10.6.14

cas clinique 062013 - tout jeune il était déja vieux

it all seem all right


Voila le cas clinique de juin. Comme d'hab un histoire réelle avec un dossier parfois incomplet. Toujours comme d'hab, l'idée n'est pas de critiquer pour critiquer mais de voir si il aurait été possible de faire différemment.

Monsieur XY vit en EHPAD. Il a 78 ans. Il a emménagé dans cet EHPAD il y a 3 ans parce que suite à plusieurs chutes et fractures des membres, son autonomie s'est beaucoup réduite : il n' jamais vraiment récupéré entre chaque chute, avec une phobie à la marche très prononcée. Monsieur XY a une épouse qui vient le voir une fois par semaine. Il n' a pas d'enfants.

Monsieur XY ne parle pas beaucoup mais c'est une taiseux selon son épouse. A sa retraite à 58 ans (cheminot), il s'est renfrogné. Son médecin de l'époque avait diagnostiqué une dépression masquée à cause d'une retraite mal préparée. Il n'avait pas vraiment de loisirs ni d'amis hors du boulot. Il tournait en rond, expliquait à sa femme pourquoi la SNCF allait dans le mur et avait des théories sur comment le gouvernement bradait les services publiques. Son épouses, pour ne pas le contredire et pour essayer de lui trouver une activité, l'avait incité à aller aux réunions d'un syndicat. Après quelques moi,s on l'avait gentiment mais fermement prié de s'en aller, il avait tendance à prendre un peu trop souvent la parole en réunion et était trop militant (note de moi-même, qu'est ce que ça devait être pour qu'un syndicat SNCF le trouve TROP militant).

Son médecin traitant s'était interrogé sur la possibilité de troubles psy sous jacents et l'avait convaincu d'aller voir un psychologue (en fait un psychiatre), qui n'avait pas retenu de personnalité pathologique, ni même de dépression car il n'avait aucun vécu triste. Par défaut son médecin traitant avait essayé une peu de PROZAC (sans succès) puis laissa tomber tout traitement.

Vers 65 ans il semble qu'il ait présenté un AIT ou un AVC (durée des symptômes impossible à préciser dans le dossier). Il a eu un scan (ccl normal) et un bilan cardio (normal aussi). Dans les suites il a commencé à prendre du KARDEGIC et du COVERSYL. Vers 70 ans nouvel AIT (symptômes ?). Nouveau scan et nouveau bilan cardio RAS. Le KARDEGIC est remplacé par du PLAVIX. Son épouse dit bien que suite à cet épisode il a commencé à "perdre la boule" a faire des blagues idiotes et pleurer pour un rien et, surtout, il a commencé à se casser la gueule.

Son médecin traitant a fait faire vers 66 ans un nouveau scan qui aurait montré une leucoaraïsose et une hydrocéphalie à pression normale. Devant ce scan, et en regardant son patient avec des troubles cognitifs et des difficulté à la marche, le MT s'est posé la question d'une PL évacuatrice et l'a adressé à un neuro. Ce dernier, rien qu'en voyant le scan a dit qu'il n'y avait pas d'HPN (en contre disant le radiologue donc) et a fait un MMS. Le score de monsieur XY étant à 24 (normal >27), le neuro à conclut à une démence débutante et à prescrit de l'ARICEPT.

Ce traitement a été particulièrement efficace puisque jusqu'à 73 ans, Monsieur XY n'a perdu qu'un point de MMS. Par contre sa marche a empiré avec des chutes et fractures multiples l'ayant mené en EHPAD.

Un matin, monsieur XY se réveille confus. Il n' a pas de déficit moteur ou sensitif, juste une bonne confusion. Il est amené aux urgence où il est diagnostiqué une ACFA, la confusion a disparue . Comme il a été confus, il a droit à une IRM qui retrouve "...un multitude de micro saignements (micro bleeds)...sans traces d'AVC récent". Le cardio ne propose pas de l'anticoaguler malgré une ACFA irréductible, du fait des hémorragies. Il ressort donc avec son ARICPET, son PLAVIX et de la CORDARONE.

De retour à l'EHPAD, monsieur XY est encore moins autonome mais sans que les MT ne trouve de véritable déficit moteur ou sensitif ni de confusions. Sa démence semble par contre plus marquée, avec des moments de rires immotivés, de pleurs et, selon les IDE, des périodes de repli sur soi, où il ne parle pas et joue à tripoter de façon répétitive son pull.

Devant cette évolution démentielle, le MT, après avis du gériatre, instaure du SEROPLEX pour voir s'il peut le sortir de son apathie. Le résultat est paradoxal car les périodes de repli sur soi augmentent en fréquence.

Un mois après son retour à l'EHPAD, il fait un nouvel AVC, avec une hémiplégie gauche. Il est hospitalisé en neuro.

Au cours de cette hospitalisation, il y a un diag de posé sur sa démence et un autre pour ses épisodes de repli sur soi.

Il est traité et stabilisé mais reste dément et hémiplégique et passe en unité de long séjour.

