I'll put up no résistance i want to stay the distance i need assistance
Mais revenons à notre sujet, les labos et les internes. En étant interne, vous aurez le plus souvent en face de vous les représentants qui viennent voir vos chefs, mais pas seulement. Les labos savent que 1/ vous n'y connaissez rien en médicament (au sens statistique) 2/ vous êtes dans un comportement d'imitation de vos chefs 3/ vous êtes encore scolaires. En un mot, vous êtes une cible publicitaire idéale. Pour faire passer leur message, ils vont adopter trois angles d'attaque, en dosant plus ou moins leurs effets en fonction de vos réactions.
Angle 1 : la proximité. Quand la secrétaire de la scolarité de votre fac, après trois coups de fils, 312 mails et l'intervention de l'ONU daigne répondre à une de vos questions, en écorchant votre nom, et en vous confondant avec son chien, vous avez envie de dire qu'il fait beau même si à l'évidence il pleut et qu'elle vous conseille de prendre un parapluie. C'est humain. Par contre, si votre meilleur pote vous sort à table un vin un peu miteux alors qu'il vous dit qu'il a englouti deux gardes pour payer la bouteille, vous allez lui dire hmmmmm, il est corsé, c'est super original. Et il se peut même que vous le trouviez bon et en rachetiez pour lui faire plaisir, surtout si vous n'y connaissez rien en vin. C'est humain aussi. Maintenant comment reconnaitre votre meilleur pote de la secrétaire de la scolarité ? Votre meilleur pote vous appelle par votre prénom. Il connaît vos goûts. Il vous dit des trucs marrants voix basse. Il casse un peu les gens que vous n'aimez pas. Il tend parfois la perche pour se faire battre et vous allume en rigolant. Il ne vous dit pas bonjour, mais vous tape dessus en vous disant salut, il vous paye des coups et surtout, il vous écoute en cas de problèmes.
Et bien les labos vont faire pareil... Tout pareil... Mais vraiment ! Donc conseil numéro un : le "vous" est de rigueur, ne soyez pas empathique, inutile de rigoler aux blague débiles, ne discutez pas d'autre chose que de médecine. Ils sont là pour le commerce, ne l'oubliez jamais.
Angle 2 : l'autorité. Vous débarquez dans le monde de la prescription. Vous avez appris plein de trucs pour l'ECN (genre, vous savez quoi mettre dans un SCA ou un état de mal épileptique par cœur et dans toutes les langues) mais avouons-le, vous ne savez pas le pourquoi. Je parle du vrai pourquoi ! Celui qu'on ne vous apprend pas en fac comme par exemple les résultats des études, leur multiples biais etc... Alors comment savoir ? Ce n'est pas difficile vous dites-vous : un coup de Vidal, un peu de reco pub med dans le New England ou le Lancet et un peu de « et le chef il fait comment » et ça arrange les choses. Les labos le savent. Ils vont donc vous sortir des études qui montrent par A+B que leur produit est tellement supérieurement meilleur, que même le chien de la secrétaire de la scolarité peut le comprendre et, que votre chef l'utilise déjà ! Eh bien, c'est faux et archi faux. L'adage qui veut que vous pouvez faire dire n'importe quoi aux stats est vrai si vous n'êtes pas statisticien. Si vous en voulez une preuve facile à comprendre, vous pouvez lire un billet sur ce blog (page d'auto promo subtilement amenée, avouez que vous n'avez rien vu venir) ici ----http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2013/12/les-stats-simples-pour-comprendre-ce.html --- pour les fainéants de la lecture, ça vous explique comment sans tricher on peut vous montre qu'un médicament diminue de 73% un risque alors qu'en vrai c'est juste 0,5%. À cela, il se peut que vous ayez deux objections : et mon chef ? Et la revue Prescrire ? Concernant votre chef, il n'est pas plus bio statisticien que vous, il a juste plus d'expérience, et encore, uniquement dans son domaine. Son avis n'est pas une garantie. Prescrire, fait de la santé publique et a une attitude militante (ce n'est pas un défaut, encore faut-il en être conscient). C'est là revue que je vous conseille mais, soyez conscient, que face à la vraie vie, il y a plein de situations où vous prescrirez des médicaments dont ils ne sont pas fan (ex du MOTILIUM chez les Parkinsoniens). Donc conseil numéro 2 : les docs qu'ils vous donnent, vous les refusez. Exigez par contre les fiches de transparence H.A.S. et s'ils sont insistants, rappelez leur que légalement ils sont tenus de vous donner des N.N.T. et des N.N.H. * Comme ils ignorent ce que c'est, ils vous lâcheront.
Angle 3 : l'intérêt. C'est malheureux à dire, mais les endroits où vous pouvez le plus échanger et apprendre, restent les congrès. Je ne parle pas des réunions locales, symposium ou journées d'échanges de votre chef. Petit problème, un congrès ça coûte TRES CHER et les sous... ah ben ça tombe bien qu'on en parle, monsieur ou madame labo a tout ce qu'il faut. C'est la perversité du système français. Même si vous suivez les conseils 1 et 2, vous verrez que les labos vous proposeront de participer (ce qui illustre par ailleurs à quel point, l'opinion que vous avez d'eux leur importe peu). Petit point important, s'ils vous proposent de vous payer un congrès alors que vous ne les aimez pas, ce n'est pas par masochisme, mais parce que d'une part, ils vous mettent moralement dans un état de dépendance (vous leur devez quelque chose) et deuxièmement, parce que dans la plupart des congrès, en dehors des cours payants (que pour le coup ils ne paient pas), personne ne dit jamais de mal d'un produit. Donc conseil numéro 3 : si vous êtes interne, ne demandez rien, n'acceptez directement rien, et si vous DEVEZ y aller (par exemple pour présenter un poster), demandez à votre chef d'organiser ça pour vous.
Au total : Les labos sont dans une relation commerciale. Vous avez un nombre limité d'options. Option 1 : Tout refuser : c'est la voie la plus pure, à privilégier, surtout qu'en début d'internat, franchement entre nous, si vous êtes déjà capable de lire les recos de l'H.A.S, du NEJM, du Lancet, de votre revue de spé et Prescrire, vous êtes des héros. Option 2 : si pour X raisons, vous avez besoin d'eux parce que le système est comme ça (les congrès, la pression de votre chef). Restez intègres : ne mélangez pas les genres en terme de comportement (neutralité neutre, pas de bienveillance, ce ne sont pas vos patients), discussion purement médicale avec source d'information fournie par un tiers, et laissez votre chef discuter de l'organisation de vos congrès.
Dans tous les cas ne vous sentez coupable de rien. Si vous refusez de les voir, c'est très bien, vous n'êtes pas plus coupable de ne pas les rencontrer que de ne pas rencontrer le type qui sonne à votre porte pour vous vendre un canapé. Si vous voulez les voir, soyez conscient que vous êtes dans une relation commerciale, qu'il ne faut y mettre aucun affect, et que ce n'est pas interne de première année que vous allez changer ce que nos politiques ont délibérément instauré.
* plus d'info là (merci à @zeptentrion) http://www.spc.univ-lyon1.fr/polycop/diff%20risques.htm
Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
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