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18.1.17

Intolérance à l'effort



Sous ses airs lisses, son sourire à peine esquissé et ses propos ternes, Jean Raoul a une imagination riche, quoique confuse. Là par exemple il se rêve en Légionnaire romain dans le froid et la neige Calédonienne ou en Stormtrooper envahissant Hoth. Cette image de Stormtrooper légionnaire antique lui vient spontanément à l'esprit à chacun de ses voyages. Il s'est ainsi déjà imaginé être dans les marécages rhénans comme sur Dagobah, ou encore dans le désert de l’Atlas comme sur Jakku. Le point commun à ces rêvasseries est la confrontation d'un homme armé de sa seule endurance physiologique, ou au contraire avec l'aide d'un exosquelette, à un milieu naturel hostile. Si les pensées de Jean Raoul vous semblent étranges, c'est qu'il vous manque une partie de l'histoire. Depuis tout petit, Jean Raoul est mauvais en sport. Si vous l'interrogez il le revendique en vous disant qu’il n’aime pas la compétition et que ses profs étaient nuls, mais lui, les rares fois où il y pense, il sait que c'est faux. Il n’a rien contre le sport, il aime voyager et aimerait pouvoir randonner, il aimerait aussi faire partie d'un club sportif car c'est un garçon social, mais malgré tous ses efforts, il n'est pas fait pour ça. Depuis les cours de gym de l'école jusqu'à maintenant, et malgré plusieurs tentatives, il n'a jamais réussi à passer au-delà de la fatigabilité qu'on ressent lorsqu'on on commence à s'entraîner. Que l'effort soit brusque comme lors d'un sprint ou lors d'une partie de badminton, ou plus doux comme à vélo ou en randonnée, il a vite des crampes et ne trouve jamais le fameux second souffle. Cette inaptitude lui pèse d'autant plus que l'image de type qui ne veut jamais rien faire lui colle à la peau. Alors pour compenser, il rêve.
Et puis un jour, en perdant (comme vous en ce moment) son temps sur internet, il tombe par hasard sur un article intitulé : Intolérance à l'effort ? Et si vous étiez malade ! Un peu surpris, notre héros s'interroge : se pourrait-il que son inaptitude ne soit pas le fruit du hasard ? Alors il décide de consulter et… le voilà devant vous !


Et vous, vous allez le découvrir, vous risquez d'être bien embêtés parce que les causes médicales sont juste assez rares pour que vous ne soyez que rarement confrontées à elles, mais pas assez pour que vous puissiez les ignorer.

Mais avant de se plonger dans le monde fascinant de l'intolérance à l'effort, commençons par déblayer tout ce qui n'en est pas. Par intolérance à l'effort on parle d'une difficulté plus ou moins marquée à maintenir un effort musculaire sans aucune autre pathologie d'organe non musculaire. Ceci élimine d'emblée le problèmes respiratoires, cardiaques, vasculaires, rhumatismaux, l'hypothyroïdie, ou encore la simple dyspnée d'effort du sujet non entrainé. L'intolérance à l'effort ne correspond qu'au phénomène de douleur musculaire (myalgie) d'effort.

Autre point important : le champ de compétence. Si vous vous dites que les muscles c'est pas votre truc parce que vous ne les avez jamais réellement réappris depuis les cours d'anatomie, ou si vous vous dites que les muscles, à part leur taper dessus on ne peut rien en faire et que la clinique ne sert pas à grand-chose…et bien sachez que je suis d'accord. Non seulement je suis d'accord, mais la plupart des neurologues le sont également. La myologie est en théorie une sur spécialité neurologique puisque les muscles s'explorent avec un ENMG, mais en pratique, c'est une sur-sur-spécialité qui ne concerne qu'une partie du groupe déjà fort restreint des neurologues qui font du périphérique (ou encore les cinglés de la cave comme on les appelle couramment). En pratique cela veut dire que les examens de premières intentions, y compris ceux avec des noms exotiques, sont à faire au cours d'une consultation normale, et qu'en cas de doute, c'est directement dans un centre expert qu'il faut adresser votre patient.

