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23.6.15

Syndrome sérotoninergique



Syndromes sérotoninérgiques en urgence neurologique




DE QUOI PARLE-T-ON ?

Ce syndrome fait partie des ours. Ceux dont tout le monde a entendu parler, dont beaucoup connaissant quelqu'un qui a vu quelqu'un qui en a vu un, mais qui en pratique restent rare, et dont les signes spécifiques le sont si peu, que la plupart du temps on passe à côté. En français on devrait parler d'intoxication à la sérotonine, ça démystifierait le tableau.

Le problème du diagnostic vient du fait que ce syndrome est polymorphe, n'a pas de lien temporel avec la prise d'une molécules ou d'un ensemble de molécules sérotoninergiques (vous verrez la différence plus bas), n'a pas de critères diagnostiques universels, et ressemble comme un cousin plus que germain au syndrome malin des neuroleptiques, à la réaction (méconnue mais très fréquente) à la tyramine (ou syndrome du fromage, lisez le bonus *), et à certains syndromes carcinoïdes.

Le problème du non diagnostic est encore pire. Des syndromes rares et complexes il en existe beaucoup, mais des syndromes dont le retard diagnostic peut entraîner le décès et qui en plus sont curables il y en a moins, et si c'est vous qui les ratez, vous êtes mal (sans parler du patient).

Alors pour essayer de s'y retrouver voici quelques éléments.


QUAND FAUT-IL Y PENSER ?

Chez toute personne qui prend un agent sérotoninergique (non c'est toujours pas ici que le concept est développé, attendez encore un peu) et qui présente plusieurs de ces symptômes.
  • Une confusion ou un hypomanie 
  • Des myoclonies diffuses 
  • Une hyper réflexie 
  • Des tremblements 
  • Une diarrhée 
  • Une hyperthermie 
  • Une hypersudation 
  • Des frissons 


COMMENT LE CONFIRMER ?

Il existe plusieurs critères. Il se peut que vous entendiez ou trouviez sur internet les critères dits de Sternbach. Ce sont les plus utilisés mais pas les plus commodes ni les plus sensibles, et à peine le plus spécifiques. 

Je vous conseille plutôt d'utiliser les critères de Dinkley (1) de 2003
Le diagnostic est positif (sensibilité 75% Spécificité 96%)
SI prise d'agent sérotoninergique
+ myoclonies spontanées
+ myoclonies provoquées ET agitation OU hypersudation
+ clonies oculaires ET agitation OU hypersudation
+ tremblements ET hyper-réflexie (sans Babinski))
+ hypertonie (diffuse) ET hyperthermie > 38°C ET clonies oculaires OU myoclonies inductibles
Par agent sérotoninergique il faut comprendre :
  • Soit la prise d'IRS et IRS like dont la FLUOXETINE, la VENLAFAXINE, l'ESCITALOPRAM, la MIRTAZAPINE ou le MILNACIPRAN 
  • Soit la prise d'IRS avec des IMAO (dont la RASAGILINE) 
  • Soit la prise d'IRS avec du LITHIUM 
  • Soit la prise d'IRS avec des inhibiteurs du cytochrome P450 dont les antiretroviraux de type inhibiteurs des protéases et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase reverse (médicaments anti VIH). 
  • Soit la prise de drogues illicites comme la methamphétamine, la cocaïne, l'ecstasy 
  • Soit la prise de tricycliques, en particulier la CLOMIPRAMINE et le MOCLOBEMIDE 
  • Soit la prise d'antimigraineux dont les TRIPTANS (sans que l'association IRS + TRIPTANS ne soit déconseillée) 
  • Soit des associations inclassables ailleurs comme CLOZEAPINE et BUSPIRONE, TRAZADONE et BUSPIRONE, OXYCODONE et PREGABALINE. 
  • Et enfin l'insuffisamment connue mais très néfaste association de tout antidépresseur et de MILLEPERTUIS (pour les patients anglais, rechercher du Saint John's Wort et lire le bonus **). 
Bref, est un agent sérotoninergique presque toute molécule qui d'une façon ou d'une autre est un modulateur de l'humeur. Autre piège : le syndrome peut apparaitre brutalement chez un patient sous IRS stabilisé depuis des années qui n'a commis aucun écart).

Bien maintenant que vous y avez pensé, que vous les critères de Dinkley semblent avoir confirmer votre hypothèse, comment éliminer les syndromes proches ?

