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19.8.15

Confusion et démence



Deux entités qui tout le monde confond à tort.





Un grand hôpital, des bâtiments du XIXe siècle un peu délabrés, les bruits de la ville au loin et des froissements d'ailes de pigeon au prés, une odeur de ragoût hospitalier dans l'air…. Pierre et Maryse discutent dans une pièce.

Pierre est un peu confus. Entre chacune des six thrombolyses qu'il a effectué cette nuit, il a rempli des demandes trajectoires, ce qui, même pour un professeur aguerri aux raffinements d'internet explorer 4 sous Windows 95, reste un défi. Il le dit d'ailleurs à Maryse (qu'il est un peu confus dans sa tête).

Maryse est en forme. Hier soir elle a torturé mentalement une responsable de l'A.R.S. innocent, et elle a appris qu'il avait demandé à être hospitalisé ce matin pour dépression, idée noires et mésestime de soi. Elle sait que c'est mal, mais ne peut s'empêcher de jubiler.
  • Pierre ? 
  • Oui Maryse ? 
  • Je me demande si un jour, l'âge venant, vos capacités cognitives vont décliner ? 
  • Et pourquoi plus moi que vous ? 
  • Parce que vous avez un facteur de risque évident, vous êtes un peu confus ce matin. 
  • Ah…oui…je vois ! Alors sachez Maryse que se sentir confus est une expression, c'est du second degrés, et que d'autre part, confusion et démence n'ont rien à voir. 
  • Je ne vous comprendrai jamais Pierre avec vos histoires de second degrés. Mais sachez que pour ce qui est de distinguer les deux troubles, un article de Lancet neurology d'Aout 2015 volume 14 page 823-832 vous contredit. 
  • Ah ? 
  • Oui ! 



Pourtant Maryse -- laissez-moi vous dessiner un tableau -- les deux sont relativement distinct :

Caractéristiques
Confusion
Démence
Début
Brutal mais avec un commencement parfois discret
Insidieux et progressif

Durée
Heures ou jours, rarement plus
Mois, années
Capacité attentionnelles
Baisse de la concentration, avec des variation importante au cours de la ajournée
Normales sauf dans les formes sévères terminales
Perception de l'environnement
Fluctuante
Conservée
Langage
Incohérent et désorganisé, distractibilité
Généralement conservé mais apparition secondaire d'une anomie et d'une aphasie
Étiologie
Autre pathologie sous-jacente, intoxication ou iatrogénie
Mécanisme dégénératif (par exemple accumulation de plaque beta amyloïde dans la maladie d'Alzheimer
Autres caractéristiques
Hyper et hypoactivité, anomalies du sommeil
Variable selon le type de démence (par exemple fluctuation cogntive et hallucination dans la démence à corps de Lewy).


