothalamus (à ce niveau-là ce n'est plus de la simplification c'est de la caricature mais peu importe). Le point important est que les neuroleptiques ont bien un effet de limitation de la réaction corticale aux stimulations, et un effet d’inhibition d'une partie de l’hypothalamus. Et il existe donc des molécules apparentées aux neuroleptiques (qui sont aussi des anti-histaminiques) utilisés dans la migraine avec une AMM tout à fait officielle : l'OXETORONE (Nocertone) et la FLUNARIZINE (Sibelium). Et non seulement elles ont une AMM, mais elles apparaissent dans les recommandations françaises (celles d'avant les euros) en traitement de fond (parmi les molécules de en première intention pour l'OXETORONE et parmi celles de deuxième intention pour la FLUNARIZINE). Leur efficacité est...considérée comme empirique. Il n'y a aucune étude qui permette de la quantifier réellement. C'est même une source d'embarras. L'OXETORONE par exemple, produite depuis 1974, n'a que deux études à son actif, datant de 1976. Lors de la réévaluation de l'AMM par l'HAS en 2016, celle-ci notait que l'étude qu'elle avait pu se procurer portait sur 21 patients ayant des "céphalées", dont seuls 14 avaient été évalués, et ceux sans analyse des résultats. Bref, c'est totalement n'importe quoi....Mais l'HAS a quand même renouvelé l'AMM. Je vous épargne la FLUNARIZINE, c'est encore pire. Tout ce qu'on peut en dire c'est que certains patients en sont très contents, tout comme mes confrères qui les leur prescrivent. Mais pour ce qui concerne la suite de cet article, on va les oublier.
NB : on peut aussi associer à cette classe une molécule qui n'est pas commercialisée en France mais qui a pas mal de sucés dans les pays anglo-saxons : la prochlorperazine. C'est un antipsychotique, anxiolytique, anti-migraineux et antiémétique. Je ne fais que la citer, parce que sous son nom commercial de Compro, on en trouve parfois dans les ordonnances des touristes qui consultent aux urgences.

- b - Les antiépileptiques - 

C'est peut-être avec cette classe qu'il y a le plus de discordance entre recommandations, preuves et AMM. On va donc essayez de bien faire la part des choses.

  • tous les antiépileptiques ont des propretés antimigraineuses, car tous les antiépileptiques diminuent la réactivité corticale aux stimulations. Pour cette même raison, tous les antiépileptiques ont également des propriétés antalgiques en cas de douleurs neuropathiques et, sauf cas particuliers, sont régulateurs de l’humeur. 
  • cependant les antiépileptiques sont des molécules qui ont pour la plupart d'importants effets secondaires et de toutes aussi importantes interactions médicamenteuses.
  • les antiépileptiques avec le meilleur profil DANS la migraine sont l'ACIDE VALPROIQUE et la CARBAMAZEPINE. En raison des risques de malformation fœtales et du risque de handicap mental l'ACIDE VALPROIQUE est formellement contre indiqué chez la femme dans cette indication. La CARBAMAZEPINE expose à de très nombreuses interactions médicamenteuses (et également à un risque malformatif important), et n'a pas l'AMM dans cette indication mais à une AMM dans les douleurs neuropathique (ce qui correspond bien à la composante douloureuse de la migraine). En raison de leurs limitations respectives, aucun des deux n'est recommandé dans la migraine ne France, alors que l'ACIDE VALPROIQUE l'est dans les recommandations internationales. 
  • Le TOPIRAMATE a un profil médiocre dans la migraine. Il expose à des effets secondaires pénibles (comme une perte de poids ou des paresthésies), et des effets secondaires graves (il multiplie par trois le risque de malformations fœtales). Paradoxalement, c'est le seul qui à l'AMM en France, et qui apparaît dans les recommandations nationales.
  • Les autres antiépileptiques ont très peu été testés et les résultats sont trop discordants pour en tirer des conclusions et encore moins les recommander. Le meilleur exemple est le cas de l'OXCARBAZEPINE, candidat idéal sur le papier car c'est c'est une version améliorée de la CARABAMAZEPINE avec moins d'effets secondaires. Pourtant même dans des études réalisée à la demande de labo détenteur de la molécule, les résultats contre placebo n'ont pas été probants. 

