18.6.14

c'est quand qu'on est malade - une brève histoire de critères SEP

It's something we ourselves have been working on for quite some time.



La nature est nulle. Malgré ses millions d'années, elle est incapable de comprendre la médecine. La conséquence de cette ignorance en est navrante : chaque année l'humanité forme des milliers de médecins qui se donnent la peine d'apprendre un somme considérable de savoirs, tout ça pour que la nature persiste à faire des malades qui ne sont pas comme dans les bouquins.

Non seulement, elle est nulle, mais elle est incapable de comprendre des choses aussi élémentaires qu'un "début", "une fin", voire même des notions aussi stupides que « oui » et « non ». Bref, la nature a un QI de méduse. Les choses ne seraient pas si graves (après tout les méduses sont très heureuses dans leur ignorance crasse), si la stupidité de mère Nature n'avait pas de conséquences sur des gens bien réels.


Avant d'aller plus loin et de vous démontrer à quel point la nature nous embête, je vous précise que l'exemple que j'ai choisi concerne la sclérose en plaques. Si vous avez la curiosité de voir la page de ce blog accessible via l'onglet [ ?] vous verrez que j'ai des liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique sur ce sujet, ce qui peut m'avoir insidieusement influencé
.



La SEP est une maladie, personne n'en doute. Cependant quand se déclare-t-elle ? Autrement dit, quand est-on malade. La question n'est pas anodine, car on ne soigne que la maladie et définir le point de départ définit aussi le moment où un traitement est indiqué.

J'entends déjà (oui, comme Jeanne) certains d'entre vous se demander pourquoi faire tout un flan pour des critères. Après tout, il existe des milliers de critères pour tout un tas de maladies où on ne commence à traiter que lorsque certaines conditions sont réunies. C'est le cas de presque toutes les maladies infectieuses, toutes les insuffisances d'organe, ou toute la maladie systématique. Oui, mais la SEP ce n'est pas pareil.

Ce n'est pas pareil pour une bonne et une mauvaise raison. La bonne raison, c'est qu'en terme de physiopathologie, il y a un continuum parfaitement linéaire entre le moment ou quelques lymphocytes s'énervent tous seuls et l'apparition des troubles moteurs irréversibles. Cette aggravation continue suit une pente, dont en 2014, il n'est pas possible de prédire l'angle. Pour faire simple, en 2014, qu'un patient soit au stade du lymphocyte fou, des bandes oligoclonales isolées dans le LCR, des plaques asymptomatiques découvertes fortuitement sur une IRM, ou des poussées, la suite des évènement est imprévisible. Par contre, une fois que le handicap demeure, l'évolution se fait vers une aggravation. Il ne faut pas donc pas traiter trop tôt, le patient pouvant n'être jamais symptomatique de toute sa vie, ni trop tard, sinon le handicap est irréversible. Pour plus de détails sur ce continuum, vous pouvez lire ça http://etunpeudeneurologie.blogspot.com/2013/11/la-sclerose-en-plaques-cest-difficile.html .

Dit encore autrement, plus votre définition de la maladie est large, plus vous traitez de gens parfois pour rien, et plus votre définition est restrictive, plus le risque de perte de chance est important. Et c'est là qu'apparait la mauvaise raison. Un traitement de la SEP coûte en moyenne 20 000 euros par an, et à 20 000 euros le coût annuel du traitement pour une maladie chronique, la question a une importance économique majeure. En 2008, l'OMS estimait que le nombre de patients SEP était de 30 pour 100 000 dans le monde (http://www.who.int/mental_health/neurology/Atlas_MS_WEB.pdf). Le nombre de patients diagnostiqués était de 630 000 en Europe, 520 000 en Amérique, 66 000 en Orient, 87 000 en Asie-Pacifique et 11 000 en Afrique.

Reprenons. Un traitement à 20 000 euros par an en moyenne, 630 000 patients rien qu'en Europe, ça vous donne un marché potentiel de 12 600 000 000 euros – vous avez bien lu douze milliards six cent millions d'euros par an. Et si on pouvait soigner tous les humains malades, soit environ 2 100 000 personnes, ça donne un marché potentiel de 42 000 000 000 euros (quarante-deux milliards d'euros) par an.

Vous imaginez bien que lorsque de telles sommes sont en jeu, les critères diagnostiques ne sont pas justes un joujou intellectuel pour neurologue blasé (euphémisme) mais un sujet sur lequel se penchent les autorités sanitaires, économiques et financières. Ces acteurs ont bien évidemment des objectifs qui ne se recoupent pas toujours. Les neurologues veulent être au plus près de la maladie. L'industrie pharmaceutique voudrait des critères permettant de traiter dès qu'un seul de vos ancêtres a déjà bu de l'eau. Les autorités de santé, pas plus tôt que juste avant qu'il ne soit trop tard pour éviter un procès.

Et curieusement, les critères diagnostiques reflètent ces luttes.