Une fois qu'on a dit tout ça, il y a trois grandes causes possibles. La plus fréquente est un diagnostic d'élimination que l'on nomme pudiquement "syndrome d'inadaptation à l'exercice". On le verra en dernier, mais en gros ça veut dire que si vous faites n'importe quoi avec votre corps, il vous le rend bien. Les deux autres causes sont musculaires : soit vous avez des fibres musculaires normales qui fonctionnent mal parce que vous ne leur apportez pas l'énergie nécessaire, soit vous avez des fibres anormales.
  • Dans le premier groupe (fibres normales) que l'on nomme parfois "myopathies métaboliques" vous avez soit un problème avec le sucre (c'est les glycogénoses), soit avec le gras (c'est les troubles du métabolisme lipidique), soit avec ce qui est supposé transformer le sucre en énergie, c’est-à-dire les mitochondries (ce sont les mitochondriopathies). 
  • Dans le deuxième groupe (fibres anormales), il y'a là encore de nombreuses causes, regroupées sous le terme de dystrophie ou dystrophinopathies.
A partir de ce point précis de ce texte vous avez deux solutions (pour être honnête trois). Options 1 : vous êtes désœuvré, sans amis, sans console ni PC, et vous n'avez pas accès à Netflix ou au streaming. Dans ce cas lisez la suite, ça va vous occuper. Option 2 : vous êtes quelqu'un de normal avec un boulot et une vie sociale. Dans ce cas passez directement à la dernière partie sur la conduite à tenir en pratique. Option 3 : vous êtes arrivés jusqu'ici pour trouver la recette du gâteau au chocolat sans gluten anti crampes. Pour le coup désolé, retournez sur la page d'accueil de Qwant.

Ok, vous avez donc décidé de tout lire bravo (et désolé pour votre absence de vie sociale). Du coup on va commencer par une histoire. Nous sommes en 1951 à Newcastle. Dans l'hôpital de la ville, travaille un pédiatre qui se nomme Brian Mc Ardle. Il a quarante ans et il lui reste cinquante et un ans à vivre avant qu'une maladie de Parkinson ne finisse par l'avoir. Et en 1951 il publie une observation à propos d'un cas qui va révolutionner des pans entiers de la médecine (en 1951 on pouvait faire de la recherche purement clinique). Le cas que Mc Ardle décrit est tout simple : Un patient présente des crampes douloureuses des avant-bras après un exercice anaérobie. Les muscles contractés n'ont pas d'activité électrique en ENMG ce qui témoigné d'une impossibilité de relaxation. Chez ce patient, la quantité d'oxygène consommée lors de l'effort et la ventilation sont normaux au repos, mais anormalement élevées à l'effort. Et dans les prélèvements sanguins, la quantité de lactate et de pyruvate (produits de dégradation du métabolisme glucidique) n'est pas augmentée après effort. Il constate aussi que l'administration d'adrénaline augmente bien la quantité de glucose sanguin, et que le sang lysé de son patient contient bien des lactates. Au total il constate que ce patient a un métabolisme glucidique a priori fonctionnel, mais qu'à l'effort, ses muscles semblent incapables de métaboliser le glucose ce qui provoque une contracture douloureuse. Bon bref, son patient n'est pas cinglé (diagnostique retenu jusque-là), mais présente un problème métabolique. Sans le savoir, Mc Ardle vient de découvrir la maladie de… Mc Ardle, moins connue sous son nom officiel de GLYCOGEN STORAGE DISEASE type V ou GSD-V ou encore myophosphorylase deficiency.

A ce moment tout aussi précis que précédemment de la lecture de ce texte, je sens que certains ont comme une vague sensation de malaise. En lisant GSD-V, vois vous dites : "…ah ! Qui dit V dit au moins qu'il existe un type I, II, III et IV voir plus…" Et dans la seconde qui suit, vous vous dites que tout compte fait, vous avez beau ne pas avoir de vie sociale, vous n'êtes cependant pas assez fort mentalement pour tout vous taper des centaines de lignes de description minutieuse d'entités cliniques rarissimes. Et vous avez raison. Vous avez raison parce qu'il existe à peu près autant de formes différentes de GSD que de type d'enzymes impliquées dans le métabolisme glucidique musculaire, vous avez également raison parce que la plupart de ces entités cliniques sont absurdement rares, mais vous avez tort si vous pensez que je vais toutes vous les détailler : ça n'a absolument aucune forme d'intérêt.