On a donc, si on se résume :

  •  Le TOPIRAMATE  qui :
    • a une AMM
    • est dans les recommandations françaises et internationales
    • est modérément efficace avec un NNT à 4 pour ce qui est de réduire la fréquence des crises de moitié
    • ne présente pas de différence statistiquement significative avec l'AMITRIPTYLINE
    • a des effets secondaires pénibles (NNH entre 2 et 3 pour les paresthésies [le NNT pour les effets secondaires se nomme NNT pour number needed to harm] soit un bénéfice risque plutôt défavorable
    • et présente des risques de malformations fœtales multipliés par 3 chez la femme enceinte.
    • MAIS C'EST PAS GRAVE IL A L'AMM

  •  L'ACIDE VALPROIQUE  qui :
    • n'a pas d'AMM
    • est dans les recommandations internationales mais pas françaises
    • est moins efficace (inutile de hausser les sourcils, je ne me contredis pas, patientez un peu) avec un NNT à 5 pour ce qui de réduire la fréquence des crises de moitié
    • a des effets secondaires à type de vertige, tremblements, nausées rare avec un NNH à 14 soit un bénéfice risque plus favorable que le TOPIRAMATE
    • EST FORMELLEMENT CONTRE INDIQUE CHEZ LA FEMME EN AGE DE PROCRÉER en raison de risques de malformations fœtales et de retard mental importants.
    • est donc de facto un médicament réservé aux hommes en France

  •  LA CARBAMAZEPINE  qui :
    • n'a pas l'AMM dans l'indication migraine mais a une AMM dans l'indication douleur neuropathique
    • n'est ni dans les recommandations françaises de la migraine, ni dans les recommandations internationales, mais dans toutes les recommandations de la douleur (vous suivez j’espère)
    • est efficace avec un NNT à 2 pour ce qui de réduire la fréquence des crises de moitié
    • à des effets secondaires multiples dont des nausées et des vertiges avec un NNH à 2 soit un bénéfice risque mitigé
    • EST FORMELLEMENT CONTRE INDIQUE CHEZ LA FEMME EN AGE DE PROCRÉER en raison de risques de malformations fœtales

Références :
acide valproique (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23797677)
topiramate (https://www.cbip.be/tf/FR/TF_MIG.pdf)
carbamazepine (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23797674)
oxcarbazepine (https://n.neurology.org/content/70/7/548)

- c - Les régulateurs vasculaires (ou vasotropes) hors TRIPTANS- 

Les médicaments appartenant ce groupe sont difficiles à appréhender car ils sont hétérogènes. Leur seul point commun est d'agir d'une façon ou d'une autre sur les vaisseaux pour empêcher leur vasodilatation anormale ou leur vasoconstriction excessive.

On retrouve donc dans ce groupe les beta-bloquants sans activité sympaticomimétique intrinsèque, les antagonistes calciques, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion, la clonidine et les dérivés de l'ergot de seigle. On va vite passer sur les trois dernières classes: les antagonistes calciques les plus utilisés (VERAPAMIL, NIMODIPINE, NIFEDIPINE)  n'ont pas démontré d’efficacité dans les études contrôlées, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (essentiellement le LISONIPRIL) n'a montré que des résultats très modestes, et les dérivés ergotés, longtemps utilisés, n'ont jamais été étudiés dans des études de bonne qualité et ont, pour la plupart, été retirés du marché en raison d'effets secondaires graves. L'exemple le plus caricatural étant celui du METHYSERGIDE, dont les quatre études princeps datent des années soixante avec des critères d'inclusion et d’efficacité flous, mais avec des effets secondaires bien réels comme une fibrose péritonéal ou des valvulopahties. Malgré ces risques graves, ce traitement figure toujours en bonne place dans les recommandations internationales. Mais nous on va l'oublier, ainsi que tous les autres régulateurs vasculaires (hors triptans) à part... les beta-bloquants.