Avant 1965 rien. Tout le monde s'en tape. De toute façon on ne peut rien faire et ça n'a aucune importance puisque les malades, lorsqu'ils sont handicapés sont pris en charge par leur famille ou l'assistance publique s'ils sont isolés. La SEP a une définition purement clinique : deux déficits neurologiques dans deux territoires différents. Peu importe que deux AVC puissent rentrer dans cette définition, de toute façon le traitement est le même : un voyage à Lourdes.

À partir de 1965, les choses changent. Sans qu'il n'y ait de lien direct, l'effritement des solidarités familiales, le début de la notion de coût de la santé, la reconnaissance de nouveaux droits sociaux comme les allocations handicap, sensibilisent le monde medico économique à la nécessité d'avoir de critères pour identifier la population à aider. Ça tombe bien parce qu'en 1965 dans la SEP apparaissent les critères de Schumacher. Pour avoir une SEP, il faut deux atteintes de la substance blanche du système nerveux central, de plus de 24 heures et moins de 1 mois (dissémination dans le temps), dans deux territoires différents (dissémination dans l'espace), chez des patients entre 10 et 50 ans, sans meilleure explication. On a l'impression de loin que c'est mieux qu'avant, mais a une époque où l'imagerie n'existait pas, ces critères étaient aussi fiables qu'une boule de cristal.

À partir de 1985, ça se complique. D'une part, les progrès dans la physiopathologie permettent de comprendre que la SEP est une maladie auto-immune et que par conséquent, les immunosuppresseurs peuvent être utiles. Cependant, l'importance des effets secondaires à court et moyen terme de ces molécules, imposaient de restreindre les critères diagnostiques pour ne pas immuno supprimer au long cours, d'innocents individus ayant fait deux poussées en 10 ans. D'autre part, les premiers essais sur les interférons, vu leur effets secondaires immédiats (et vu le prix des molécules), rendaient indispensable des critères plus stricts pour ne pas imposer à Mademoiselle Michu, futur Madame Michu, des injections ayant comme conséquence immédiate une bonne grosse crève, toutes les 48 heures.

Là encore ça tombait bien, parce qu'en 1985 apparaissent les critères de Poser, qui non seulement stratifiaient le risque de SEP en certaine et probable, mais en plus, introduisaient un critère objectif : les bandes oligo clonales. Ces critères (en gros, deux poussées de plus de 24 heures et des bandes positives pour un SEP certaines) n'étaient pas si mauvais puisqu'ils avaient une sensibilité de 87% et une spécificité de 94%. Le problème de ces critères était qu'ils ne permettaient pas de savoir quoi faire avec les patients ayant une seule poussée et des bandes oligo clonales, ou deux poussées dans le même territoire mais sans bandes. Notes bien que les seuls embêtés étaient les neurologues avec leur patients, donc personne, donc on en resta là.

J'ai commencé ce billet avec mère Nature cette truffe qui crée des maladies d'évolution linéaire sans réelle début ni fin. Il est temps de dire du mal d'une autre entité hyper pénible, la Science. Ben oui quoi, il suffit qu'on comprenne de façon certaine comment marche un truc pur qu'elle se ramène avec un nouveau bidule tout neuf qui met à terre les connaissances antérieures. En fait, la Science est une Geek hyper consommatrice, toujours en quête d'on ne sait pas trop quoi. Quoi qu'il en soit, dans les années 1980, la Science a permis la diffusion des IRM. Pire, la Science a permis la diffusion d'IRM qui visualisaient les plaques de SEP. Les neuros se sont donc retrouvés face à des patients avec tous les critères de Poser mais pas un poil de plaque, des patients avec des plaques mais pas un poil de critère, et tout un mix complexe entre les deux. Bref, un gros bordel diagnostic.

Dans les années 2000, la situation était donc la suivante : des patients traités parfois trop tard quand on voyait l'agressivité de leur maladie en IRM, des patients parfois traités trop longtemps en voyant l'absence d'activité sur le même IRM, une multiplication d'interférons, une concurrence enragée entre les grands laboratoires pharmaceutiques et des autorités de santé un peu débordées par l'inflation des prescriptions d'interféron. Coup de bol, en 2001 de nouveaux critères apparaissent, communément appelés critères de Mac Donald (McDo pour les neuro-SEP, des gens pleins d'humour, le truc drôle étant que la plupart ignoraient ce que McDo pouvaient bien vouloir signifier).

Pour faire simple, ces nouveaux critères permettaient de remplacer une des deux poussées clinique (dissémination dans le temps) ou un des deux territoires (dissémination dans l'espace) par des lésions IRM. La seule condition, toujours en simplifiant beaucoup, c'est qu'il fallait au moins 9 lésions en IRM. Ces critères voulaient donc tenir compte des progrès de la science, en intégrant l'IRM, tout en maintenant un seuil d'entrée dans la maladie relativement haut (d'où les 9 lésions IRM) pour ne pas traiter tout individu avec trois taches blanches qui se courent après. Les critères de 2001 étaient donc satisfaisants pour l'industrie pharma (en récupérant des patients « malades » uniquement grâce aux critères IRM), pour les autorités de santé en limitant l'impact de l'IRM (9 lésions faut un peu d'évolution quand même) et les neuro et les patients... ben comme d'hab tout le monde s'en tapait. Je vous épargne la narration des longues consultations avec des patients ayant une poussée clinique et 8 hyper signaux en IRM...

