13.1.16

hypertension intracranienne (HTIC)



Où l'on parle d'une cause de céphalée sous estimée, sous diagnostiquée, et aux conséquences graves.



Je ne sais jamais comment introduire mes sujets sans utiliser les automatismes des articles universitaires. Alors cette fois-ci je tente d'utiliser une domaine où je suis plus à l'aise, la littérature de science-fiction et fantasy. Si vous aimez ce genre, peut-être connaissez-vous ce livre en un seul tome : l'avaleur de mondes de Walter Jon Williams. La traduction du titre en français est minable car elle déforme totalement le lien entre le titre original et la trame de l'histoire. En anglais, le livre est intitulé Implied Space (espace induit). Ce terme décrit un espace qui n'existe que comme conséquence de plusieurs autres (et là tout de suite c'est plus clair). Pour illustrer mon propos, prenez un architecte qui, comme sur la photo ci-dessous, place une coupole sur des arches. Les arches sont superbes, la coupole magnifique, mais la surface qui relie les premières à la seconde vient là comme une nécessité dont on sent bien que l'architecte ne sait pas trop quoi faire (en général il laisse les décorateurs barbouiller la zone avec de la peinture).



Si l'architecture vous laisse de marbre, prenez un exemple anatomique comme la tabatière… anatomique. Elle n'existe pas en tant que telle, mais est la conséquence de l'absence de matière entre les tendons du court extenseur du pouce et du long abducteur du pouce. Idem pour le creux poplité (le premier qui parle de fosse poplitée va voir ailleurs si j'y suis).

Quelle rapport avec les hypertensions intracrânienne me demanderez-vous ? C'est simple : dans l'imaginaire médical collectif les ventricules cérébraux sont des Implied Spaces (pour la traduction en français j'ai du mal à trouver le bon adjectif). C'est étonnant, parce que si la vessie, la vésicule, le pharynx, l'estomac et même le conduit auditif sont considérés comme des vides à part entière, dans tous les bouquins d'anat, les ventricules ne sont que du vide vide entre les replis du cerveau. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire dans les sections de neuro-anatomie, on explique vaguement que le LCR qui semble passer par là par hasard faute de mieux, est secrété et réabsorbé localement sans que l'on ne comprenne très bien pourquoi. Bref, les ventricules semblent être un effet secondaire, presque indésirable, de l'anatomie du cerveau, et tout le monde s'en tape à part quand une section se bouche et donne des signes d'hypertension intracrânienne.


Et c'est bien dommage.

C'est bien dommage parce que les ventricules sont des organes à part entière, avec une anatomie, une physiologie et des pathologies spécifique. Et tout ceci étant particulièrement bien…non enseigné, personne n'y pense jamais. Je peux illustrer ça par la discussion qui a suivi sur twitter une histoire d'HTIC de la jeune femme obèse. Beaucoup de commentaires sur cette histoire ont été du type :" c'est très intéressant mais on n'en a jamais entendu parlé avant, et en plus ça doit être un truc rarissime".

Alors pour essayer de promouvoir l'intérêt pour les ventricules et ce type de pathologies, voici un billet sur les hypertensions intracrâniennes idiopathiques, avec quelques digressions sur les ventricules cérébraux et leur rôle. Pour les plus pressés (quoique si vous vous êtes tapé la lecture de toute cette introduction c'est que vous n'êtes pas si pressés que ça), à la fin de ce billet, vous avec un résumé des trucs à ne pas rater en clinique courante.

Commençons par un peu d'histoire. Une histoire qui commence par les premières bestioles multicellulaires qui après avoir expérimenté plusieurs configurations, ont décidé qu'il était plutôt utile d'avoir un bout de dehors en dedans, c’est-à-dire de former un tube.