On va donc s’intéresser exclusivement aux Béta-Bloquants sans activité sympaticomimétique intrinsèque.Il en existe de très nombreux : PROPRANOLOL, METOPROLOL, ATENOLOL, BISOPROLOL... Le plus étudié est le PROPRANOL. Le METOPROLOL a exactement le même profil, les autres sont moins bien étudiés. On se retrouve donc finalement uniquement avec :

  •  LE PROPRANOLOL  qui :
    • a une AMM dans l'indication migraine (traitement préventif)
    • est cité par toutes les recommandations
    • est efficace avec un NNT à 4 pour ce qui est de réduire la fréquence des crises de moitié (comparable au TOPIRAMATE et à l'AMITRIPTYLINE)
    • n'a pas d’effets secondaires supérieurs au placebo si on respecte les doses antimigraineuses et les contre-indications des beta-bloquants 

Références :
propranolol (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK138292/)


- d - Les TRITPTANS - 

Ce sont aussi des modificateurs de la constriction vasculaire (ils sont vasoconstricteurs pour être précis) mais si je les ai classés à  part, c'est parce qu'avec cette classe on sort des molécules anciennes et peu évaluées pour rentrer brutalement dans le monde baroque et bigarré du grand n'importe quoi marketing (ce qui ne préjuge en rien de leur efficacité ou de leur inefficacité). Dans les années deux mille, tous les laboratoires se devaient d'avoir un triptan, peu importe lequel, peu importe comment, peu importe pourquoi. Au point qu'en France par exemple, deux laboratoires concurrents ont commercialisé simultanément la même molécule, le FROVATRITPAN, sous deux noms commerciaux différents, chacun insistant, avec sérieux, sur la supériorité de sien par rapport à l'autre.

De cette guerre marketing, sept ont survécu. Pour se facilité la tâche, je vais les désigner par leur préfixe (SUMA pour SUMATRIPTAN). On a donc par ordre alphabétique l'ALMO, l'ELE, le FROVA, le NARA, le RIZA, le SUMA et le ZOLMI...TRIPTAN. Et sept c'est vraiment beaucoup. Du coup pour essayer de se distinguer, chacun labo a essayé de se focaliser sur un micro point de détail qui était particulièrement favorable à sa molécule : efficacité deux heures après la prise, efficacité quatre heures après la prise, efficacité sur la directive à 24 heure etc...Bien évidemment tout cela n'est que du détail d'autant plus qu'il existe une grande variabilité inter-individuelle à la réponse au triptans.


De façon totalement subjective (j'insiste beaucoup là-dessus), j'avais écrit dans la version précédente de cet article publié en 2013 :

On en retient deux plus un. À mon avis l'ELE  et l'ALMO  donnent les meilleurs résultats en termes d’efficacité immédiate et de prévention de la récidive ultérieure ; alors que le ZOLMI et le NARA sont les plus mauvais [...] Toutefois même bonnes, ces molécules perdent de leur efficacité au bout d’un ou deux ans, il ne faut alors pas hésiter à les intervertir.
Et là au fond de la salle, caché derrière un fraisier, j’entends quelqu’un protester : « Ah oui mais moi mon ZOLMI  m’a changé la vie. » Et bien tant mieux ! Il y a toujours des patients dont le métabolisme n’est pas de notre galaxie.
Le « plus un » : le FROVA. Il est moins bon en aigu, moins bon pour la tolérance, moins bon pour la récidive immédiate MAIS pas mal pour la récidive à 24h. Ça vaut donc le coup de l’essayer pour les femmes victimes de migraines cataméniales.
Sauf que nous sommes en 2018 et je vous sens plus en demande de faits (et vous avez bien raison). Alors voilà pour l'exemple les NNT et NNH pour le FROVA et l'ELE aux doses maximum :

  • NNT pour une disparition complète des douleurs à 2 heures : FROVA 12 | ELE 3
  • NNT pour une disparition complète des douleurs à 4 heures : FROVA 6 | ELE 4
  • NNT pour une absence de récidive à 24 heures : FROVA 17 | ELE **
  • NNH pour avoir des nausées, vertiges, paresthésies et fatigue : FROVA 10 | ELE 11

Que faut-il en retenir ?

