12.5.17

Obésité et neurologie



Comme vous le savez, je ne crains que deux choses : les framboises et les staffs de nutrition. Les premières sont l'incarnation du mal, les deuxièmes aussi. Cependant pour les staffs il y a une solution : aller trouver des informations ailleurs. Et ça tombe bien parce quand dans le Lancet Neurology 2017; 16:465-77 il y a un article intitulé Neurological conséquences of obesity, qui permet d'en apprendre plus sur les liens entre obésité et système nerveux.

Ce qui suit est donc un résumé de cet article avec lorsqu'il le faut, quelques commentaires.


Tout d'abord, pour cerner le sujet, on appelle ici "obésité" une augmentation de la masse grasse responsable d'effets indésirables métaboliques. C'est une définition différente du simple BMI supérieur à 30 kg/m2 (chiffres valable pour un homme blanc car on oublie souvent qu'il y' a des variations de normes selon le sexe, l'âge et l'origine ethnique).

C'est une définition qui a l'avantage d'exclure les personnes avec un BMI > 30 kg/m2 qui n'ont pas de conséquences métaboliques de cet "excès" de gras, essentiellement (mais pas uniquement) parce que la répartition de leur masse grasse se fait dans des territoires qui ne sont pas abdominaux (fessier, fémoral, sous cutané, intra musculaire).

Et c'est une définition qui a l'avantage d'inclure des personnes dont le BMI est < 30 kg/m2 mais dont la repartions de la masse grasse dans les régions intra abdominale, les expose aux mêmes complications métaboliques que s'il leur BMI était pathologique.

Le lien entre obésité et pathologies neurologiques  est relativement récent. Les adipocytes n'ayant pas grand-chose en commun avec les neurones, on a longtemps pensé que les premiers n'avaient pas la moindre chance de perturber les seconds. Du coup, la recherche sur les conséquences de l'obésité s'est longtemps consacrée au dépistage et à la caractérisation des effets inflammatoires de l'hypertrophie (augmentation de taille) et l'hyperplasie (augmentation de nombre) des adipocytes. Pour faire simple, plus vous avez des adipocytes, plus votre corps produit des molécules pro inflammatoires qui perturbent les fonctions du pancréas,  des muscles et du foie, pour donner le désormais célèbre : "syndrome métabolique".

Mais pour ce qui est du système nerveux…. Rien. Et puis, les médecins qui font de la santé publique, ont commencé à faire des liens statistiques (c'est leur manie) entre des choses à priori distinctes.

Tout d'abord un lien entre obésité et maladie d'Alzheimer : toutes choses étant égales par ailleurs (niveau de vie, éducation, comorbidités etc…), le risque de développer une maladie d'Alzheimer est deux fois plus élevé chez les obèses. Un BMI élevé vers l'âge de 40 ans est un facteur de risque indépendant de démence à 80 ans. Indépendamment de l'âge (y compris chez les enfants donc), un BMI élevé est un facteur de risque indépendant de troubles de l'attention et de difficulté à manier les données complexes. De plus, là encore toutes choses étant égales par ailleurs, les hommes obèses ont plus de risque de développer des troubles cognitifs précoces que les femmes de poids égal (on imagine que les œstrogènes jouent un rôle protecteur). Ces observations sont valables dans les deux sens : les obèses ont plus de risque d'avoir des atrophies de l'hippocampe, et, les patients avec une démence hippocampique, sont statistiquement plus souvent obèses que les autres.

Tout ce qui précède est constat, mais ne donne pas d'explication au phénomène. Pour l'explication il faut aller donner du gras aux rats et regarder ce qui se passe dans leur cerveau. Petit point d’anatomie : l'hypothalamus est une région archaïque complexe du cerveau qui gère presque toutes les hormones en fonction de ce qu'il détecte dans le sang, et en fonction de ce qui lui donne comme consignes les régions les plus intégrées du cortex (c'est pour ça que vous avez faim devant une pub qui vous montre une tartiflette, ou soif devant une bouteille finement perlée par la rosée. C'est aussi pour ça qu'à l'inverse quand vous avez faim, vous capacité de concentration sur tout autre sujet deviennent nulles). Pour jouer ce rôle de régulateur, l'hypothalamus doit connaitre de façon instantanée le taux sanguin de multiples marqueurs et molécules. Et pour avoir cette information, l'hypothalamus bénéficie d'un réseau sanguin capillaire dédié dans lequel il plonge ses récepteurs. Le problème c'est qu'en allant pour ainsi sur le terrain, l'hypothalamus fait ce que presque aucune autre structure du système nerveux central ne fait : il sort de la barrière méningo encéphalique (pour ceux qui ont oublié, c'est la barrière qui isole le système nerveux du reste du corps humain, filtrant toutes les échanges métaboliques et assurant un privilège immunitaire mettant à l'abris le cerveau des réaction immunitaires). Et dans le corps humain c'est un peu comme dans la vraie vie, si vous allez sur le terrain, vous avez accès à des informations non filtrées, mais vous vous exposez à plein de dangers.