En fait, parmi le zillion de maladies globalement désignées comme des glycogénoses musculaires non lysosomale, on distingue deux grands groupes :
  • Celles avec une faiblesse musculaire permanente (les GDS III, la GSD IV (ceci est une parenthèse dans la parenthèse pour vous dire que la forme IV a plusieurs variantes dont une qui mime la SLA -  fin de la parenthèse) et la maladie de Lafora, ce truc dont personne ne sait ce que c'est parce que c'est toujours cité sans aucun détail dans les cours d'épilepto et qui en fait est une forme d'épilepsie myoclonique). Ces formes ne sont pas le sujet de ce texte.
  • Et celles avec une faiblesse musculaire et des crampes lors de l'exercice. Dans ce groupe, la plupart sont trop rares pour mériter qu'on en parle : la GSD VII (ou maladie de Tarui) touche 100 patient et la GSD VIII en touche 15 dans…le monde. C'est peu mais c'est sept fois plus que la GSD XII qui à ce jour a touché 2 sujet dans le monde et elle-même est deux fois plus fréquente que la GSD XIII avec un seul cas décrit…). Bon bref, si vous avez un patient qui est atteint d'une de ces pathologies il peut raisonnablement penser que la nature lui en veut à lui personnellement.
  • Il ne reste donc plus que la GSD-V (maladie de Mc Ardle). Son incidence est très vaguement estimée à 1 cas pour 100 000 (d'après une seule étude réalisée dans la région de Houston…) ce qui voudrait dire (si la transposition a une quelconque valeur) qu’il y a 670 cas en France. Là encore, si un patient se présente à vous et qu'il a cette pathologie, vous faites partie d'une minorité groupusculaire qui pourra dire :"j'en ai vu une". Mais c'est dommage de passer à côté parce que la clinique est assez évocatrice : les patients se plaignent de douleurs musculaires et de raideurs pour des efforts modérés isométriques. Ils peuvent par exemple marcher longtemps (et donc faire de longues randonnées à plat), mais être très gênés lorsqu'ils grimpent une pente ou soulèvent des objets lourds. L'autre point clinique particulier, c'est qu'une fois que la douleur débute, s'ils se reposent ne serait-ce qu'un peu, ils sont par la suite capables de poursuivre l'effort jusqu'au bout. Par contre, s'ils insistent d'emblée, les douleurs deviennent rapidement insupportables (et durent plusieurs heures) et les muscles se tétanisent, avec dans la moitié des cas l'apparition d'une myoglobinurie. En 2017 il n'y a pas de traitement spécifique, mais l'absorption de sucre juste avant l'effort et la prise de vitamine B6 leur rend pas mal service. 
On vient de terminer comme ça brutalement sans prévenir la partie concernant les glycogénoses. Il reste dans le groupe des pathologies musculaires, les désordres liés au métabolisme des lipides et les mitochondriopathies. Vous allez voir, ça va aller tout aussi vite.
Pour ce qui concerne les désordres liés au métabolisme des lipides, les seules (parmi là encore plusieurs centaines) causes qui peuvent donner une intolérance à l'effort sont le déficit en CPT (carntine palmitoyltransférase ) II, maladie génétique touchant 300 patients dans l'univers connu, et surtout le déficit en VLCAD (Very long-chain acyl-CoA dehydrogenase) qui touche 1 personne sur 50 000 (en Allemagne). C'est une maladie du métabolisme lipidique et une mitochondriopathie qui se traduit non seulement par des myalgies, une raideur musculaire et une myoglobinurie d'effort, mais aussi par une myoglobinurie lors du jeûne, de l'exposition au chaud, au froid et lors des infections virales. C'est une entité à connaitre parce qu'un épisode aigu non traité peut provoquer une insuffisance rénale aigue assez définitive, alors que le traitement est simple : il suffit d'éviter le jeûne et d'indiquer au patient qu'il doit toujours avoir avec lui un en-cas (j'aime bien ce mot) riche en VLCAD (ça c'est le job des diététicienne). Attention, si par hasard dans un accès dépressif aigu vous faites une recherche sur internet sur les VLCADD, vous avez toutes les chances de tomber sur les formes infantiles, bien plus graves (et bien plus rares) qui donnent des tableaux cliniques très différents et ne sont pas l'objet de ce topo.

Pour ce qui concerne les mitochondriopathies, c'est plus compliqué. C'est plus compliqué, parce que contrairement à tout ce qu'on vient de voir, ce sont des pathologies TRES fréquentes. Vous les connaissez principalement sous un autre terme : MELAS (Mitochondrial encephalomyopathy, lactic acidosis, and stroke-like episodes). La fréquence des MELAS est estimée à environ 1 pour 400 chez les caucasiens. En France ce nombre est estimé (au doigt très mouillé) à 150 000 personnes ce qui n'est pas rien. Et là vous vous dites qu'avec une telle prévalence, c'est quand même bizarre de ne pas en voir partout. En fait on les voit sans les voir. Le problème du MELAS c'est que sa présentation clinique est très polymorphe. : 10% des patients ont une atteinte musculaires, un diabète, une surdité et des AVC à un âge jeune qui finissent par provoquer une démence, 30% ont un diabète et une surdité, 6% ont une surdité isolée et 6% une ophtalmoplégie progressive isolée. Dans le cadre de ce topo, c’est-à-dire une intolérance à l'effort isolée, tous les signes de MELAS sont à rechercher chez le patient et sa famille. C'est important de le dépister parce que ça se traite (pas complétement mais il y a des choses à faire avant que les patients n'aient des séquelles définitives. Je ne vous détaille pas ces traitements, ils sont du ressort de spécialistes). Le dépistage (pas le diagnostic) se fait avec une simple prise de sang : chez les patients atteints, le taux de lactate et de pyruvate est augmenté au repos, et explose après un effort même modéré. Le diagnostic de certitude se fait sur un prélèvement urinaire avec une recherche de mutation mitochondriale dans les cellules urothéliales.