1/ Pourquoi je vous donne autant de détails sur sa retraite ?
2/ Pourquoi l'avis du psychiatre est important (je n'ai pas dit pour une fois) ?
3/Pourquoi les deux scans initiaux et les consultations cardio sont normales ?
4/QuelS syndromeS collent avec la clinique quand il "perd la boule" ?
5/Comment le neuro peut être sur de son coup sur l'absence d'HPN ?
6/Comment expliquer l'efficacité de l'ARICPET ?
7/Est il logique de ne pas donner d'AVK après l'IRM ayant montré des micros saignements ?
8/Quel est le diag des "replis sur soi" ?
9/Pourquoi les IRS ont ils un effet paradoxal ?
10/ Juste pour la forme, quel test cognitif aurait pu faire le MT (c'est à dire court, sensible et relativement spécifique) pour gagner du temps ?



Voici mes réponses.

1/ Pourquoi je vous donne autant de détails sur sa retraite ?

Car ce monsieur présente plein de signes de démence précoce. Pour plus de détails, allez voir ceci : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2014/06/les-signes-precoces-de-demence.html

2/ Pourquoi l'avis du psychiatre est important (je n'ai pas dit pour une fois) ?

A cause de l'absence de signes dépressifs, de tristesse de l'humeur ou des psychose, ce qui permet d'éliminer les pseudo démences psychiatriques.

3/Pourquoi les deux scan initiaux et les consultations cardio sont normales ? 

Ce type a des signes de démence, des signes d'AVC ou d'AIT à répétition et pourtant les scan sont normaux. A priori c'est pas logique. Une démence donne parfois des signes d'atrophie corticale, et les AVC donnent tout le temps des hypodensités (même si il faut attendre quelques jours). On est donc devant un individu qui a une démence et des signes vasculaires sans que le scan ne les voient. Et bien ça tombe bien, parce que l'une des rares entités qui peut donner ce tableau est la démence vasculaire. C'est une démence non corticale (donc techniquement pas un réelle démence), par accumulation de micro infarctus qui peuvent parfois être symptomatiques. Le mécanisme est incomplètement élucidé, mais l'HTA et l'angiopathie amyloïde sont de gros facteurs de risques. Comme le mécanisme est local, l'examen du cœur et des vaisseaux et le plus souvent normal.

4/QuelS syndromeS collent avec la clinique quand il "perd la boule" ?

Blagues idiotes : syndrome frontal.
Rires et pleurs sans objet : atteinte pseudobulbaire.
Chutes : le dossier n'est pas assez détaillé mais partons pour une atteinte cérébelleuse.

L'atteinte frontale, bulbaire et cérébelleuse ne correspond à aucun territoire vasculaire donc témoigne d'une atteinte diffuse. C'est un argument de plus pour une démence vasculaire.

5/Comment le neuro peut être sur de son coup sur l'absence d'HPN ?

C'est un de nos numéro de "sage qui sait tout" que nous préférons en neuros. Une HPN, c'est bien connu (et c'est vrai) donne de gros ventricules. Sous la pression les ventricules se dilatent. C'est un peu comme les soufflés dont le contenu (air) se dilate sous la chaleur pour faire un gros trou au centre. Et comme il y une pression importante, les bords du soufflé se collent au contenant (le moule), d'ou la quasi impossibilité physique à démouler ces machins. Par contre, quand vous tapez la nuit dans le pot de glace, le trou ne traduit pas une dilation mais un goinfrerie. Et si votre glace est un peu fondue, les bords vont se décoller du contenant (le pot). Bon ben là c'est pareil : dans une HPN les ventricules sont gros et le cortex est écrabouillé contre les méninges ce qui rend les sillons invisibles. Dans les démences, les ventricules sont gros et le cortex atrophié se décolle des méninges ce qui rend les sillons particulièrement visibles.

6/Comment expliquer l'efficacité de l'ARICPET ?

A supposer qu'il existe un humain chez qui l'ARICEPT marche, son effet serait de décaler les effets de la maladie pendant dix huit mois (et ça c'est une des études les plus optimistes sponsorisée par le labo). Si ça marche mieux, c'est qu'il n'y est pour rien et donc que ce monsieur en prend pour rien.

7/Est il logique de ne pas donner d'AVK après l'IRM ayant montré des micros saignements ?

NON. On va pas y passer des heures, retenez qu'en 2014, les micro bleeds (ouais, en anglais, parce qu'en français micro hémorragies ça fait chirurgien fier de son coup), ne sont pas un facteur de risque suffisant pour contre indiquer les AVK en cas d'ACFA en prévention secondaire d'un AVC.

8/Quel est le diag des "replis sur soi" ?

Il faut bien lire : " des périodes de repli sur soi, où il ne parle pas et joue à tripoter de façon répétitive son pull". Soyons neurologues et appelons "replis sur soi" je sais pas moi, disons, absences, et appelons "joue à tripoter de façon répétitive" , voyons, je cherche, ah oui, stéréotypie et vous avez... ben une superbe description de comitialité.

9/Pourquoi les IRS ont ils un effet paradoxal ?

Parce qu'ils sont pro épilpetogénes.

10/ Juste pour la forme, quel test cognitif aurait pu faire le MT (c'est à dire court, sensible et relativement spécifique) pour gagner du temps ?

Le MoCA. Un jour je ferai un billet la dessus. En attendant allez voir le site http://www.mocatest.org/ et vous découvrirez une alternative au MMSE beaucoup plus ludique et plus informative parce qu'elle explore les fonctions cognitive une à une. En plus, comble du luxe, le MoCA est validé dans tout un tas de langue, ce qui vous permet de l’utiliser dans la langue native des patients d’origine étrangère.


Si vous voulez en savoir plus, cet article fait partie de la collection suivante :
Démences et troubles du jugement

et à la collection :
Pathologies neurovasculaires