  •  LES TRIPTANS 
    • ont une AMM en cas de crise migraineuse
    • sont cités dans toutes les recommandations
    • ont une efficacité variable entre molécules mais surtout entre individus avec un NNT entre 3 à 12 
    • ont des effets secondaires variables selon les individus avec un NNH de 10 aux doses efficaces
    • ont de nombreuses contre-indications notamment en cas de pathologie cardiaque, antécédent d'AVC ou insuffisance hépatique
    • peuvent être, selon le CRAT, utilisés chez la femme enceinte en privilégiant le SUMA, puis l'ELE, le RIZA et le ZOLMI, les autres n'étant pas évalués. 

Références :
frovatriptan (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK71362/)
eletriptan (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11687056)

- e - Les anti-inflmmatoires - 

On revient ici dans un univers plus simple. On va distinguer les anti-inflammatoire non stéroïdiens (les AINS) et les corticoïdes.

Concernant les AINS je ne vous apprendrais rien en vous disant qu'il en existe trop pour tous les citer. Les plus étudiés dans l'indication migraine ET disponibles en France sont l'IBUPROFENE et le NAPROXENE. Ceux qui ont l'AMM en France sont l'IBUPROFENE, l'ACETATE de LYSINE, et le KETOPROFENE. On oublie souvent que l'ASPIRINE n'a pas l'AMM (on ne rigole pas). Dans d'autres pays européens le DICLOFENAC est également encore utilisé.

Pour s'en tenir aux trois (IBU, NAPRO, KETO) disponibles en France avec AMM, l'IBUPROFENE a un NNT entre 6 et 7 pour réduire les douleurs migraineuses sévère à deux heures. Ceci est vrai pour une posologie de 400 mg.
Si vous êtes lectrice ou lecteur de la revue prescrire, et que vous consultez la page 95 du numéro de février 2007, vous verrez qu'elle écrit avec beaucoup de nuances et de subtilités :"pas de 400 mg d'emblée". Faute de place elle n'a pas rajouté "car sinon vous serez responsable d'une mort atroce chez vos patients, précédée de chutes de météorite et d'invasions de criquets", mais on sent bien que l'intention y est. Essayons de comprendre ce que la revue prescrire n'a pas compris. Vous allez voir c'est super difficile (non). L'efficacité des AINS est dose dépendante dans l'indication migraine. La plupart des études retrouvent cette variation d’efficacité quand on compare les posologie de 200, 400 et 600 mg. Mais ce qui compte, comme toujours dans une étude, c'est le critère d’efficacité retenu. Avec le critère :"Patients ayant une migraine d’intensité modérée et répondeurs à 2 heures", prescrire à raison (!). Le NNT de la posologie à 200 mg et celui de la posologie à 400 mg sont proches (environ 10). Par contre avec le critère :"Patients ayant une migraine d’intensité sévère et répondeurs à 2 heures ", le NNT est de 21 pour 200 mg et de 6 pour 400 mg . Si j'insiste là-dessus, c'est parce que le but d'un traitement anti-migraineux n'est jamais de réduire la douleur, mais de la réduire au maximum pour éviter le cercle vicieux de la récidive et de l'état de mal migraineux. Concevoir qu'il faut s’arrêter à la dose minimale efficace pour avoir un début d'effet, a autant de sens que d'affirmer qu'en cas de fracture ouverte d'une jambe, le repos au lit et le léchage de la plaie avec de la salive sont suffisants puisque c'est déjà faire quelque chose. 
Notons au passage qu'aux posologies employées dans la migraine, l'IBUPROFENE n'a pas un profil de risque supérieur au placebo.

Pour ce qui est du NAPROXENE, aucune étude n'a démontré sa supériorité par rapport à l'IBUPROFENE. Concernant le KETOPROFENE, son NNT semble meilleur (4) mais avec trop peu d'études pour pouvoir affirmer quoi que ce soit.

 On se retrouve donc finalement uniquement avec :

  •  L'IBUPROFENE  qui :
    • a une AMM dans l'indication migraine (traitement de la crise)
    • est cité par toutes les recommandations
    • est efficace avec un NNT à 6 pour ce qui est de réduire l'intensité de la douleur
    • n'a pas d’effets secondaires supérieurs au placebo si on respecte les doses antimigraineuses et les contre-indications des AINS.

