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8.9.15

P.R.E.S.



Depuis toujours en médecine il y a des effets de mode. C'est pratique les effets de mode parce que ça permet de ressortir des vieux trucs oubliés au fond d'un placard pour susciter la convoitise des plus jeunes. Le P.R.E.S. (posterior reversible encephalopathy syndrome) c'est pareil. C'est un vieux truc à moitié oublié dont seuls quelques gyneco-obstétriciens se souvenaient sous sa forme des crise d'éclampsie (***) et qui revient sur le devant de la scène pour (presque) faire la une de l'équivalent scientifique et neurologique de ELLE : le Lancet Neurology volume 14 de septembre 2015 page 914.

DE QUOI PARLE-T-ON ?


Tout est dit dans l'intitulé : c'est une encéphalopathie (une atteinte de l'encéphale sous la forme d'un œdème sous cortical d'origine vasogénique), postérieure (au sens anatomique du terme, c’est-à-dire les régions parieto-occipitales bilatérales), réversible (oui mais pas tant que ça), non spécifique parce que ce syndrome a des étiologies multiples.

Dans tous les cas, le mécanisme est secondaire à une lésion de l'endothélium vasculaire en raison d'une variation hors norme de la pression sanguine ou sous l'action de cytokines ciblant les cellules endothéliales. Ces lésions conduisent à une perte de continuité de la barrière hémato-encéphalique et l'apparition d'un œdème.


QUAND FAUT-Il Y PENSER

Devant l'association d'intensité variable de céphalées, de troubles cognitifs, de troubles visuels et de crises comitiales chez un patient insuffisant rénal et/ou avec une forte variabilité tensionnelle et/ou prenant des molécules (légales ou non) cytotoxiques et/ou ayant des troubles auto-immuns et/ou ayant un contexte d'éclampsie.

Si vous voulez plus de stats vous avez :
  • Des signes d'encéphalopathie (confusion et roubles cognitifs) dans 50 à 80% des cas 
  • Des crises comitiales dans 60 à 75% des cas avec de veritables états de mal dans 5 à 15ù des cas 
  • Des céphalées dans 50% des cas 
  • Des troubles visuels dans 33% des 
  • Des déficits neurologiques focaux dans 10 à 15% des cas 
En raisons des multiples étiologies et manifestations cliniques, ce syndrome concerne ceux qui l'ont toujours connu comme les neurologues et les gynécologues, ceux qui l'ont un peu oublié comme les néphrologues et les réanimateurs, ceux qui le redécouvrent comme les hématologue ou les oncologues, les interniste, les radiologues et les transplanteurs, et ceux qui le découvre tout court parce que non enseigné hors des D.E.S. d'organe comme les généralistes ou les urgentistes, à qui on reproche par ailleurs de na pas y avoir pensé et d'avoir retardé le traitement. Pour tous ceux-là vous allez voir que c'est pas si compliqué de le prendre en charge même si on ne comprend pas tout, et que de toute façon en 1843 on reussissait à le soigner en faisant n’importe quoi et en le comprenant encore moins.

COMMENT LE CONFIRMER ?

On peut pas.

MAIS ENCORE ?

On ne peut pas parce que ni les antécédents, ni l'anamnèse, ni la clinique ne sont spécifiques. L'IRM montre en général un aspect œdémateux : Hyper T2, Hyper Flair, Diffusion normale, ADC normal, sans prise de contraste, bilatéral, des régions postérieures, mais on peut voir des lésions antérieures, ou diffuses, ou unilatérales, ou avec une diminution de l'ADC (15-30% des cas), ou avec une prise de contraste (20% des cas), ou avec des hémorragies associées (15-20% des cas). Bref, le tableau radiologique typique ne l'est pas.