Au cours de l'évolution, ce tube est principalement devenu le tube digestif. Rien à voir avec le cerveau donc. Surtout que jusqu'aux méduses, du cerveau, y'en a pas. Pendant cette évolution un principe s'est imposé : les structures les plus fragiles doivent être protégées de l'extérieur, tout en échangeant avec lui par des membranes actives, c’est-à-dire qui régulent activement ces échanges, et qui ne sont pas de simples super filtres. Et le job de ces membranes c'est de protéger ce qu'elles contiennent de tout ce qui n'est pas l'eau de la mer primordiale, c’est-à-dire tout, en dehors de l'eau et des nutriments. Bien évidemment vous avec reconnu le… le… (non toujours pas les ventricules), le… placenta ! Et oui, le truc le plus fragile et le plus précieux pour un organisme archaïque (et même maintenant), c'est son successeur. Le placenta est donc un organe à part entière qui ne laisse passer que les nutriments et l'eau et bloque la plupart des cellules et une partie des anticorps. Il prélève dans le sang maternel ce dont il a besoin de façon active, rejette les toxiques, bref il vit sa vie à lui avec un privilège d'organe assez énorme. Et puisque après une longue évolution nous sommes toujours là, c'est la preuve que ce système est plutôt efficace.

Je vous passe les détails (mais l'embryologie est intéressante pour les plus curieux), et, pour utiliser une parabole, mère nature s'est dit un jour que s'il y'avait bien un truc largement aussi précieux qu'un descendant, c'est bien le système nerveux (vous pouvez penser que ma vision est biaisée parce que je suis neurologue, mais les faits sont têtus). Mère nature a donc utilisé le même procédé pour protéger le cerveau et a inventé les méninges. Et, si vous avez lu le billet précédant sur l'anatomie du cerveau, vous savez également que mère nature est joueuse, et qu'en essayant d'enfourner l'encéphale dans la boite crânienne (pour le protéger encore plus… contrairement au placenta) elle a créé des plis et des replis qui font qu'une partie de ce dehors s'est retrouvé dedans. Et ce dedans ce sont les ventricules. Donc (attention à la perte de connaissance chez les embryologistes) : les méninges se comportent en partie comme le placenta et les ventricules comme le sac amniotique (pour réveiller les embryologiste, imitez le bruit de l'oursin qui gastrule, ça marche à tous les coups). 

Ceci implique que le cerveau est protégé de l'extérieur agressif (c'est à dire le corps), qu'il a un privilège d'organe extrêmement élevé avec une priorité de prélèvement sur les nutriments (oxygène et glucose), une protection contre le système immunitaire, et une protection contre les toxiques. Tout ça est possible grâce à la barrière hémato encéphalique qui sépare les annexes (tout le non-cerveau), du cerveau lui-même, et plus précisément le sang, du liquide céphalo rachidien. Si vous avez suivi cette longue description, vous avez donc compris que le LCR est un vestige de liquide amniotique et, si on regarde très loin dans le passé, un vestige de la mer primordiale. Si les cinglés new age lisent ça il vont avoir le trip de leur vie.
Si on se concentre maintenant sur la dynamique des flux (si un jour je suis hyper motivé je vous parlerai du système immunitaire du système nerveux central, qui est un cauchemar même pour les immunologistes), rappelez-vous (mais si) que dans la vision classique du LCR, celui-ci est secrété (et pas filtré) par les plexus choroïdes situés dans les ventricules (les lateraux, le troisième et une partie du quatrième) à partir du sang, diffuse dans les ventricules, sort des ventricules par les foramen de Magendie et Lushka (median aperture en anglais), diffuse dans l'espace sous arachnoïdien autour de cerveau et de la moelle , et est excrété (là encore activement, c'est toujours pas un filtre), par les granulations arachnoïdes, dans les sinus veineux (les veines), intracrâniennes.

Si vous voulez une exercice d'orthophonie gratuit, essayez de prononcer le nom spécifique des plexus choroïdes du quatrième ventricule : les organes de Bochdalek (avec un carambar c'est encore mieux).

Évidemment , quand vous avez un réseau aussi complexe avec des mécanismes de sécrétion et d'excrétion actifs et un parcours aussi sinueux, le système peut planter à plein d'endroits.

Premier type d'erreur : l'hypersécrétion. Qui dit sécrétion active, dit excès d'activité. Le LCR représente environ 140 ml et il est renouvelé 3 à 4 fois par jour - NB : les céphalées post PL n'ont rien à voir avec une perte de LCR, on en enlève très peu et la perte est compensée en quelques minutes - En clinique les causes d'hypersécrétion sont rarissimes et se résument à l'exceptionnel papillome de plexus : 0,003 cas pour 100 000 chez l'adulte, 2 à 5% des tumeurs de l'enfant de moins de 15 ans, 20% des tumeurs de l'enfant de moins de 1 an (1). Je vais pas vous dire que vous pouvez oublier, mais c'est pas tous les jours qu'on en voit.