Dans le cas précis qui nous intéresse, quelques minutes à peine après la libération d'acides gras libres dans le sang (par des adipocytes qui font n'importe quoi par exemple),  on peut observer une réaction inflammatoire au sein même de l'hypothalamus (ce qui est totalement anormal puisque je le répète, les constituants du système nerveux sont normalement protégés contre l'inflammation). Non seulement cette réponse inflammatoire est en soi anormale, mais en plus elle est plus précoce que celle observée dans le sang, les muscles et le tissus adipeux lui-même. Cette réaction inflammatoire à des effets multiples. D'une part elle détruit des axones et lorsqu'elle se produit au long cours (trois jours d'affilée suffisent), détruit des neurones (d’où l'atrophie hypothalamique). D'autre part, en raison de ces lésion structurelles, l'inflammation  dérègle des circuits comme ceux de la satiété et (et c'est peut-être le pire) induit la mort neuronale des neurones qui inhibent le comportement d'alimentation. Pour le dire de façon plus simple, si nous ne passons pas nos vie à grignoter tout ce qui est comestible comme le font les rats ou les lapins, c'est parce que nous avons des neurones qui inhibent ce comportement. Ici, nos seulement l'inflammation provoque une disparition de la sensation de satiété, mais en plus elle provoque la réapparition d'un réflexe archaïque de grignotage intempestif : cela donne des individus qui ont faim même quand leur besoins énergétiques sont comblés, et qui continuent à manger même s'ils n'ont pas faim.

Si vous vous souvenez de début du troisième paragraphe qui se trouve au-dessus de celui-ci, il commençait par :"…Tout d'abord un lien entre obésité et…". Ceci signifie, qu'en dehors des démences, il y' a d'autres lien statistiques entre obésité et système neveux. Ces liens concernent le système nerveux périphérique et le système nerveux autonome. Si vous n'avez jamais rien lu la dessus, et parce que c'est important pour comprendre la suite, je ne peux que vous inciter à lire l'article qui en parle sur ce blog [http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/search?q=jellyfish]. Si vous n'avez pas le temps, retenez que le système nerveux périphérique au sens classique du terme désigne les nerfs moteur et pensifs qui commandent les muscles et informent le système nerveux sur ce qui se passe dans le corps, et que le système nerveux autonome est celui qui contrôle tous les viscères de façon...autonome (c'est l'auto-pilot du corps humain). Le système nerveux autonome a pour mission de maintenir l'intégrité fonctionnelle du corps. Qui dit intégrité fonctionnelle dit gestion (distribution et répartition) de la ressource énergétique.

De la même façon que précédemment, et de façon encore plus rapide puisque ces deux système nerveux sont intégralement hors de l'égide de la barrière méningo-encéphalique, ils sont structurellement agressés par l’inflammation (pour la petite histoire, et pour faire une pause culture, cette expression :"hors de l'égide" était l'une des favorites d'un de mes anciens profs. L'égide est une arme mythique de Zeus. C'est à la fois un bouclier magique invulnérable, mais également une arme capable d'envoyer des éclairs. Mon prof l'utilisait pour décrire la barrière méningo-encéphalique afin de nous faire retenir que ce n'est pas un organe passif, mais qu'elle est capable de lutter activement contre les agressions. Fin de la pause culturelle).

N'étant pas protégés, les neurones et axones sont particulièrement sensibles aux agressions inflammatoires. Les acides gras libres provoquent par conséquent des lésions qui entraînent d'une part des polyneuropathies, et d'autre part des dysautonomies.

Les polyneuropathies sont cliniquement faciles à dépister : elles sont sensitivo motrices longueur dépendantes ce qui en français signifie qu'elles se manifestent par des paresthésies et des hypoesthésies (c'est une sensation particulièrement pénible puisque vous avez mal, vous ne savez pas très bien où, et que si vous savez où, en raison de l'insensibilité, masser ou frotter la zone pour déclencher le gate control ne marche pas). Ces signes sensitifs s'associent à une ataxie et des troubles de la marche. Le tout a une distribution symétrique et ascendante en commençant par les pieds et en touchant les avant-bras lorsque la neuropathie a atteint les genoux. Pour les cliniciens qui font encore de la clinique, lorsque la neuropathie remonte aux poignets, vous pouvez également constater une hypoesthésie peri ombilicale. Ceci est lié au fait que les nerfs sensitifs intercostaux ont à peu près la longueur d'un avant-bras.

La dysautonomie est plus subtile à mettre en évidence. Pour des raisons trop complexes à expliquer, elle se manifeste par une sur activité du système nerveux autonome sympathique. Ceci provoque une suractivité musculaire et cardiaque, une augmentation de la sécrétion basale d'adrénaline et une diminution de la sécrétion basale et réactionnelle d'insuline.

Les deux atteintes combinées provoquent également une gastro parésie et une diminution de la motilité intestinale.

Enfin de façon beaucoup plus marquée chez les femmes en raison de leur anatomie, il existe une diminution de la sensibilité de la vessie à la réplétion, une diminution de l'efficacité du détrusor à la vidange, une diminution de la sensibilité muqueuse aux irritations et une sur réaction cutanée aux phénomènes de macération. Ceci les expose à un sur risque de mycoses et infection bactériennes pelviennes et urinaires, et un sur risque d'infection du haut appareil urinaire.

A l'inverse, et pour les même raisons anatomiques, les hommes sont plus exposés aux troubles sexuels.

Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
La neurologie des autres spécialités médicales.