Du coup il faut éliminer (et rapidement en plus) les diagnostiques différentiels comme :
  • Les encéphalites infectieuses (hyperlymphocytose à la PL, culture et PCR positives dans le LCR, fièvre, hyperleucocytose périphérique). 
  • Les encéphalites paranéoplasiques (contexte de malignité, début progressif, perte de poids récente, cellules anormales dans le LCR, anticorps anti neuronaux). 
  • Vascularite (début progressif, LCR hyperlymphocytaire). 
  • LEMP (contexte d'immunodépression, début progressif). 
  • Myélinolyse (contexte de variation osmotique récente, atteinte préférentielle centro-pontine). 
  • ADEM (acute demlination encephalomyelitis) (sujet jeune, infection virale ou bactérienne récente, fièvre) 
  • Leucoencephalopathie toxique (utilisation de drogues illicites, toxiques positifs dans le sang, progression lente sur plusieurs semaine) 
Alors pour ceux qui, chafouins, se disent : "… hmmm, voyons, c'est rare, ça ne ressemble pas forcément à grand-chose, je ne suis même pas sûr d'avoir déjà entendu parler des diagnostics différentiels, donc je vais m'empresser d'oublier d'avoir lu le début de ce texte et retourner voir ailleurs si j'y suis…" je vous réponds : ça serait pas sympa pour vos patients parce que le traitement est simple et que sans votre aide rapide ils risquent de garder des séquelles graves.

COMMENT (ET QUAND) LE TRAITER ?

Comprenons-nous bien : le traitement étiologique peut être compliqué et relève de la surspécialité. Mais le traitement symptomatique est simple : vous devez faire baisser la pression artérielle de 25% dans la première heure, ni plus vite (risque d'AVC), ni moins vite (risque de séquelles).

Donc devant tout tableau associant une confusion avec un déficit neurologique, des troubles visuels des céphalées et une grosse hypertension sans argument pour un AVC (déficit moteur ou sensitif systématisé brutal et constant…) vous devez proposer ce traitement.

ET EN L'ABSENCE DE TRAITEMENT IL SE PASSE QUOI ?

Restons optimistes. Si vous traitez les gens, 75 à 90% vont récupérer en 8 à 10 jours. Sinon :
  • 3 à 6% décèdent dans les 3 mois. 
  • 10 à 20% conservent des séquelles visuelles ou cognitives. 
  • 15 % deviennent épileptiques. 

BONUS POUR FRIMER EN SOCIÉTÉ

* Physiologie de la circulation cérébrale. Le cerveau et ses annexes immédiates ont un nombre impressionnant de privilèges. Privilège nutritionnel et respiratoire car il consomme prioritairement ce dont il a besoin, quitte à lyser d'autres organes nobles en cas de situation extrême, privilège immun car il possède un système immunitaire asservi, privilège mécanique car il dispose d'une protection osseuse plus importante que n'importe quel autre organe avec un squelette externe (le crâne) et, pour ce qui nous intéresse ici un privilège tensionnel. Entre 50 et 150 mmHg de pression artérielle périphérique, le flux sanguin à l'intérieur des vaisseaux cérébraux (et ça commence dès la portion haute du cou avec les carotides internes) est constant. Cette régulation se fait par l'intermédiaire des muscles lisses qui vaso-modulent le diamètre vasculaire selon un mécanisme complexe où le neurone ((individuellement) exprime son état de satisfaction ou d'insatisfaction à son astrocyte qui prend des mesures correctives immédiate en modulant noyant la cellule endothéliale sous pas moins de quatre substances pro-dilatatrices et trois substance pro-constrictrices.

