>>> si vous ne savez pas comment explorer le blog, essayez cet index

12.2.17

Agnosie sociale

ce texte est la version blog d'une série de tweets publiés le 01/02/2017. Comme souvent avec tweeter, les notions de neurologie décrites ici sont simplifiées à l’extrême et ne sont pas sourcées. Si vous cherchez un texte scientifique avec la biblio, ceci ne répondra pas à vos attentes.


Si vous voulez faire les malins en société avec l'actualité, et notamment les notions de perception de justice, injustice, privilège ou dû, voici quelques notions de bases (rassurez-vous, je ne vais pas vous infliger de notions de neuro extrêmes). Afin que vous ne soyez pas déçus, je ne vais pas vous dire non plus qu'il existe des valeurs morales que la neurologie saurait expliquer. Le neurologie c'est des neurones, pas de la philo.


Bon avec tout ça en tête, voila quelques principes simples.

  1. On ne peut être conscient d'une information que si on la perçoit. Ça peut paraître idiot de le dire, mais vous allez voir que non).
  2. Pour percevoir une information, il faut disposer d'un récepteur adapté (par exemple l'oreille pour le son), soit disposer d'un souvenir d'une situation identique (par exemple, quand ma chérie ne me parle pas et ne me regarde pas, je me souviens que la dernière fois qu'elle a fait ça elle était fâchée, donc j'en déduis qu'elle est fâchée).
  3. Le cerveau est excellent pour classer les événements en deux catégories : nouveau / pas nouveau.
  4. Il est également capable de classer les événements en danger / pas danger, puis (mais uniquement en 3e position), en bénéfice / pas bénéfice.
Avec tout ça on a déjà plein de combinaisons. Par exemple : nouveau / pas dangereux / bénéfice potentiel, ou, déjà vu / dangereux / aucun bénéfice.
Une des fonctions des centres cognitifs qui gèrent les automatismes, c'est de ne faire parvenir à la conscience que les cas importants. Par exemple la combinaison : déjà vu / pas dangereux / aucun bénéfice, n'est en général pas transmise à la conscience. C'est une agnosie physiologique. C'est pour ça que vos gosses ne vous entendent pas quand vous leur dites d'arrêter de jouer pour venir manger. Ce n'est pas nouveau car vous le dites tous les soirs, ce n'est pas dangereux car vous allez le répéter, et il n'y a aucun bénéfice parce que le jeu est bien plus important pour eux.

J'ai beaucoup simplifié pour rester clair. Maintenant ajoutons un peu de complexité avec ce qu'on va appeler la surcouche culturelle. Au sens neurologique du terme, la surcouche culturelle (ou vernis social) est l'ensemble de règles que vous avez découvert tout seul et qui vous permettent de survivre en société. Par exemple mentir c'est mal ok, mais en pratique, quand petit vous disiez toute la vérité, vous preniez des baffes. Donc vous avez appris tout seul à louvoyer avec le réel. Si vous êtes de culture occidentale, vous avez également découvert que quelque soit votre opinion morale sur l'argent, en pratique, en avoir, vous permet d'avoir plus de moyens pour assurer votre survie que de ne pas en avoir. Là encore on parle bien de neurologie, c'est à dire de la quantification d'un bénéfice et d'un risque, et pas de philo ou de sociologie.

Avec cette nouvelle notion, et celle qu'on a vu précédemment, vous arrivez à quelque chose que vous pouvez prouver avec des tests simples.
Vous tous (on verra les exceptions après) êtes bien plus conscients d'une perte que d'un gain. Prenons un exemple très simple qui marche aussi avec des enfants : Si je vous donne un biscuit entier puis je vous retire 1/4 (il vous en reste 3/4), vous aurez l'impression que je vous spolie. Par contre, si je vous donne uniquement des 1/2 biscuits et que de temps en temps je vous rajoute 1/4, vous percevrez ça comme de la générosité. 
Revenons à l'actualité de février 2017. Il existe une agnosie qui nous atteint tous concernant notre bien-être et nos moyens. Si. Si par exemple je vous donne 1000 euros tous les mois pour me donner la date du jour, au début vous serez contents (nouveau, pas dangereux, bénéfice). Après quelques mois, ou pire, des années, votre cerveau va modifier cette perception en pas nouveau, pas dangereux, bénéfice (c'est la définition de "situation normale"). Si après disons deux ans, je vous retire 100 euros (il vous en reste 900), votre cerveau va de nouveau modifier sa perception en nouveau / dangereux (pertes de moyens) / pas de bénéfice. Ceci va vous provoquer une sensation d'incompréhension, de trahison et de danger (ça se voit aussi chez les macaques si on remplace l'argent par des friandises. Ceci peut d'ailleurs provoquer chez eux une dépression ou l'apparition de maladies auto-immunes !).

Bon si vous avez compris (donc si j'ai été clair), nous avons tous une agnosie partielle ou totale vis à vis de nos bénéfices où privilèges sociaux.

Et là en général j'ai droit aux remarques suivantes : et l'abbé Pierre ? Et les aventuriers de l'extrême ? Et les psychopathes ? Bah oui quoi ! Voilà des cas où des gens sont capables d'agir consciemment contre leur privilèges ou leur acquis.

Alors oui et non. Éliminons tout de suite les psychopathes : par définition, leur jugement est altéré. Ils ne sont pas une variante de la normale et leur décision n'ont pas de cohérence neurologique.
Passons à l'aventurier. Il peut aimer le danger bien plus que son bien-être et aimer les frissons de la perte. C'est vrai. Mais sans s'embarquer dans des explications complexes sur le circuit neuronal de la récompense, le danger peut avoir une valeur positive ou négative selon la quantité de dopamine qui lui est associée. C'est trop long à expliquer, mais se mettre en danger peut procurer un tel bien-être, que votre centre de la prudence (qui n'existe pas en tant que tel, je simplifie), et celui de la préservation (qui n'existe pas plus de façon isolée) peuvent être inhibés. C'est la cas typique du motard qui roule à 180 km/h sans casque.
Dernier cas, l'abbé Pierre, et de façon générale toutes les personnes désintéressées qui...s’intéressent aux autres plus qu'à elle-mêmes. Et là pas de bol, je ne vais pas tendre des perches aux trolls. Disons simplement que neurologiquement elle ne sont pas du tout désintéressées. C'est plutôt que LEUR façon de SE faire plaisir est, par un heureux hasard, gratifié par la société dans laquelle ils vivent. Il n'y a rien de cynique là dedans : que votre comportement soit qualifié de saint ou démoniaque n'est pas neurologique. Les neurones n'ont pas de morale, ce ne sont que des cellules connectées les unes aux autres qui ont des besoins, et la capacité d'élaborer des stratégies pour les satisfaire.

Donc même si ça peut paraître choquant, on peut prouver que quelqu'un qui a un privilège socialement indu, peut en toute bonne foi, ne pas percevoir l'anomalie de sa situation, et s'effrayer de sa perte injuste (pour lui).

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Mécanismes de cognition