Deuxième type d'erreur, le défaut d'excrétion. C'est encore plus rare, je ne détaille même pas.

Troisième type d'erreur, l'obstacle mécanique à l'excrétion. Cela se produit quand la pression veineuse dans les sinus veineux, dépasse la pression d'excrétion des granulations arachnoïdes. C'est pas si rare que ça mais il faut des augmentations de pression considérables pour gêner l'excrétion, et ça, ça ne se voit que dans les thrombophlébites (la céphalée de la thrombophlébite n'est pas de nature veineuse comme en périphérie, mais de nature méningée). Sauf que les signes sont tellement parlant, que le diagnostic de thrombophlébite est fait bien avant celui d'hypertension intracrânienne (normalement).

Quatrième type d'erreur, et c'est là que ça devient intéressant : l'inflammation et… l'obésité ! Si ! Vous allez voir. D'abord un constat. Dans les HTIC, le nombre de patients obèses varie entre 60 et 100% selon les études avec une moyenne de 70%. Si l'incidence de l'HTIC dans la population normale varie de 0,5 à 2 / 100 000, elle est de 12 à 20% / 100 000 obèses. Sur tous ces patients, seuls 10% environ sont des hommes (mais ça, on y reviendra après). Dans une micro étude impubliable que je ne cite que pour l'anecdote, dans une région avec 30 MG, sur un an, qui ont adressé en neuro toutes les femmes obeses et céphalalgiques, 29 patientes sur 115 avaient une HTIC. Encore mieux : dans une population d'HTIC (pression du LCR > 25 cm H2O pour une norme ente 8 et 20), la perte moyenne de 15 kg a entraîné une diminution de 8 cmH2O de la pression intracrânienne (2). Un fois ce constat fait, quel lien avec l'inflammation ? On n'en sait rien ! Un nombre important d'études montrent que l'obésité est la cause et/ou conséquence d'une désordre inflammatoire avec - attention ça va faire un peu mal - la sécrétion de  cytokine (et plus particulièrement d'adipokines pour les immunologistes les plus enragés). Ces cytokines passent la barrière et sont retrouvées en fortes concentration dans le LCR. De là à penser que ça déclenche une inflammation locale, le lien est tentant, mais en pratique en 2016, personne n'en sait rien. Une autre hypothèse plus ancienne concernant l'obésité était qu'en augmentant la pression intra-thoracique, cela gênait le drainage veineux cérébral, mais, comme on l'a vu avant, il faudrait pour cela que le niveau de pression soit incroyablement haut, au-delà de ce qui est compatible avec la vie (même une insuffisance cardiaque n'y arrive pas, c'est vous dire…).

Cinquième type d'erreur, et là ça devient carrément WTF : un dysfonctionnent de la sécrétion secondaire à un excès d'hormones féminines…. Je vous le fait en version courte : la pression intracrânienne est augmentée par les glucocorticoïdes (pas trop prouvé), la synthèse locale de glucocorticoïdes est régulée par une enzyme au nom exotique (11beta-HSD) et cette enzyme est plus active chez les femmes (ça personne, mais alors personne, n'en sait rien).

Sixième type d'erreur : open bar ! Si vous avez une idée, que vous êtes PUPH pilier de congrès, faites-vous plaisir, de toute façon personne n'ira vous contredire. On peut citer dans le désordre, les antibiotiques (surtout les cyclines), les autres hormones et les modulateurs d'hormones (thyroxine, tamoxifene), les surdosages en vitamine A, le lithium, l'anémie, l'apnée du sommeil, l'insuffisance rénale, le lupus, le Sjögren et obi-wan kenobi.

Puisque vous êtes chauds et la tête pleine de mots bizarres, reprenez un carambar, réessayez de prononcer convenablement "organes de Bochdalek" et quand vous aurez rééquilibré vos chakras, lisez la suite qui parle de façon extraordinairement vive et spirituelle de diagnostic et de prise en charge thérapeutique.

Le diagnostic.