** Physiopathologie. L'avantage de ces syndromes complexes qui se manifestent par des symptômes complexes secondaires à des modifications chimico-phisio-anatomico-…complexes, c'est que si vous êtes physiologiste, vous pouvez avec votre ennemi héréditaire, le physiologiste du CHU d'à côté, vous combattre à coup de powerpoint avec des acronymes ésotériques sans que personne dans l'assistance ne vienne vous interrompre car de toute façon personne n'écoute. Selon que vous pensez que c'est l'hypertension qui est responsable du phénomène pathologique, ou que l'hypertension n'est que la conséquence, vous pourrez dire que :
  • Les études montrent que 50% des patients avec un PRES ont un antécédent d'auto-immunité dont les lupus, l'hypothyroïdie, la sclérodermie, la maladie de Crohn, les rectocolites hémorragiques, la cholangite sclérosant primitive, la polyarthrite rhumatoïde, le syndrome de Sjögren, et la neuromyélite optique dite de Devic. 
  • Que les immunosuppresseurs utilisé en post greffe déclenchent des PRES quasi spontanés. C'est là qu'il faut citer comme si cela allait de soi la CYCLOSPORINE, le TACROLIMUS (mais pas le SIROLIMUS), et les anti-VGEF comme le BEVACIZUMAB, le SUNITINIB ou le SORAFENIB. 
  • Et si vous êtes mal à l'aise avec des données d'articles que vous n'avez pas lu et dont il est exclu que vous vous donniez la peine de lire dont la mesure où vous, vous avez une vie sociale, vous pouvez rétorquer que dans la vie réelle, 80% des PRES surviennent chez des hypertendus classiques dont 50% chez ceux dont la TA de base est supérieure à 150 mmHg. Ça doit donc jouer un petit rôle malgré tout. 
*** L'éclampsie et le PRES ont des rapports confus dans la mesure où se sont de syndromes parfois associés parfois distincts selon les auteurs. L'éclampsie en tant que telle et la pré-éclampsie ont des critères diagnostiques définis depuis 2002 dans cet article : ACOG Committee on Practice Bulletins--Obstetrics. ACOG practice bulletin. Diagnosis and management of preeclampsia and eclampsia. Number 33, January 2002. Obstet Gynecol 2002;99(1):159-67.
  • La pré-éclampsie associe une hypertension artérielle > 140/90 mmHg ou une augmentation de la tension artérielle de plus de 30mmHg de systolique et 15mmHg de diastolique AVEC une protéinurie de plus de 300 mg par 24 heure +/- un HELLP syndrome (hémolyse, cytolyse hépatique, thrombopénie). 
  • La pré-éclampsie sévère c'est pareil en pire… TA supérieur à 160/100 mmHg, protéinurie > 5 g/24H et oligurie < 500ml/24h. 
  • La pré-éclampsie clinique associe ces signes à des céphalées, des troubles visuels, des douleurs abdominales, une créatininémie >1,2 mg/dl, un retard de croissance fœtal et un œdème pulmonaires. 
  • L'éclampsie se définit par les signes précédent et la présence de crises convulsives généralisée et un coma inexpliqué. 
Le PRES typique n'est présent que dans 10% des cas d'éclampsie sévère mais si on s'en tient aux anomalies radiologiques ça peut monter à 50%. La prise en charge est proche, avec comme principale différence, l'utilisation plus rapide du sulfate de magnésium.

**** Il existe des cas historiques dont on ne sait pas si ce sont des éclampsies ou des PRES. En voilà un de 1843 (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale v1843. - 1843, n° 24) : Une femme présente dix jours après son accouchement une céphalée. Le lendemain elle a des troubles phasiques. Le soir elle présente des crises convulsives et devient comateuse. Les médecins qui l'examinent lui administrent immédiatement le seul traitement urgent validé de l'époque : une saignée ! Elle se réveille mais est hémiplégique et hémi-anesthésiée à gauche. Deuxième saignée ! Amélioration de la parésie de la jambe. Puis saignées trois à sept. Elle reste hémi-parétique avec une hémiparésie et une paralysie faciale gauche. Trois semaines plus tard elle est quasi asymptomatique. Les médecins de l'époque ne comprennent pas réellement ce qu'ils ont fait. En fait, par leur saignées itératives (Sept !) ils ont provoqué une hypovolémie et une hypotension. C'est radical mais c'est antihypertenseur.
http://www2.biusante.parisdescartes.fr/livanc/index.las?p=22&dico=perio&chapitre=eclampsie&do=page


Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Pathologies neurovasculaires


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