Référence :
ibuprefene (https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/ct031769.pdf) ou encore (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26230487)

Concernant les corticoïdes, les choses sont encore plus simple. Tout d'abord, en voie per os aucun n'a prouvé quoi que ce soit. En IV, pas mieux, sauf peut-être, mais avec de nombreux problèmes méthodologique, sur le risque de recidive à 24 heures avec NNT à 9 et sans effets secondaires supérieurs au placebo. De toute façon, les corticoïdes n'ont pas l'AMM dans cette indication.

- e - Les antalgiques - 

Dans les antalgiques on classe essentiellement le PARACETAMOL, la CODEINE, LE TRAMADOL et la MORPHINE. Par pur vice je vais les détailler dans le sens contraire de cette liste.

La MORPHINE (tous les opioïdes en général) est inefficace sur les douleurs migraineuses. Tout simplement parce que nulle part dans la boucle qui va du ganglion trigéminal à l’hypothalamus il n'y a suffisamment de récepteurs aux opiacés pour avoir un effet antalgique quelconque. On oublie donc également le TRAMADOL et la CODEINE.

On se retrouve donc finalement uniquement avec :

  •  LE PARACETAMOL  qui :
    • a une AMM dans l'indication migraine (traitement de la crise)
    • est cité par toutes les recommandations
    • est efficace avec un NNT à 5 pour ce qui est de réduire l'intensité de la douleur en 2 heures et un NNT à 12 pour la faire disparaître.
    • n'a pas d’effets secondaires supérieurs au placebo si on respecte les doses antimigraineuses et les contre-indications.
Référence :
paracetamol (https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD008040.pub2/abstract)

- f - Les tricycliques - 

Ceux qui connaissent ce blog, savent que comme tout neurologue, j'ai une affection particulière pour cette classe (en pratique pour l'AMITRIPTYLINE, les autres tombant progressivement en désuétude). J'ai donc un biais. Quoi que puissent dire les chiffres, cette molécule est formidables. D'ailleurs si vous avez lu tout ce qui précède sans tricher, vous avez constaté que j'ai déjà cité l'AMITRIPTYLINE plusieurs fois. Et vous vous attendez donc à des résultats spectaculaires. Malheureusement les chiffres sont injustes. l'AMITRIPTYLINE ne fait pas mieux que les beta-bloquants ou le TOPIRAMATE avec un NNT à 4. Pire, ses effets secondaires sont supérieurs à ceux des beta bloquants (mais inférieurs au TOPIRAMATE, il ne faut quand même pas exagérer). Par contre on peut la prescrire chez la femme enceinte.

On se retrouve donc finalement uniquement avec :

  •  L'AMITRIPTYLINE  qui :
    • a une AMM dans l'indication douleurs (validé par l'HAS dans la migraine)
    • est cité par toutes les recommandations
    • est efficace avec un NNT à 4 pour ce qui est de réduire la fréquence des douleurs
    • a un NNH entre 6 et 10 selon que certains effets secondaires ont perçus comme tels ou pas (la somnolence est perçue comme un soulagement par ceux qui ne dorment pas en raison de leur céphalée). 
Référence :

- f - Les anti-CGRP - 

C'est la grande nouveauté de 2018 aux Etats-Unis, et la grande nouveauté pour fin 2019 début 2020 en France. La CGRP est une molécule libérée par l’environnement vasculaire au cours de la réponse inflammatoire qui a un effet pro-algique (et peut-être vasodilatateur) et les anti-CGRP sont des anticorps monoclonaux spécifiquement développés pour enrayer cette libration (dans la réalité c'est pas vraiment plus compliqué que ça, malgré les schémas très colorés auxquels vous ne pourrez pas échapper quand ces molécules vous seront présentées). Pour l'anecdote ces molécules sont produites par la technologie de l’ADN recombinant dans des cellules d’ovaire de hamster chinois, ce qui nous fait changer de dimension par rapport au bon vieux paracétamol.

Il existe actuellement trois anticorps monoclonaux (comme pour les triptans, chaque labo veut le sien) : l'ERENUMAB, le FREMANEZUMAB, et le GALCANZUMAB.

Il est probable que l'ERENUMAB, qui a obtenu son AMM européenne, soit, comme aux Etat-Unis, disponible avait les autres, donc je vais vous parler surtout de celui-ci, mais les autres vont suivre le même chemin.