Avec le MELAS on vient de voir le peu de choses utiles à savoir sur les mitochondriopathies.

Si vous vous souvenez du début de ce texte, j'ai écrit (ce qui suit est un copié/collé) :
  • Dans le premier groupe (fibres normales) que l'on nomme parfois "myopathies métaboliques" vous avez soit un problème avec le sucre (c'est les glycogénoses), soit avec le gras (c'est les troubles du métabolisme lipidique), soit avec ce qui est supposé transformé le sucre en énergie, c’est-à-dire les mitochondries (ce sont les mitochondriopathies). 
  • Dans le deuxième groupe (fibres anormales), il y'a là encore de nombreuses causes, regroupées sous le terme de dystrophie ou dystrophinopathie.
Et donc il y' a encore un dernier chapitre de culture générale à aborder : les dystrophies. Des dystrophies des fibres musculaires il y'en a des tonnes (vous connaissez au moins par leur nom propre celles de Duchenne, de Becker, et peut-être celle dite des ceintures ou LGMD. Si vous avez eu des cours fait par des internistes, il se peut même que vous ayez entendu parler des PROMM (ou Maladie de Ricker ou dystrophie myotonique de type 2) qui ressemble énormément au MELAS, avec un risque de cataracte en plus et un risque d'AVC en moins. Ces pathologies ne sont pas rares (1/10 000 pour le Becker et le PROMM), mais leur présentation initiale par une intolérance isolée à l'effort est très très rare.

Ceci clos la partie de culture générale.

-> C'EST DONC ICI QUE CEUX QUI N'ONT PAS VOULU APPRENDRE TOUTE LES CHOSES FASCINANTES QUI PRECEDENT PEUVENT REPRENDRE LEUR LECTURE.

On en arrive au point : CAT en pratique.

Comme je l'ai dit, le plus important est de ne pas passer à côté de pathologies pas si rares que ça (1/400 ce n'est pas rare), qui sont graves et traitable (j'ai pas dit curables). L'autre point important, c'est de rappeler que même si les neurologues sont en théorie les experts de ces troubles, très peu d'entre nous sommes formés à ces diagnostics et notre plus-value par rapport à n'importe quel autre médecin est quasi nulle en dehors de ceux qui bossent dans un centre expert. De ces deux points il découle qu'en cas de consultation pour intolérance à l'effort, la CAT est très simple.

1. S’assurer à l'interrogatoire qu'il n'y a pas d'autre symptômes personnels ou familiaux (en insistant sur les signes de MELAS et sur la myoglobinurie).

2. Faire doser les lactates, les pyruvates et les CPK avant et après effort (monter et descendre un étage cinq fois est un exercice en général suffisant).

3. Faire faire un ECBU après l'effort.

4. En cas d'anomalie biologique ou de doute clinique persistant, adresser le patient à un centre de référence de maladies musculaires au minimum un par région (je n’ai pas dit par CHU)).



Et si tout est négatif (ce qui est le cas le plus fréquent), il ne vous reste plus qu'à rassurer Jean Raoul et l'adresser à une salle de sport pour recommencer à faire du sport progressivement et non pas comme un gros bourrin. C'est l'absence de progressivité qui es responsable de 80% des cas d'échec de reprise de l'activité sportive (chiffre du service de médecine du sport du CHU dont je n'ai pas trouvé la source).

Comme vous l'avez sans doute remarqué, je n'ai pas cité de biblio pour cet article. C’est mal parce que certains chiffres sont assez précis. La raison est simple, j'ai joyeusement pioché ces infos dans toute une série d'articles de revues de la littérature publié sur MedLink neurology. C'est une base de données neurologique qui ressemble pour ceux qui connaissent à UpToDate mais uniquement neuro. Leur site est là http://www.medlink.com/ mais il faut un abonnement pur y accéder. Une bibliothèque universitaire est donc un plus.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Le système nerveux périphérique