>>> si vous ne savez pas comment explorer le blog, essayez cet index

3.1.17

un peu de dégénérescence

cet article est la version tout-en-un d'un flood publié sur Twitter le 21/12/2016




Un peu de science fondamentale ? Allez, dites oui ! J'ai un trou dans mon planning d'EEG. Non ? Tant pis, j'en cause quand même. N'ayez pas peur, ça commence par des notions un poil obscures mais ça devrait vous paraître clair vers le milieu du texte même si vous ne comprenez rien à la neurologie.

Quand on tente d'expliquer les maladies neuro-dégénératives au sens large aux non neurologues (et même à eux en fait), une des remarques qui revient le plus souvent est : "...comment peut-on retrouver la même lésion cellulaire dans des maladies qui n'ont cliniquement pas beaucoup de points communs ? Et comment une paralysie supra nucléaire progressive (PSP), qui donne un syndrome extra-pyramidal, des atteintes du tronc cérébrale et une dysautonomie (sans parler des troubles cognitifs), peut-elle avoir des lésions plus proches de la maladie d'Alzheimer que de la maladie de Parkinson, alors qu'il y'a très peu de troubles mnésiques au début de la PSP et que le syndrome parkinsonien est au premier plan ?"
L'autre question qui revient souvent est : "Commet se fait-il que tous les neurones présentent à un moment donné des signes de dégénérescence alors que cliniquement seules quelques fonctions semblent atteintes (exemple typique de la maladie d’Alzheimer) ?"
Et avec nos collègues gériatres s'ajoute une troisième question :"pourquoi la plupart des neurologues se moquent des anticholinestérasiques dans la maladie d'Alzheimer tout en continuant d'en prescrire dans la maladie de Parkinson ?"





Alors pour répondre à ces questions fascinantes (si si vous allez voir), il faut se rappeler que pendant pas mal de temps on se contentait de dire que le mécanisme qui entraînait la dégénérescence des neurones n'était pas le même dans ces différentes pathologies. Dans la maladie de Parkinson il y'a une accumulation anormale de synucleine (ainsi que dans les atrophies multi-systématisées). Dans la maladie d'Alzheimer il y a une accumulation anormale de protéine Tau (ainsi que dans la paralysie supra nucléaire progressive et la dégénérescence cortico basale). Oubliez ces noms, ce qui compte ici c'est que ces pathologies ne se définissent pas par la clinique (désolé pour les externes qui apprennent la neuro) mais par le type de protéine anormalement accumulée.

Mais ce constat n'explique pas comment le même phénomène donne des tableaux cliniques si différents et qui se recoupent avec les tableaux cliniques liés à l'accumulation d'autres protéines (c'est normalement la phrase la plus floue de ce texte).

Alors pour simplifier tout ça (et pour commencer à vous expliquer pourquoi c'est important), on va changer de paradigme (j'adore cette expression).

Prenons l'infectiologie. Vous pouvez avoir des pneumopathies infectieuses et des infections urinaires. La clinique est, selon les dire des médecins qui s'occupent des problèmes infranasaux, très différente entre les deux. Il n'y a par exemple pas de toux dans la cystite :-).

Mais la clinique (infection urinaire ou pneumopathie) ne vous guide pas sur le fait que l'infection soit à Streptocoque ou à Candida (c'est un exemple qui se veut caricatural, pas la peine de venir m'expliquer que le Candida est rare). Donc deux germes différents, qui se traitent différemment peuvent donner des tableaux distincts (urinaire ou pulmonaires) mais qui se recoupent (les deux germes peuvent donner la même clinique urinaire ou pulmonaire).

Dans les maladies neurodégénératives c'est pareil ! Les tauopahties et les synucleinotpathies sont deux mécanismes distincts pouvant donner des maladies distinctes mais qui se recoupent dans leur présentation clinique.

Mais l'analogie avec l'infectiologie va beaucoup plus loin. Bien bien bien plus loin. Les protéines Tau par exemple, se comportent comme des protéines Prions. C'est à dire qu'elles peuvent adopter plusieurs conformations spatiales. Ces conformations (appelée paradoxalement "souches" ou "strains" en anglais) peuvent être pathologiques ou non. On distingue au moins 18 variantes de conformations des protéines Tau, et chacune de ces souches peut "contaminer" les cellules voisines et modifier la conformation des souches saines en souches pathologiques. Et là où ça devient encore plus bizarre, c'est que selon l'endroit où vous inoculez une souche pathologique, son développement, et donc ses conséquences cliniques seront différentes.

Reprenons pour simplifier :

  • Si dans votre cerveau des protéines Tau normales adoptent une conformation pathologique, elles vont induire la même modification de conformation sur les protéines Tau des neurones adjacents. Les mécanismes à l'oeuvre imitent une inoculation puis une infection virale mais sans virus.
  • Si le phénomène débute dans vos régions temporales internes, vous allez cliniquement présenter à terme une maladie que l'on va nommer maladie d'Alzheimer.
  • Si le même phénomène se produit dans la partie haute du tronc cérébral et le mésencéphale, vous allez avoir une maladie que l'on va nommer paralysie supra nucléaire progressive.

Plus le temps passe et plus le phénomène va, par contiguïté ou par propagation le long des grands circuits neuronaux, atteindre tout le cerveau. C'est la raison pour laquelle lors d'une maladie neurodégénérative quelle que soit le tableau (et donc le nom) initial, à la fin, tout le cerveau dégénère et les patients ont cliniquement une apraxie / agnosie / amnésie / aphasie / dysautonomie etc....

Reste la question des anticholinestérasiques. Ils sont inutiles dans la maladie d'Alzheimer parce que leur cible, les neurones cholinérgiques antérieurs (je simplifie à coups de hache) sont détruits très précocement dans la maladie. Par contre dans une maladie de Parkinson, ils ne sont détruits que tardivement, ce qui laisse quelques mois pendant lesquels on a un effet thérapeutique (modeste).

En conclusion, les maladies neurodégénératives ont une clinique très variée qui n'a rien à voir avec le mécanisme physiopathologique. Ce mécanisme causal est une accumulation de protéines à la conformation anormale qui évolue sur un mode infectieux. Selon le lieux où débute la pathologie, la clinique donne une maladie particulière (analogie avec la pneumopathie et la cystite). Cependant, en l'absence de traitement, l'évolution est toujours la même : dans une maladie neurodégénérative tout le cerveau dégénère.
Les deux principales protéines sont la Tau et l'alpha synucleine, mais si le sujet vous intéresse, vous avez aussi la protéine bêta amyloïde (qui donne des formes d’Alzheimer), la TDP-43 (qui donne des démences fronto-temporales et des SLA), la Huntingtine qui donne des maladies de Huntington et la protéine Prion qui donne des maladies de Creutzfeldt-Jakob. Et chacune de ces protéines peut avoir plusieurs souches, chacune responsable de formes cliniques différentes.

Et donc arrivera (peut-être) un jour où on ne dira plus :"Madame X a une maladie d'Alzheimer", mais :" Madame X a une Tauopathie v14 qui lui provoque une démence mnésique qui se soigne par tel anticorps monoclonal ou autre produit anti Tau v14