Ce sont des traitements prophylactiques, injectables (en sous cutané), mensuels. Leur AMM précise qu'ils sont indiqués en cas de crises migraineuses plus de quatre fois par mois, aprés échec des traitements déjà existants bien conduits.... sauf en France ou l'HAS a décidé que ça serait huit fois par mois. Dire que c'est pour une question de coût serait médisant, il doit donc exister un facteur climatique spécifique à la France que seule l'HAS connaît. Le NNT pour diminuer de moitié la fréquence des migraines est de 6 à 10 selon lest études, après deux mois de traitement, ce qui n'est pas mieux que la plupart des traitements déjà disponibles, et moins bien que le PROPRANOLOL ou l'AMITRIPTYLINE.

On a donc une nouvelle classe (ai-je oublié de vous parler du prix ? Oui ? C'est cher !), pas plus efficace que ce qui existe, et qui pourtant a obtenu son AMM, a lancé une course entre les labos, et est acceptée et remboursée par les assureurs américains (bien connus pour leur philanthropie) avec moins de restrictions que l'HAS de chez nous. On peut donc se demander pourquoi. La réponse est dans ce que ne dit pas le NNT. En fait toutes les études semblent confirmer que seuls 20% des patients seraient répondeurs,  mais que ceux qui le sont, le sont particulièrement bien. Autrement dit, du point du vue d'un assureur, si après deux mois d'essai le traitement n'a pas été efficace, il n'est pas utile de continuer à le prescrire, et si il est efficace, cette efficacité est telle, qu'elle est économiquement viable. On verra si ceci est confirmé par les études en vie réelle (le coup du "sous-groupe de patient répondeurs" est une astuce marketing vieille comme le monde) et par les nouvelles molécules, parce que pour l'instant ceci reste purement observationnel. 

références :
antiCGRP
 (https://link.springer.com/article/10.1007/s11940-017-0463-4)
erenumab 

- g - Les non médicamenteux - 

Parce que bien évidemment ce n'est pas parce qu'on ne donne pas un traitement médicamenteux qu'on ne fait rein. Le problème des traitements non médicamenteux est plutôt lié à la difficulté de leur mise en place. Quand je dis ça, il y a toujours quelqu'un pour me répondre :"Ne trouvez-vous pas paradoxal d'affirmer qu'il est plus difficile de ne pas donner un médicament que d'en donner un ? Dites ? Hein ? Vendu !". Comme il n'y a pas de question débiles, (mais uniquement des débiles qui posent des questions, comme disait mon ancienne cheffe quand je lui demandais pourquoi elle faisait elle ou telle chose et qu'elle ne savait pas quoi me répondre...) on va essayer de voir ce qu'il est possible de faire. Avec la technologie du XXIe siècle, il n'est pas possible de changer le ganglion trigéminal, l’hypothalamus, le cortex, les vaisseaux intracrâniens et les nerfs crâniens d'un humain standard. La seule chose qu'il soit envisageable de modifier est son environnement. Et ça tombe bien parce que beaucoup de facteurs environnementaux favorisent la survenue de crises migraineuses. Les plus connus sont le bruit, la lumière, la fatigue, les odeurs.... Donc tout ce qui permet de vivre dans un environnement moins bruyant, à la luminosité adaptée, avec moins de fatigue (si possible avec de la relaxation, de la psychothérapie ou du soutien psychologique) et qui est joli et sent bon... marche. Pour de vrai. Je vous passe les détails mais l’amélioration du cadre de vie permet parfois de faire chuter drastiquement le nombre d’épisode migraineux. Le problème est plutôt économique et social. En coût réel, pour 1000 euros vous pouvez avoir de du paracétamol pour plusieurs décennies, mais vous n'aurez pas mieux que 24 heures dans un hôtel de luxe à Paris (pas trop luxueux non plus).

- Conclusion - 

Dans le migraine, ce qui ne manque pas c'est les traitements. ce qui manque c'est un traitement efficace. Cette deuxième partie, consacrée au descriptif des différentes molécules, est, je ne me fais aucune illusion, assez indigeste. Mais elle est nécessaire pour comprendre la troisième partie qui je vais tenter de publier dans pas trop longtemps et qui discutera des stratégies thérapeutiques.