Le diag de certitude est facile, il y'a même des critères, mais vous allez voir, c'est pas ce qui nous intéresse. C'est pas intéressant parce que le problème n'est pas de diagnostiquer avec certitude mais d'y penser. Et si c'est important d'y penser, c'est pas pour votre fierté de super médecin, mais parce que le pronostic visuel est engagé… même en l'absence de troubles visuels ! Par ordre de fréquence les symptômes sont :
  1. Les céphalées (72 à 94% des cas) pan-crânienne ou simplement frontales et rétro-orbitaires, pouvant mimer une sinusite frontale, plutôt matinales,ou parfois avec des nausées (72%) et des photophobies ou des phonophobies (79%), le tout pouvant mimer comme deux gouttes d'eau une migraine. Ces céphalées peuvent également se manifester par de simples douleurs cervicales (42%) ou rachidiennes thoraciques (53%) (ce qui chez les obèses est souvent mis sur le compte de troubles posturaux). 
  2. Des baisses transitoires de la vision (70%), souvent très brèves (souvent moins d'une minute), parfois positionnelles. 
  3. Des acouphènes (60%), parfois pulsatiles et positionnels. 
  4. Des troubles cognitifs (20%) sous forme de troubles de la concentration. 
Fort curieusement, les critères diagnostiques les plus récents n'en tiennent presque pas compte (de ces symptômes). Si vous trouvez ça bizarre l'explication est simple : les critères ont été conçus par les ophtalmos, et c'est pas tous les jours qu'on va consulter son ophtalmo pour des céphalées avec des acouphènes. Du coup les critères diag retiennent comme symptômes :
  1. L'œdème papillaire 
  2. La normalité de l'examen clinique neurologique en dehors de l'atteinte de paires crâniennes 
  3. Une IRM normale 
  4. Une PL avec une pression 'ouverture supérieur à 25 cmH2O en décubitus latéral 
  5. Et une composition normale du LCR. 
Résumons-nous : vous avez d'un côté des signes cliniques très évocateurs avec des taux de prévalence de plus de 70% et de l'autre côté des critères diagnostics avec des symptômes soit purement paracliniques (IRM PL) soit cliniques mais avec une technique dont il faut reconnaître que la plupart des médecins ne maîtrise plus la réalisation (l'examen du fond d'œil pour le dépistage de l'œdème papillaire).

Du coup en pratique on fait quoi ?

On fait comme à l'internat en retenant les éléments de diagnostic IRL et la CAT immédiate, en ayant quels vagues notions sur le traitement aigue et sur le traitement chronique.

Eléments diagnostic :

Toute femme jeune et obèse
  • AVEC une céphalée récente quotidienne doit se voir proposer une IRM puis un avis neuro. 
  • AVEC une céphalée ET une baisse de l'acuité visuelle doit se voir proposer un avis neuro en urgence 
  • SANS céphalée ET avec une baisse de l'acuité visuelle doit se voir proposer un avis ophtalmo
Vagues notions sur le traitement aigu :

  • Après confirmation du diagnostic par un fond d'œil et une première PL, en présence d'une BAV, on proposera une éventuelle deuxième PL soustractive, plus rarement un fenetrage de la gaine du nerf optique et exceptionnellement un stenting des sinus veineux. 
  • Puis, ou en l'absence de signes visuelles, on propose un traitement par ACETAZOLAMIDE (DIAMOX) ou, en cas d'intolérances, un traitement associant du TOPIRAMATE (car il fait maigrir) et un diurétique. 
  • Puis, on fait perdre du poids ! Tous les moyens sont bons du moment qu'on ne tombe pas dans le n'importe quoi, ce qui implique de faire appel à une diététicienne. 
Conclusion
  1. C'est une pathologie rare sauf chez les femmes obèses
  2. Il faut y penser 
  3. C'est une urgence thérapeutique 
  4. Le plus gros du traitement n'est pas hospitalier 
  5. Si vous savez faire des fond d'œil c'est un plus. 
Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Migraines et céphalées 





REFERENCES

1 Tumeurs malignes rares - Jean Pierre Droz - Springer - page 349 - https://books.google.fr/books?id=7dxItDL9ok8C&pg=PA338&lpg=PA338&dq=Papillome+des+plexus+choro%C3%AFdes+incidence&source=bl&ots=LQVvLVZIw9&sig=ofjSmCsKYdtt5tvNCAv14I5A2Gc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwivlKTc2qTKAhVE1xoKHYiwAbcQ6AEIHDAA#v=onepage&q=Papillome%20des%20plexus%20choro%C3%AFdes%20incidence&f=false

2 Low energy diet and intracranial pressure in women with idiopathic intracranial hypertension: prospective cohort study http://www.bmj.com/content/341/bmj.c2701