Vers 2005, à part, les neurologues et leurs patients, tout le monde était heureux. Ou presque. Les neuros et les patients bougonnaient sous le prétexte fallacieux que certains patients avaient de bons gros hyper signaux médullaire, mais pas grand-chose comme anomalies cérébrales, et qu'ils évoluaient mal, sans pour autant renter dans les critères. Ils râlaient aussi parce que parfois, lors d'une IRM réalisée fortuitement un mois après une première poussée, des nouvelles anomalies apparaissaient, témoignant d'une pathologie active, et qu'il leur fallait attendre avant de proposer un traitement. Sur ce dernier point l'industrie pharmaceutique était en parfaite empathie, et ce d'autant plus que le marché des interférons avait atteint sa maturité, ce qui impliquait que pour traiter plus, il fallait traiter plus tôt.

Hasard total, il se trouve également que de nouveaux traitements encore plus onéreux étaient sur le point de sortir. Les autorités de santé voulant se les réserver en deuxième intention, il devenait nécessaire de définir « l'échec » des traitements de première ligne. Heureusement que le hasard passait par là, et que, n'ayant rien à faire, il offrit comme ça, sur un coup de tête, les critères de McDo révisés de 2005. Quoi de neuf ? Ben rien si ce n'est que des lésions médullaires ou de nouvelles lésions un mois aprés une poussée permettaient de compenser l'absence de nouvelles lésions cérébrales. Comme vous le voyez, le hasard, contrairement à la Nature et à la Science est un gars sympa.

Bon, ce n'est pas tout ça, mais à force de tripoter ces critères, vous aurez remarqué que je ne vous ai pas parlé de leur sensibilité et de leur spécificité. C'est volontaire, tout simplement parce que le résultat n'est pas braillant. A force de restreindre tout en ouvrant, la sensibilité était tombée avec les critères 2005, à 46% et la spécificité était restée stable à 94%. Résumons les choses, à force de vouloir traiter plus tout en limitant les prescriptions, on était arrivé à diminuer la sensibilité des critères à un niveau anormalement bas puisque plus de un patient malade sur deux n'était plus considéré comme malade. Idiot hein ?

En 2010, on était donc dans la situation suivante : des autorités de santé satisfaites parce que le nombre de prescriptions restait limité. Une industrie pharmaceutique mi-figue mi-raisin, un nombre important de patients n'étant pas traitables mais une bonne pénétration chez les jeunes (donc ceux qui a priori étaient appelés à être traités le plus longtemps), et des neurologues face à leur patient relativement paumés, mais ça comme d'hab....

Nature et Science étant parties en vacances, Hasard se retrouva seul cette année-là. N'ayant vraiment rien à faire, il créa une nouvelle fois de jolis critères : les McDo2010 ! Et là tout change : tout devient IRM ! Le système nerveux central est divisé en quatre zones : peri ventriculaire, juxta cortical, infra tentoriel et médullaire. La dissémination spatiale est affirmée par au moins une lésion T2 dans au moins deux zones. La dissémination spatiale par une nouvelle lésion T2 ou une prise de contraste sur toute nouvelle IRM quel que soit le délai entre deux examens. Mieux encore : une seule IRM avec des lésions dans deux territoires dont une prenant le contraste permet d'avoir les deux critères. Avec ces nouveaux critères qui paraissent plus souples, on passe à 74% de sensibilité et on ne perd que 2% de spécificité (92% versus 94%).

En 2014 la situation est donc : des neuros heureux parce que les critères sont sensibles, spécifiques, faciles d'utilisation. Des autorités de santé qui font la gueule parce que le nombre de patients traitable augmente, et qui se vengent en limitant artificiellement l'accès aux nouveaux traitements, et une industrie pharmaceutique un peu déçue, parce qu'il lui devient difficile de défendre plusieurs lignes de médicaments, si on ne peut plus distinguer de patients à risques et des patients actifs.

Fin de l'histoire ? Ah ben non ! Les nouveaux critères ne permettent pas de classer les patients avec des formes médullaires pures (les maladies de Devic) et en supprimant toute référence aux bandes oligoclonales, ils ne disent pas ce qu'il faut faire des patients avec des bandes mais pas de critères IRM suffisant. Et je pourrai vous sortir tout un tas d'autres exemples.

Maintenant, juste pour réfléchir, un dernier point. Si vous avez bien lu, vous aurez remarqué qu'on parle de critères avec des poussées, des territoires, des IRM, des PL, mais jamais de handicap ! Ce n'est pas anodin. L'explication est simple, jusqu'à présent l'objectif était de savoir à qui prescrire un traitement de fond. Cependant, les choses changent avec l'apparition de traitements des conséquences du handicap. La FAMPIRIDINE (FAMPYRA) et le CANNABIS (SATIVEX). Imaginez la demande qui existe ! En coulisse big pharma et l'état fourbissent leurs armes.

Ce texte comporte un complément actualisé en 2018 que vous  trouver ici :
http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2018/05/criteres-sep-2017-le-flou-de-precision.html


Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
La SEP et les syndromes apparentés