  • Oui merci Pierre pour ce somptueux tableau, mais je le répète, les fait récents montrent que les choses sont un peu plus compliquées.
  • Racontez-moi ça ?
  • Et bien si on regarde ce qui se passe lors des admissions aux urgences dans les hôpitaux américains, il existe des signes de confusion chez 50% des patients de plus de 65 ans. Il existe une cause évitable de ces troubles pour environ 30 à 40% d'entre eux.
  • Vous m'en direz tant !
  • Oui. En plus si on regarde les facteurs prédisposant à la survenue d'une confisions on retrouve : une démence sous-jacente, un antécédent de confusion, un handicap sensoriel (la cécité ou la surdité par exemple), un handicap fonctionnel, une dépression, des antécédents d'AVC ou d'AIT, l'alcoolisme chronique et l'âge.
  • Mais ce sont exactement les mêmes facteurs de risques que ce les démence !
  • Et oui Pierre. En fait la iatrogénie, la poly médication en drogues sédatives, la présence de troubles urinaires nécessitant un sondage, les anomalies métaboliques(du sodium, de l'urée, de la créatinine, du potassium, du CO2 et des sucres, les infections, l'anesthésie, les traumatismes et le coma) ne sont que des facteurs précipitants. 
  • On ne peut donc pas être sain et confus ?
  • Et médecin rien n'est impossible, mais disons que non. Ou plutôt, la confusion est probablement un marqueur de vulnérabilité à la démence, que ce soit en la révélant, ou en témoignant d'un processus la favorisant.
  • Là je ne vous comprend plus.
  • C'est pourtant simple : Soit vous n'avez rien, vous êtes sain de corps et d'esprit et soudain, pas de chance, il vous arrive un AVC, une hypoxie, des anomalies métaboliques, une iatrogénie, etc.. Dont l'intensité est telle, que cela vous rend confus. Dans ce cas, parce que ce problème vous a rendu confus, cela signifie que ce problème a atteint une intensité qui va favoriser le début d'une démence. L'autre possibilité est que vous ayez déjà une dégénérescence jusque-là compensée, et qu'à l'occasion d'une infection systémique ou d'une réponse exagérée au stress (au sens biologique du terme), votre organisme réponde par une inflammation non spécifique vous rendant confus. Dans ce cas, la confusion marque un tournant dans votre démence qui devient cliniquement manifeste.
  • OK, mais il existe des chiffres pour quantifier ce risque ?
  • Évidemment Pierre, je peux même vous en donner quelques-uns pur marquer votre esprit fatigué et par conséquent perméable à mon discours : un épisode unique de confusion multiplie le risque de démence de 6 à 41 sur un période de 1 à 5 ans. Dans une étude où tous les autres facteurs de risques de démence étaient ajustés, la confusion seule était responsable d'une augmentation du risque relatif de démence de 5,7. Et il y a des études encore plus mauvaises ! 
  • Dites-moi-tout, plus c'est mauvais plus vous aimez donc faites-vous plaisir ! 
  • [regard noir, où plutôt bleu acier qui devient bleu de Prusse] votre humour est déplacé Pierre. Certaines études montrent que chez des patients déjà déments, la survenue d'un épisode de confusion augmente le risque relatif de décès de 5,4, ou encore qu' après une année, la confusion entraîne directement 21% de déclins cognitifs, 15% d'institutionnalisations et 6% de décès. 
  • Et à part trouver ça malheureux ma bonne Maryse, qu'est-ce que ça change ? 
  • [Dans la mesure où c'était bien la première fois que Maryse se voit accoler l'adjectif de bonne, et même si la probabilité que Pierre ait volontairement fait un sous-entendu soit nulle, Maryse hésite à le soulever de terre toit en écrasant sa glotte par la seule force de la pensée. Mais n'ayant pas mis son casque et sa cape noire elle craint de se faire démasquer]. Et bien Pierre, si vous aviez suivi ce que je viens de vous dire vous auriez déjà compris. J'ai commencé par vous dire que 30 à 40% des cas de confusion étaient évitables chez les sujets de plus de 65 ans. Je vous ai aussi dit que la survenue d'un épisode confusionnel multipliait par 5 le risque de démence et enfin, que la survenue d'une confusion provoquait 6% de décès à un an. Lutter contre la confusion est donc l'affaire de tous. 
  • C'est magnifique Maryse de vous voir vouloir protéger les innocents, mais en pratique vous allez faire quoi de plus que rappeler les conseils habituels sur la prévention de la iatrogénie, la prévention des maladies systémiques (comme si on faisait exprès de les attraper) ou encore le dépistage précoce des démences (comme si on avait un traitement à proposer ) ? 
  • Ne soyez pas cynique Pierre. Je vais vous surprendre mais il existe aussi une prévention environnementale de la confusion chez les sujets à risque assez peu utilisée en France. 
  • Mais encore ? 
  • Et bien par exemple : 
  • Utiliser systématiquement des piluliers lorsque un traitement comporte des BZD, des NLP ou des antidépresseurs. 
  • Ne jamais priver les personne démentes de leur objets familiers, en les incitant par exemple à s'attacher à un objet facilement transportable et reproductible (par exemple une photo… c'est une transposition des objets transitionnels des enfants… c’est-à-dire des doudous. Ceci n'est pas une mesure vexatoire, qui manque d respect, ou qui abaisse la dignité des gens. C'est une mesure de protection car la présence d'un objet familier permet de donner un sens et une limite à l'environnement, en particulier lors des voyages ou des hospitalisations. Un certain nombre de sujets âgés adoptent ce comportement de facto avec par exemple leur alliance, ou une paire de chaussons, ou une robe de chambre, dont la privation pendant l'hospitalisation sous prétexte de ranger les affaires, ou éviter les vols et responsable de détresses vraies.) 
  • Ne jamais laisser une personne démente sans stimulation sensorielle multiple. La télé est un excellent moyen (image + son) ou une radio avec une fenêtre qui donne sur quelque chose d'actif. Là encore il n'y a aucune raison en dehors de préjugés sociaux de priver les sujets âgés de leur série télé. De même, les planter devant une fenêtre qui donne sur du gazon vert ne leur fait aucun bien. Là encore les préjugés sociaux dévalorisent l'image des "vieux qui regarde les passants par la fenêtre" en oubliant que sans ça il ne verraient que la pendule normande. 
  • Et de façon générale en se donnant la peine de créer des environnement contrôlés où les patients ont un choix limité (pour éviter l'excès d'information) mais réel (pour éviter la déafférentation). 
  • Maryse ce que vous dites est magnifique, mais vous rêvez sous acides ! 
  • Hein ? 
  • Non mais Maryse, quand Mme X 128 ans arrive aux urgences la nuit à 4 heures entre deux alcooliques agités et la BAC dont le chien a encore un morceau de doigt sanguinolent dans la bouche, vous croyez quand même pas qu'on va lui trouver une télé avec un DVD de Derrick et une table de nuit pour poser la photo de son chat ? Et quand la cadre de nuit va faire des choses que la morale réprouve pour lui trouver une place, vous allez pas en plus vous imaginer qu'elle va demander un chambre avec vue ? 
  • Non Pierre, je ne dis pas ça. Mais je dis simplement que ce n'est pas parce que quelque chose semble anodin et que le système de soins ne permet pas d'en tenir compte qu'il ne faut rien essayer. 
  • [Pierre n''écoute plus, quand Maryse enfile ses habits de justicière il est encore plus inutile que d'habitude de discuter avec elle. Il retourne à ses demandes trajectoires tout en se disant qu'il va peut-être investir dans quelques radios portables pour les patients qui ne peuvent payer le service télé facturé 25 euros les 25 minutes). 
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