On va donc parler des maladies du spectre IgG4 ou IgG4-RD, qui n'ont, comme on le verra, rien à voir avec les maladies à IgG4 (dont vous n'avez pas plus entendu parler), qui sont rares mais en fait probablement très fréquentes, et qui donnent des troubles neurologiques, mais surtout endoc, gastro, ophtalmo, vasculaire et… la liste longue.
Vous vouliez du hardcore, vous allez en avoir.
Mais tout d'abord un peu d'histoire (brève). Il y a fort fort longtemps (2003), et fort fort loin (Japon), Terumi Kamisawa (un japonais) travaillait dans le département de médecine interne du Tokyo Metropolitan Komagome Hospital, à…Tokyo (au Japon). Il constata que dans les pancréatites auto-immunes de cause inconnue, il y avait une présence dans presque 100% des cas, d'un infiltrat de cellules plasmocytaires avec un marquage IgG4 positif. Il en déduisit que "presque 100%" étant un chiffre assez élevé, il se pouvait qu'il y'ait un lien entre la présence de ces cellules, et la pancréatite auto-immune. Malin.
On a donc, en 2003, une nouvelle maladie auto-immune qui touche le pancréas et tout le monde est très content. Sauf qu'en fait c'est vite le bordel parce que (je vous passe les détails), on s'aperçoit assez rapidement que d'une part on peut observer ces infiltrats dans à peu près tous les organes lors de certaines pathologies auto-immune que l'on croyait idiopathiques, et que d'autre part, dans le cas particulier de ces maladies, les IgG4 ne semblent pas être la cause de la maladie, mais plutôt une réaction visant à limiter la réponse auto-immune. C'est encore plus le bordel quand on comprend qu'il existe de réelle maladies, auto-immunes, touchant à peu près tous les organes (oui c'est presque la même phrase que précédemment) qui sont directement liées aux IgG4.
Si vous avez vaguement suivi, on a donc d'une part des maladies auto-immunes (au pluriel) où les IgG4 sont la cause (ou en tout cas font partie de la cause) du processus pathologique (comme par exemple au hasard certaines myasthénies ou certaines angéites à éosinophiles), et d'autre part une maladie (au singulier) où les IgG4 sont plutôt le témoin d'une réaction de défense contre le processus pathologique (en lui-même inconnu).
Si vous trouvez ça compliqué vous pourriez vous rassurer en vous disant que de toute façon vous n'en avez rien à faire parce que s'il a fallu attendre 2003 pour découvrir cette maladie c'est qu'elle ne doit pas être bien fréquente. Et bien pas de bol, elle l'est (enfin probablement). C'est juste qu'on ne savait pas comment l'identifier. Et si on ne savait pas l'identifier c'est que d'une part les tableaux cliniques sont fourbes (en raison de la multiplicité des cibles), que d'autre part, en 2018, le diagnostic nécessite une biopsie, et qu'enfin, comme cela reste une maladie d'interniste, la cortisone marche un peu même si on ne sait pas pourquoi on la met. Bref, elle est rare parce que jusqu'à présent elle été noyée dans le fourretout des machin idiopathiques corticosensibles.
Maintenant qu'on commence à avoir un peu de recul, on estime que sa prévalence est de 6/100000 rien que dans les pancréatites, et probablement autant dans toutes les entités auto-immunes lambda. Et là on parle des cas certifiés avec biopsie soit probablement le flocon au sommet de la partie émergées de l'iceberg. Depuis 2003 on sait aussi que c'est une maladie qui touche les deux sexes de façon équitable, plutôt entre 50 et 60 ans.
A ce point précis de ce texte, je pense que ça reste très éthéré et qu'un peu de concret vous ferait du bien. Alors attaquons le concret avec quelques formes "typiques". Les guillemets qui entourent le mot [typiques[ ont une vocation ironique parce que vous allez voir que question clichés on est loin de l'image du français en béret basque une baguette de pain sous le bras. Ce qui est le plus constant, c'est l'association d'une atteinte pseudo tumorale d'un organe plein (glandes sous mandibulaires, pancréas, rein, méninges (si si c'est un organe en soi), hypophyse) et l'apparition de novo d'un terrain atopique plutôt ORL. Bon bref, si à 55 ans vous voyez quelqu'un avec une masse pancréatique et une rhinite allergique, c'est louche. Au-delà de ces généralités, si on détaille par grandes régions, les tableau sont très polymorphes.
Tableau 1 : atteinte pseudo tumorale des parotides et des glandes sub mandibulaire associé à une inflammation des voies lacrymales. Vous le savez sans doute parce que vous êtes plus malin que moi, mais moi j'ai découvert que cette association portait le nom de maladie de Mikulicz. Depuis longtemps ce syndrome était associé à syndrome de Sjögren et la sarcoïdose alors qu'en fait il est plutôt caractéristique des IgG4-RD.
Tableau 2 : et là on va voir que la sarcoïdose a souvent été inculpée à tort : une lymphoadenopathie plus ou moins diffuse, avec des ganglions qui peuvent faire de 1 à 2 cm de diamètre, fermes et indolores.