Dans le syndrome malin de neuroleptiques vous avez l'hyperthermie et l'hypersudation en commun mais :
  • Vous avez une hypertonie musculaire à la place des myoclonies 
  • Vous avez des troubles de la conscience à la place de la confusion (et oui, c'est pas par hasard que depuis la quatrième années les neurologues vous forcent à distinguer les deux) 
  • Vous avez une dysautonomie 
  • Vous n'avez pas une incoordination motrice 
  • Vous n'avez pas d'hyper-refléxie. 
Si vous préférez les tableaux en voici un :

symptômes
Syndrome Sérotoninergique
Syndrome Malin des Neuroleptiques
Réaction à la Thyramine
Myoclonies
+
0
+
Rigidité musculaire
0
+
0
Troubles de la coordination
+
0
+
Hyper-réflexie
+
0
+
Hyperthermie
+
+
0
Hypersudation
+
+
+
Dysautonomie
0
+
0
Hypertension artérielle
0
0
+
Confusion
+
0
0
Troubles de conscience
0
+
0

Vous avez également , si vous êtes attentifs tous les éléments cliniques d'une confusions fébrile. La différence se fait sur l'absence de de méningisme, de syndrome inflammatoire et sur la présence des myoclonies.

Et si vous êtes amené à suivre des plongeurs en eau profonde, ou si vous-même pratiquez ce type de plongée, vous aurez remarqué qu'il existe un tableau quasi identique appelé syndrome nerveux des hautes pressions (ou high pressure nervous syndrome)…lisez le bonus ***.

COMMENT LE TRAITER ?

Paradoxalement c'est à la fois une urgence vitale MAIS ce n'est pas une raison pour arrêter définitivement les IRS. C'est un peu comme les intoxication involontaires aux benzodiazépines.

En l'absence de consensus le traitement est symptomatique :
  • Arrêter les IRS et toute substance psychotrope pendant la durée des symptômes
  • Une Benzodiazépine en IV à dose suffisante pour obtenir une sédation légère (par exemple 1 ampoule de DIAZEPAM en IV)
En cas d'échec ça devient compliqué et ça relève des réanimateurs qui pourront selon la disponibilité dans leur pharmacie et hors AMM utiliser des médicaments pas du tout prévu pour cet usage comme la CHLORPROMAZINE en IV ou encore du PROPOFOL.

Si vous êtes confronté à cette situation avec des molécules étrangères (avion, bateau, certains TOM, la Nouvelle Calédonie etc…) lisez le bonus ****.

BONUS POUR FRIMER EN SOCIETE

* - La réaction à la Tyramine est un syndrome rare qui a quasi disparu depuis l'abandon progressif des IMAO. On la trouve dans les aliments fermentés, en saumur ou fumés. Au délà d'une ingestion de 6 milligrammes, et en association avec un traitement par IMAO, elle provoque la libération de catécholamines. Cliniquement le signe le plus marquant est une hypertension hors norme et difficilement contrôlable pouvant dépasser les 250 mmHg. En France vous pouvez être confronté à ce syndrome chez les patients étrangers sous IMAO, en particulier les asiatiques qui consomment des plats asiatiques (surtout japonais).

** - Le millepertuis est une saloperie. Largement utilisé en phytothérapie à cause de l'HYPERICINE pour soigner la dépression, l'anxiété, l'insomnie, les inflammation et les possessions diaboliques (et ce n'est pas ironique, c'est même un des noms de cette plante : "le chasse diable"). Le millepertuis est utilisé depuis l'antiquité comme plante magique à tout faire. Dioscoride en parle déjà sous son nom grec que je ne peux retranscrire ici, mais qui a donné le mot "baume" en français. Ses effets délétères viennent de l'effet inducteur du cytochrome p450.

*** - Le syndrome nerveux des hautes pressions (high pressure nervous syndrome HPNS) est un ensemble de symptômes, quasi identique au syndrome sérotoninergique, observé chez les plongeurs qui vont au-delà de 130 mètres de profondeur et respirent de l'héliox. A la phase initiale, l'utilisation de trimix (Héliox + azote) ou d'hydrogène (héliox + hydrogène) peut corriger le trouble.

**** - Si vous êtes confronté à cette situation avec des molécules étrangères (avion, bateau, certains TOM, la Nouvelle Calédonie etc…voir bonus), sachez que le PROPRANOLOL en IV (non disponible en France) à 2mg/kg en IV toutes les 5 minutes sans dépasser 0,1 mg/kg est à proposer après la benzodiazépine. En cas d'échec, et avant la CHLORPROMAZINE, proposer de la CYPROHEPTADINE 4 mg per os toutes les 4 heures sans dépasser 20 mg par 24 heures.

REFERENCES

(1) The Hunter Serotonin Toxicity Criteria: simple and accurate diagnostic decision rules for serotonin toxicity - E.J.C. Dunkley , G.K. Isbister , D. Sibbritt , A.H. Dawson , I.M. Whyte -
Q J Med 2003; 96:635–642 - DOI: http://dx.doi.org/10.1093/qjmed/hcg109 635-642 First published online: 18 August 2003