Tableau 3 : un ictère secondaire à la compression des voies biliaires par une hypertrophie du pancréas, associé à une insuffisance pancréatique endocrine et exocrine se traduisant par un diabète, une malabsorption et une perte de poids. (c’est-à-dire une pancréatite auto-immune de base).
Tableau 4 : une fibrose rétro péritonéale (jusqu'à 2/3 des cas) avec une concentration des régions de fibrose autour de l'aorte abdominale (associé à des dissection ou des anévrismes aortiques) ou autour des uretères (d'où des hydronéphroses).
Tableau 5 : une fibrose pulmonaire
Tableau 6 : une néphropathie interstitielle ou plus rarement une glomérulonéphrite membraneuse.
Et enfin tableau 7 (le seul qui soit intéressant) : une atteinte neurologique très… inhabituelle. Inhabituelle parce qu'elle peut mélanger toutes les formes d'atteintes neurologiques. Pour l'illustrer on va faire très simple : ça peut à la fois donner des lésions neurologiques mécaniques par contrainte extérieur (comme des hydrocéphalies liées à une pachyméningites des sites de résorption du liquide céphalo rachidien (foramen de Luschka et Magendie)) et des lésions neurologiques par infiltration directe des nerfs (avec des neuropathies périphériques chroniques). Le tableau le plus connu (dont jusqu'à présent on pensait qu'il était la faute à pas de chance), est le syndrome de Tolosa-Hunt. Pour ceux à qui ça ne dit rien, c'est un très très vague fourre-tout qui se manifeste par une inflammation douloureuse des tissus orbitaires (les muscles, le nerf optique, les nerfs et les canaux lacrymaux) plus ou moins une exophtalmie (avec ou sans diplopie). On estime que 20% de ces inflammations sont liées aux IgG4-RD, le reste étant constitué par les infections, les lymphomes et la maladie de Basedow. Donc attentions, une exophtalmie sans trouble thyroïdien doit faire penser au IgG4-RD. En fait, les seules structures neurologiques qui ne sont pas atteintes par les IgG4-RD sont le parenchyme cérébral lui-même (pour être honnête il existe d'exceptionnels cas dont on ne sait pas quoi penser),la moelle, les plexus nerveux et les muscles (hors ceux de l'orbite). Et là, si vous êtes un fin neuro-anatomiste (oui non je sais qu'en fait vous vous en fichez mais c'est juste une figure de style), vous vous dites que si ça peut tout toucher sauf le parenchyme cérébral lui-même, alors ça doit pouvoir toucher l'hypophyse. Et vous avez raisons (admirez la façon dont je flatte votre esprit alors qu'en fait vous étiez à des années-lumière d'y penser). Et l'hypophyse c'est plutôt un organe que l'on pourrait qualifier d'utile. Pour vous donner quelques chiffres, les IgG4-RD représentent 4% de toutes les insuffisances hypophysaires avec diabète insipide, dont 30% des cas où l'hypophyse et hypertrophiée de façon homogène. Cliniquement on a les signes habituels d'insuffisance antéhypophysaire avec la baisse de la libido, l'hypogonadisme, l'hypothyroïdie… Ainsi que des signes d'atteinte postérieure avec un diabète insipide (polyurie et polydipsie).
Du coup si vous y pensez il faut confirmer le diagnostic. En pratique c'est pas quelque chose de pas du tout facile, le simple dosage sanguin des IgG4 étant relativement ininformatif. C'est plutôt le boulot des neurologues, internistes, endocs ou gastros selon le tableau clinique. Et de toute façon, s'ils confirment le diagnostics, ça sera à eux d'utiliser la bonne combinaison de cortisone et de rituximab qui permet en général une rémission complète (même en cas d'atteinte neurologique).
En conclusion je sais parfaitement que ce genre de pathologie a tous les aspects de la maladie tordue jusqu'à la caricature que seuls des spécialistes de la spécialité prennent en charge avec leur anticorps à la c…exotique. En réalité c'est tout le contraire. C'est plutôt la caricature de tous ces trucs qui faute de mieux étaient classés comme idiopathiques et dont on s'aperçoit qu'ils ont une cause et que, coup de bol, cette cause est curable.
C'est aussi très concrètement (attention, c'est la séquence "à propos d'un cas") le cas d'un patient qui est venu dans le service il y a quelques années en raison d'une épilepsie rebelle sur une pachyméningite aseptique, qui malgré des biopsies s'est retrouvé sans diagnostic, qui a secondairement fait une hydronéphrose et une dissection aortique ayant nécessité une intervention chirurgicale qui s'est mal passée, qui nous a demandé de ne plus lui faire quoi que ce soit et de passer en soins palliatifs quand on a découvert qu'il avait une lésion pancréatique, et qui, quand on fait le lien avec les IgG4-RD, a récupéré une vie normale après des cures de RITUX. Evidemment je suis praticien hospitalier et je plaide pour ma paroisse, mais des histoires comme celle de ce patient (et j'en ai énormément avec plein d'autres maladies) sont typiquement ce qui me fait râler contre l'immense arrogance de ceux qui ne voient la médecine que par le carré de White.
Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
La neurologie des autres spécialités médicales.
https://etunpeudeneurologie.blogspot.com/2017/08/collection-neurologie-des-autres.html